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Il a toujours été question de collaboration entre image et son, d’associations de thèmes comme de matières. Voilà deux espaces de liberté créative qui se côtoient, se complètent ou s’enchevêtrent. On parlera d’esthétiques parfois, plastique pour l’une, musicale pour l’autre, toutes deux s’attachant à traduire un signifiant. Des identités durables de la musique ou des arts graphiques se sont développées ou confirmées à partir d’un artwork d’album, d’Aladdin Sane à King Crimson en passant par Abbey Road ou Unknow Pleasures. Cet artwork spécifique, qui sert d’escorte autant que de guide à une production sonore, quel qu’en soit le support ou le format, fait partie des pratiques les plus libres du design, les plus notables aussi, eu égard à l’universalité de la musique.
Johann Kauth est de ces artistes pluridisciplinaires que la pratique d’une seule forme artistique ne contente que modestement, et qui aime jongler entre son et musique, pour lui comme pour d’autres. Diplômé de la prestigieuse Gerrit Rietvelt Academie d’Amsterdam, l’Anversois a fait de sa pratique de la sérigraphie un espace d’expérimentation qui lui permet de jouer avec son vocabulaire graphique en lui imprimant des tournures hypnotiques aux palettes vives qui prennent la forme de pochettes d’album, d’affiches de concert, de collaborations avec Peaking Lights, Javelin, Das Ding, Hieroglyphic Being… Partagé entre ses activités plastiques, musicales, éditoriales et curatrices, Johann a pris le temps de nous parler de sa méthodologie, ses influences, sa musique, et a surtout rassemblé cinq pochettes d’album qui l’ont marqué et nous a expliqué pourquoi.
Tu es d’abord un artiste visuel, mais la musique est prédominante dans ta vie à travers tes projets, groupes, label… Qu’est-ce qui t’a amené à vouloir combiner les deux?
Though first a visual artist, music plays a big part in your life through your projects, bands, label… What made you want to combine both interests?
Ma mère est peintre, et mes deux parents enseignent la musique, les deux univers coexistent donc pour moi depuis le premier jour. Adolescent, quand je jouais dans un groupe, l’envie de parler de nos concerts, de créer un univers visuel autour de ce que nous faisions m’a naturellement orienté vers les arts graphiques.
My mom is a painter and both of my parents are music teachers, so both worlds have been present since day one for me. When playing in a band as a teenager the urge of getting the word out about our own gigs, creating a visual world around what we were doing got me into making graphic work in the first place.
La conception de pochettes est une facette particulière du design, quel lien faut-il inventer entre musique et création visuelle? À quel moment es-tu satisfait de la corrélation entre les deux?
Sleeve creation is a specific aspect of design, what connection is to be made between music and artwork? At what point are you happy with the correlation between the two?
Tout dépend du projet. Parfois, ma démarche est rapide et intuitive et ça fonctionne. D’autres nécessitent plus d’attention et une écoute attentive avant que je n’ébauche un vocabulaire visuel. Dans l’absolu, j’espère m’imprégner du contexte et des perspectives de la musique en termes de créativité. C’est gratifiant de réussir à traduire la façon dont la musique a été produite en en composant une référence visuelle. Pour une cassette double de Hieroglyphic Being, environ la moitié des sons étaient joués à l’envers, le texte a donc été écrit dans les deux sens de lecture.
It depends on the release. Sometimes i’ll make something intuitive quickly and it works. Other cases need a lot more attention and intense listening before I can start on a visual vocabulary. Ideally I hope to get a feel for the context and creational aspects of the music. It can be rewarding to translate the methods of how the music has been made into the composition of a visual appreciation for it. For a double cassette release of Hieroglyphic Being about half of the sounds were played backwards, hence all text is written both for- and backwards. Â
Tu te rappelles la première pochette sur laquelle tu as travaillé?
Do you remember the first sleeve you worked on?
Sans doute une mixtape pour un ami.
Probably a mixtape for a friend.
Que faut-il pour avoir un artwork signé Johann Kauth? Comment tu choisis tes projets?
What does it need to have an artwork made by Johann Kauth? How do you pick your projects?
En général, ce sont des amis ou des rencontres.
Mostly it’s friends or people I’ve met.
Quelles collaborations ont été pour toi les plus enrichissantes?
What collaborations do you think have been most rewarding?
Une flopée de sorties pour No Label d’Amsterdam, c’était fantastique. C’est ce genre de plateformes anonymes où chaque release est très personnelle et distincte. Mon ami qui tient ce label a des goûts musicaux éclectiques et aventureux, c’était intéressant de pointer les similitudes entre des labels de cassettes expérimentales et la culture de la dance underground. On sent une insatiable envie de découvrir et créer de nouvelles choses, le résultat en est étourdissant. Mon implication dans la dance m’a aussi fait prendre conscience de l’incroyable diversité créative des ronds sur les vinyles. C’est amusant d’en approfondir l’historique: beaucoup d’enregistrements 12 pouces club/disco s’accompagnent d’une pochette unie, on se limite donc aux emplacements pour les visuels et les infos. Le fait que ce soit sur le disque même et tourne en cours de lecture est magnifique.
A stream of releases on Amsterdam’s No Label has been fantastic to work on. It’s kind of an anonymous platform and each release is very different and personal. My mate who runs the label has an adventurous and eclectic taste in music. It’s been interesting to trace similarities between experimental cassette labels and underground dance music culture. There is an unstoppable urge and energy to discover and create new things, the output is overwhelming. Being more involved with dance music has also made me aware of the incredible variety of inner label artwork. It’s fun to look deeper into the history of it. A lot of club/disco 12 inch records use a plain sleeve, so you are limited to the labels as only carrier of visuals and info. The fact that it’s on the record itself and spins around while playing is beautiful.
Pour qui aimerais-tu concevoir une pochette?
Who would you love to make a sleeve for?
Question piège. Des enregistrements inédits de Loose Joints, s’ils existent…
That’s a tricky one. Unreleased Loose Joints recordings, if they exist…
On retrouve le psychédélisme partout dans ta pratique artistique, jusqu’à certaines de tes collaborations, par exemple avec Peaking Lights ou Javelin. Qu’est-ce qui t’attire dans cette référence aux années 60 et aux psychotropes?
Psychedelia is everywhere in your art process, and can be seen in some of your collaborations too, with Peaking Lights or Javelin for instance. What is appealing in this reference to the 60’s and to psychotropics?
À un moment, je me suis vraiment intéressé aux affiches de San Francisco à la fin des années 60. Peu après, j’ai rencontré des gens au Canada, aux Pays-Bas et en Belgique qui semblaient s’inspirer de ce style, mais en le menant plus loin. J’ai préféré cette version folle et débridée et me suis éloigné des trucs de San Francisco… Mais il y a encore tant à découvrir, et cette période l’a fait évoluer à un autre degré. Ce n’est pas une référence que j’applique consciemment, plutôt quelque chose qui a progressé avec le temps. Dans ces deux exemples, l’influence tropicale est liée à la musique. Javelin a récupéré de vieilles cassettes de calypso trouvées dans des boutiques d’occasion qu’ils ont samplées pour créer leur propre musique. Et les projets APC et Leisure Connection d’Aaron de Peaking Lights ont une vibe éminemment tropicale.
At some point I got really into the late 60s San Francisco posters. Shortly after i encountered people in Canada, the Netherlands and Belgium who seemed to be influenced by this style, who took it even further. I liked this crazy out of control version the most and got less into the San Francisco stuff… But then there is so much more to discover, this time was pushing it to another level. It’s not a reference that i make consciously, more something I arrived at over time. When you’re getting this tropical impression, in both cases that’s tied to the music. Javelin were taking old calypso cassettes they found at thrift stores and sampled them to make their own music. The APC and Leisure Connection projects of Aaron from Peaking Lights have a fairly tropical vibe going on.
Qui ou qu’est-ce qui inspire ton design graphique?
What or who inspire your graphic design?
Indiscutablement, les travaux de Jelle Crama, Zeloot, Dennis Tyfus, Bennifer Editions, Dennis Busch et Seripop m’ont beaucoup influencé et ont fortement motivé mon attirance pour la sérigraphie. Non seulement je suis fasciné par ce qu’ils font, mais aussi par leur façon de créer le contexte dans lequel ils publient eux-mêmes leurs travaux. Ils ont tous ou ont eu leurs propres labels, espaces de diffusion, groupes, etc. J’étudie les artworks minimalistes des disques de labels des années 70 et 80. Je suis continuellement en quête de flyers et d’affiches, c’est génial de tomber sur des archives relatives à un certain lieu ou une certaine époque. Parmi de récentes trouvailles de ce genre, il y a les flyers de Buddy Esquire, le designer inconnu du club KA d’Ibiza, Funhouse, Danceteria et les flyers Wild Pitch de New York.
Seeing work of Jelle Crama, Zeloot, Dennis Tyfus, Bennifer Editions, Dennis Busch and Seripop has definitely been influential and was heavily motivating for me to get into screen printing. Not only visually I found intriguing what they do, also how they create the context in which they publish their work themselves. All of them have/had their own labels, show spaces, bands and so on. I study the stripped down label artworks of 70s and 80s dance records. Always on the search for flyer and poster art, stumbling onto archives connected to a certain place or time is great. Recent finds like that are Buddy Esquire’s flyers, the unknown designer for the KA club on Ibiza, Funhouse, Danceteria and Wild Pitch flyers from NYC.
Et s’agissant de musique?
What about music?
Pour le moment, beaucoup de disco, de rap et de new wave de la fin des années 70, début des années 80.
For the moment a lot of disco, rap and new wave from the late 70s/early 80s.
L’improvisation est essentielle dans ton approche artistique: techniques, matériaux, composition. C’est quelque chose qui se traduit aussi dans ta musique?
Improvisation is key in your artistic approach: skills, materials, composition. Is it something that translates in your music too?
Ce sont des situations similaires. En général, je n’ai aucune idée avant de commencer une nouvelle session. Ça revient souvent à superposer des sons, réagir à ce qu’on a déjà et alors ça prend forme — c’est très proche de l’impression ou du dessin intuitifs. Je trouve épanouissant de travailler avec des motifs dans le son ou la composition visuelle.
It’s a similar situation. Normally i won’t have a clue before starting on a new session. It’s often about layering sounds, reacting to what is already there and then something takes shape — very alike printing or drawing intuitively. Working with patterns respectively in sound or visual composition I find fulfilling.
Tes projets musicaux personnels ont en commun l’expérimentation électronique, mais leurs saveurs sont singulières. Peux-tu nous expliquer les différences entre Fyoelk et Laser Poodle, et ce que tu apprécies dans chacun?
Your personal music projects have a common base of electronic experiments, but a distinctive taste though. Can you explain the differences between Fyoelk and Laser Poodle, and what you enjoy in each?
Fyoelk, c’est juste moi. Il s’agit plus de créer des pistes et de petits croquis de mes idées musicales, de la composition à un niveau plutôt microscopique. Je me suis plongé dans le concept de « piste », un extrait de musique rythmique qui rassemble très peu d’éléments mais peut quand même exister sous une forme individuelle. En concert, une sélection de pistes prend à chaque fois une forme différente, c’est donc de l’improvisation dans une structure préconçue.
Laser Puddle est un duo avec mon pote Sleep Mink, qui vit à Amsterdam. Ce projet est une improvisation totale, nous n’avons aucune idée de ce que ça va donner avant de jouer le set. Mais après toutes ces années passées à jouer ensemble, je pense qu’on a développé une sorte de répertoire sonique ou de palette de sons. Notre force motrice, c’est d’être surpris et de savoir réagir à ce que fait l’autre.
Fyoelk is me on my own. That’s more about making tracks and small sketches of musical ideas, composition on a rather microscopical level. I got into the concept of a « track », a rhythmical piece of music that consists of very few elements but still can stand as an individual piece. In a concert situation a selection of tracks take shape differently every time, so it’s improvisation within a preconceived structure.
Laser Poodle is a duo with my buddy Sleek Mink, who lives in Amsterdam. That project is completely improvised, we won’t have a clue what’s going to happen before we play a set. After playing together all these years though I believe we got some kind of sonic repertoire or sound palette. Being surprised and reacting to what the other one does are the driving forces here.
On a demandé à Johann de nous proposer cinq pochettes qui l’ont marqué et de nous expliquer pourquoi.
Time Zone – The Wildstyle (Celluloid, 1983)
Disco sleeve of Celluloid Records, a Paris/NYC based label crossing borders both culturally and sound-wise. The artwork translates the cutting up of records that Afrika Bamabaata (of Time Zone), Grandmixer DST and others pioneered to lay down the basics of hip hop.
Don’t DJ ‎– ˈkÄ-dän(t)s (Diskant, 2013)
Screen printed art for this disc of polyphonic marimba cycles. All covers for the Diskant label run by the Durian Brothers are printed by hand.
Toshi Ichiyanagi ‎– Opera « From The Works Of Tadanori Yokoo » (The End Records, 1969)
A mind-boggling collaboration between composer Toshi Ichiyanagi and poster artist Tadanori Yokoo. This is mental; two picture discs and inner booklet with 24 of Yokoo’s theater posters.
Olde World Records disco sleeve (1978)
J’ai trouvé celle-ci sans disque… Je n’ai donc pas entendu les morceaux qu’elle renfermait. Mais le Super Disco Breaks de Paul Winley Records allait bien, comme j’en avais une copie sans pochette. En particulier le tube Scorpio par Dennis Coffey.
I found this without a record… so haven’t heard the actual songs that came housed in it. Paul Winley Records’ Super Disco Breaks fit nicely though, since i had a sleeve-less copy of that one. Especially the tune Scorpio by Dennis Coffey.
Expressway Yo-Yo Dieting ‎– Bubblethug (Weird Forest, 2010)
Intense chopped & screwed tracks and artwork by Pat Maher. The morphed crystalline purple slime Tommy Boy logo and slowed underwater raps compliment each other.
Écrit par: Ted Supercar
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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