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Il y a un an à peine, la nouvelle bande réunie autour du prolifique Jack White donnait son premier concert dans les locaux de Third Man Records, à Nashville. C’était en mars 2009. Les réactions ont d’abord été prudentes : side-project de trop, The Dead Weather incarnait l’énième menace qui retardait une fois de plus le retour des White Stripes. Mais il a suffit d’un seul concert à la Cigale trois mois plus tard pour que les médisants – du moins les médisants parisiens – revoient leur avis. Sur scène, c’était une évidence : Alison Mosshart et Jack White avaient été créés pour jouer ensemble. Cette ressemblance physique, ces voix qui s’entremêlaient jusqu’à l’unisson… Quelque chose de divin. Il y avait entre eux une alchimie tellement parfaite qu’elle nous dépassait, nous, pauvres humains, ridicules microbes désespérément pendus aux lèvres de la chanteuse des Kills. Mais ce couple de l’enfer aurait fini par s’étouffer ou s’entretuer s’il ne s’était adjoint les services de deux loyaux comparses qui traînent avec Jack depuis ses débuts à Détroit. Jack Lawrence et Dean Fertita apportaient juste ce qu’il fallait d’oxygène, d’équilibre et de solidité sans lesquels ce tandem infernal aurait sombré dans l’antichambre du génie, là où les talents s’étouffent et s’annulent. Le premier, post-ado imberbe à lunettes et joueur de banjo émérite d’un naturel plutôt discret, s’est trouvé transcendé par ce nouveau projet qui a poussé son sombre jeu de basse dans ses retranchements les plus puissants. L’autre, enfin, le seul vilain petit canard à n’avoir pas les cheveux noirs, est venu napper l’ensemble de la substance mélodique qui lui manquait. Quelque chose de divin, définitivement, une rencontre comme seul le hasard sait les arranger. Un groupe suprême, dont le mystère était encore épaissi par un artwork dépouillé, presque gothique. The Dead Weather était né pour incarner l’élégance rock, l’ultime classe.
« One day I’m happy and healthy, next I ain’t doing so well. »
Quelques mois, trois concerts et des centaines d’écoutes plus tard, The Dead Weather trouvait toujours grâce à mes yeux. Enfin presque… Avec le temps et le recul, je me suis presque lassée de leur premier album, Horehound. Difficile à expliquer quand, pourtant, ceux qui l’avaient conçu remplissaient absolument toutes les conditions qui me font dire d’un groupe qu’il est parfait. Rien à faire, je n’arrivais pas à imaginer The Dead Weather comme une entité qui tiendrait le coup des années, ni comme davantage qu’un projet éphémère porté par un artiste qui a peur de s’ennuyer. J’ai eu tort, car depuis l’annonce de leur association, les quatre fantastiques n’ont cessé de tourner aux quatre coins du monde. Et il est de notoriété commune que le fait de partager un tour bus constitue l’épreuve ultime d’admissibilité au sein de la sainte dynastie des groupes de rock, des vrais, de ceux qui sont capables de braver ensemble les odeurs de chaussettes sales, les pizzas froides et les aires d’autoroute. Et même si je ressentais moins le besoin d’écouter Horehound, je devais bien me résoudre à l’idée que Jack s’était rarement autant surpassé que sur Cut Like A Buffalo, qu’aucun couple ne serait jamais aussi sulfureusement sexy que celui de Treat Me Like Your Mother, qu’Alison avait rarement été aussi désirable que sur 60 Feet Tall, et que les White Stripes étaient probablement bel et bien morts.
« Yeah, all the neighbors get pissed when I come home, I make ’em nervous.«
De toute façon, l’hystérie ne m’a jamais quittée. Jack White a l’art et la manière d’entretenir la névrose de ses fans. Depuis mars 2009, il ne s’est pas passé une semaine sans que Third Man Records ne distille une information exclusive, une vidéo, une image, l’annonce d’un événement ou la sortie d’une édition limitée. Il n’a pas cessé un seul instant de souffler sur les braises de ma passion. Jusqu’à ce mois de mars 2010 où un nouveau single a été mis en ligne. Les trépignements d’impatience ont rapidement laissé place à la déception : Die By The Drop ressemblait un peu trop à un laissé-pour-compte de Horehound qu’on nous aurait refilé pour nous faire patienter. J’ai eu peur que le deuxième album, annoncé pour le 10 mai, ressemble une nouvelle fois à un heureux jam réalisé par quatre virtuoses réunis par l’opération du Saint-Esprit. Si les Dead Weather voulaient exister comme un vrai groupe, il fallait qu’ils fassent leurs preuves maintenant. J’ai laissé le temps faire son oeuvre, me doutant bien que les membres du Vault – le club secret des fans de Third Man Records – auraient droit à un deuxième avant-goût. Au mois d’avril, nous avons en effet eu le privilège d’écouter Gasoline, un morceau au titre évocateur qui ravivait les souvenirs poussiéreux et l’odeur de souffre du clip de Treat Me Like Your Mother. Deux minutes et quarante-quatre secondes de blues-rock violent et crasseux. La bête s’était enfin réveillée.
« I don’t want a sweetheart, I want some machine. »
Vint enfin le 1er mai, où j’allais pouvoir rendre mon verdict : Third Man Records annonçait que le nouvel album serait disponible en streaming pendant vingt-quatre heures. Ce soir-là , calée devant mon écran, j’ai regardé le vinyle tourner pendant plusieurs heures (oui, Jack White n’est pas homme à se contenter d’un simple mp3 ou d’une diffusion sur YouTube). Et j’ai regretté d’avoir douté. Je me suis pris en pleine face les onze déflagrations de Sea Of Cowards, manifeste blues-garage expérimental éminemment plus mélodique que Horehound. L’opus, incroyablement lourd et orageux, traîne derrière lui des histoires tragiques qu’on ne dit qu’à demi-mot, des amours dramatiques qu’on préfère asperger d’essence, des prières inavouables. Infiniment plus fouillé et mieux produit que le précédent, l’album, dont les transitions sont maîtrisées à merveille, sonne si vintage qu’il en est vraiment moderne. Les Dead Weather vivent dans un monde où tout est excessif, un espace au sein duquel Alison, Jack, L.J. et Dean se lâchent comme si personne ne les regardait. Ce groupe semble être un catalyseur qui révèle les plus grandes qualités de chacun, grâce auquel ses membres repoussent leurs limites musicales et humaines.
Jack White, qui chante moins souvent que sur Horehound, semble avoir trouvé sa juste place : son aura n’écrase plus ses acolytes mais les transcende. Il est désormais The Invisible Man, la partition, l’homme de l’ombre, mais plus le leader. Difficile en effet de garder le devant de la scène face à une Alison plus déchaînée que jamais, qui enchaîne The Difference Between Us – qui a un curieux air de Smells Like Teen Spirit – et I’m Mad, sommets de l’album, avec une furie qui glace le sang. On peine à reconnaître la chanteuse des Kills derrière cette bête à l’apogée de son art. Le fauve qui tournait en rond dans sa cage est désormais retourné à l’état sauvage. Borderline du début à la fin, elle nous assène sans interruption ses feulements agressifs. Elle en fait sûrement trop, imite souvent le chevrotement de la voix de Jack White, mais ne sonne jamais faux. Celle qui, cachée derrière sa tignasse, ouvre à peine la bouche dans la vraie vie, transpire ici le stupre et la luxure. Difficile de s’attacher à décrire chacun des titres en détail quand on s’est pris une telle claque. On remarque néanmoins l’harmonie des instruments, la richesse de leurs stratifications, bien plus réussies que sur le premier album, et surtout ce clavier qui baigne l’oeuvre d’une musicalité inédite dans ce groupe et qui permet aux morceaux de s’enchaîner parfaitement jusqu’au dernier et tragique titre, Old Mary, une sorte de requiem dédié à une Marie-Madeleine encore plus pécheresse que dans la version originale.
« Carry this burden now until the moment of your last breath. »
Beaucoup plus expérimental et complexe que bien des projets de Jack White, Sea Of Cowards a le mérite de prouver que The Dead Weather n’est pas une lubie sans lendemain. Au contraire, cet album apparaît comme l’une des productions les plus abouties de la tête pensante de Third Man Records, qui n’en est pourtant pas à son coup d’essai. Et s’il a toujours l’air aussi sûr de lui, on ne peut pas nier que Jack s’est mis en danger en se mettant en retrait au sein du groupe et en laissant une Alison fiévreuse et hors de contrôle mener la barque vers des récifs dangereux. Mais la belle sait tourner la barre au dernier moment et maîtriser son excès. Jamais un faux pas quand elle nous emmène, douée d’intentions perverses, au bord de l’abîme, et qu’elle s’amuse à nous y faire presque sombrer. She’s mad, et son ricanement diabolique me hantera encore longtemps.
The Dead Weather – Sea Of Cowards (Third Man Records, 2010)
1. Blue Blood Blues
2. Hustle And Cuss
3. The Difference Between Us
4. I’m Mad
5. Die By The Drop
6. I Can’t Hear You
7. Gasoline
8. No Horse
9. Looking At The Invisible Man
10. Jawbreaker
11. Old Mary
Écrit par: Emeline Ancel-Pirouelle
2010 rock The Dead Weather Third Man Records US
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
Hartzine the indie music webzine since 2007
Dreamburger sur 28/05/2010
Superbe article, d’ailleurs c’est assez rare, en France, d’avoir l’occasion lire des textes de qualité concernant la musique donc je n’aurai qu’un mot, bravo. Comme d’habitude, je trouve le tout un peu rébarbatif à lire, la mise en page est à revoir et une ou deux images ne feront de mal à personne… Continuez comme ça !
Emeline sur 28/05/2010
Merci beaucoup Dreamburger. Pour les conseils aussi, qui sont toujours bons à prendre… On y travaille !