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Didier Lestrade vend ses disques

today21/12/2012 778 1 1

Arrière-plan
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XMAS Time… C’est la formule consacrée à l’annonce, il y a quelques jours, de la mise en vente de la collection personnelle de disques de Didier Lestrade. Plutôt que de déléguer ça à un shop parisien ou de jouer la carte de la surenchère sur eBay, Didier a décidé d’organiser sa vente comme nul autre. Il ne m’en fallait pas beaucoup plus pour lui poser quelques questions et stopper net cette série d’actes manqués (son nom revenant depuis trop longtemps sur mon agenda sans que je me décide à y remédier). Loin de moi l’envie de teaser une interview qui tease le principe de la vente à venir mais ces quelques mots échangés avec Didier sont parmi mes highlights de l’année qui s’achève. Plaisir.

Tu parles de cette vente depuis quelques mois. Tu l’inscris dans la continuité du travail de compilation de tes chroniques écrites pour Libération ?

Oui c’est pour moi un moyen de tourner la page et de voir ça avec toujours plus  de recul. La raison principale est financière mais si je voulais en tirer un meilleur prix, j’irais simplement sur eBay. Mon idée est de transmettre ça à un prix tolérable, même s’il reste élevé dans une époque de crise qui affecte particulièrement les gens qui aiment cette musique. Si je vendais des disques rares de classique ou de jazz, ça ne serait pas du tout le même public. Pour moi, c’est l’occasion de vendre une collection qui, de toute manière, a déjà été grignotée par quelques amis qui se sont jetés dessus au moment de mon départ de Paris, il y a dix ans. Je crois qu’ils en parlent encore.

Il me semble avoir lu que tu préparais des boîtes de maxis/albums. La logique de compilation des albums sera-t-elle proche du chapitrage de ton livre ? Les maxis/albums seront-ils seulement house ?

Non, c’est un lot de 35 boîtes à peu près, maxi 40. Chacune comportera 40 à 50 maxis, quelques albums aussi, avec chacune un thème (ndlr : pour ceux qui se posaient la question, on vous laisse faire le calcul de la somme totale de disques à vendre). Donc ça va de la house de Chicago à la techno de Détroit, le garage, la house de New-York, la disco, la hi-NRG, Madonna, EBTG, même les trucs cheesy, tout quoi. Ça va dans plein de genres musicaux, enfin les miens. Chaque boîte en bois aura les disques, des magazines house de l’époque avec des articles sur le genre, un texte écrit pour chaque lot (bon pas des pages hein !). Et puis un livre (sur n’importe quel sujet), quelques magazines vintage de physique des années 60 (des mecs torse nus) et puis des petits trucs comme un petit bouquet d’herbes sèches, une branche de laurier pour parfumer, des trucs symboliques, probablement du collage à l’intérieur de la boîte ou à l’extérieur, du papier de soie, des trucs comme ça. Le genre d’objet qu’on glisse dans sa collection de maxis. Comme un coffret de disques.

Tu disais dans l’intro du livre : « Quand vous écrivez sur une musique aussi marginale que la house, vous n’avez aucune idée de votre impact ». Tu as promis d’accompagner les boîtes d’un texte signé de ta main en disant plus sur le contenu du package. Tu vas désormais t’adresser à des gens qui ont été réceptifs à cette musique, voire touchés par elle ; ta « troisième génération de lecteurs » comme tu le dis. Comment abordes-tu cette réécriture de textes autour d’une musique qui a désormais ses propres médias et ses multiples commentateurs (journalistes spécialisés, blogueurs, etc.) ?

J’écris facilement donc je peux faire un texte différent pour les 40 boîtes. D’abord je vais espacer cette vente sur plusieurs mois, je n’ai pas envie de courir. Mais je peux m’adresser à la personne qui achète la boîte pour lui raconter un petit texte sur comment et pourquoi ces disques sont arrivés chez moi, pourquoi je les ai achetés, pourquoi je les aime toujours. C’est un texte d’une page, c’est tout. Il n’est pas personnalisé (ce n’est pas « Cher Jean-Michel »â€¦).

Haha ok.

Quand j’ai pensé à vendre cette collection, je me suis demandé ce que je pourrais mettre dans la boîte comme valeur ajoutée et je me suis dit : « Ben, tu sais écrire ». C’est gratuit. Je ne vais pas l’imprimer sur un parchemin avec de la cire et un tampon (bien que… ça serait cool). Je veux accompagner ces disques dans leur nouvelle maison et apporter un truc en plus qui peut faire passer le prix élevé du lot. Un petit bouquet de fleurs, c’est complètement patate, je sais, ça n’a rien à voir avec la house (bien que) mais c’est un truc que je devais faire. Parce que ça vient de mon jardin. Je suis parti de Paris pour aller vivre à la campagne. Et ces disques partent de la campagne pour retourner, sûrement vers la ville. Donc c’est ma manière de mettre de l’affection dans une certaine manière d’écrire sur la musique, oui.

Parlons un peu plus de la constitution de ta collection. Quand tu as commencé à écrire sur la house, est-ce que tu te considérais comme un crate digger (ndlr : les fouilleurs de bacs à disques) forcené ?

Oui. Si je voyageais quelque part, c’était aussi pour trouver des disques. Absolument. C’est pour ça que j’achetais tous ces magazine de dance music (DJ, MixMag, etc.). Et je surlignais tout ce que je voulais acheter ou demander aux maisons de disques.I was obsessed. Les gens se moquaient de moi (rires).

Est-ce que, par exemple, tu aurais pris part, en tant qu’acheteur, au type de vente que tu vas proposer ?

Oui. Si j’avais l’argent, oui.
Ton livre m’avait fait ressentir un rapport à l’achat de musique très naturel, du genre j’étais au bon endroit (un pied-à-terre a New-York, un autre à Paris) au bon moment.

J’ai été un vorace de disques dès mon enfance. Quand la disco est arrivée, je n’avais pas d’argent. Et j’ai commencé à en avoir (un peu) avec l’arrivée de la house. À New-York, les classiques de 87 se vendaient 3$. Je devenais dingue ! Je rapportais des disques que personne n’avait. Après ce furent les Ivan Smagghe, Julien Jabre, toussa, et bien sûr Laurent Garnier qui ont poussé la chasse aux disques à une vitesse bien supérieure. Quand ils s’y sont mis, moi je commençais déjà à me calmer. Et maintenant je n’achète plus de musique du tout. Je la donne. Pendant des années, des amis peuvent en témoigner, quand il y avait des fans de house qui venaient chez moi pour le week-end, je leur disais : « Choisis 10 maxis et je te dis si tu peux les prendre« . Donc là je vends la collec’ d’un coup. Je ne garde que 100 disques à peu près, et encore, je vais essayer de défi-graisser au maximum. Mais il y a certains disques, c’est impossible de les voir partir.

J’imagine que ta position de journaliste t’a très vite ouvert les portes des tirages promos, white label… Tous les tirages exclusifs en somme. C’est un truc très spécifique à la dance music…

C’est la disco qui a vraiment inventé cette manière de faire la promo. Il ne faut pas oublier qu’aux États-Unis, les DJ étaient également payés pour ça, avec de la drogue aussi – on appelait ça « payola« . Mais à mon niveau, c’était juste des maxis offerts, des possibilités d’interviews faciles avec des gens sympas, vraiment passionnés par la dance music. Il y a des labels indépendants qui fonctionnent toujours comme ça heureusement. Une grande partie de ces disques venait des maisons de disques. Mais les trucs les plus pointus, c’était Londres ou New-York. Donc sur la période que je connais bien, il y a un choix assez représentatif de ce qui faisait à l’époque. Grosso modo, ça va de 1977 à 2000.

Comptes-tu inclure ce type d’objet à ta vente ? Y a-t-il des choses intéressantes à en dire ?

Oui, je recevais beaucoup de choses comme après d’autres journalistes bien sûr. Beaucoup de maxis house français aussi. Les petits labels dont on parlait dans Libération étaient toujours ouverts. À New-York, je leur téléphonais, super intimidé, et ils me disaient tous : « Come over!« , et il y avait ce paquet de 15 maxis de Sleeping Bag, d’Atlantic. Ils étaient tellement gentils ! Mais au retour, il fallait que je parle de ces disques sans oublier qu’il était impossible pour le public de les avoir, parfois, et ça ne sert à rien de faire le malin devant un lectorat de fans. Tu vas pas faire chiper les gens parce que tu as un maxi sorti en white label à 1000 exemplaires. C’est idiot de se la péter. You stay low. Après tout, j’étais juste un white boy qui achetait de la musique noire.

Ton livre fait également ressortir un désenchantement croissant au fil du temps. Tu pointes le manque d’investissement (au sens premier du terme) de certains acteurs de la scène française en citant notamment les Daft Punk et certaines maisons de disques. À travers ces boîtes, vas-tu également documenter ce que tu as défini comme « l’échec politique » de cette musique ?

Moi, c’est pas seulement les artistes. Quand les maisons de disques ont commencé à nous envoyer des pré-CD sans pochettes, j’ai laissé tomber. Je vais arrêter de parler de cette déception, mais pour moi ça a été le vrai tournant. Enfin, ce sont des multinationales ! Un CD, ça ne coûte rien, on le sait. Maintenant tu vois à la télé des pubs de cinq CD pour le prix d’un ! Ce sont les maisons de disques qui ont dévoyé le statut de l’artiste, du produit, du journalisme. Parce que c’est toute la chaîne qui est pervertie d’un coup. « Ah d’accord si tu m’envoies un pré-CD avec rien dessus, je vais te faire un papier de merde si tu veux« . Avant, on travaillait pour le disque, pour le producteur, pour le DJ, pour le lecteur. Maintenant on travaille pour la maison de disques. J’ai pas signé pour ça, moi. Donc forcément, après, le message politique de la house, il part à la poubelle. C’est inévitable. C’est ce qui s’est passé pour plein de styles musicaux.

Tu as dû commencer à bosser sur la constitution de ces boîtes. Y a-t-il des assemblages de musique que tu aurais pensés impossibles et qui t’ont poussé à réévaluer certains albums ?

Ah, intéressant. Oui, j’ai un bundle de New Order par exemple que je vais associer à d’autres artistes, je ne sais pas encore. Everything But The Girl va avec Todd Terry, pour les raisons évidentes de la jonction du mix de Missing. Les Pet Shop Boys iront avec l’italo disco, comme il convient. Frankie Knuckles va avec Inner City. François K va avec le côté trippy. Le drum & bass va avec tout le continuum breakbeats. Je ne vends RIEN de Kraftwerk. Tribal et la house Boum Boum de Junior Vasquez vont avec d’autres kitscheries. Le lot de Bronski Beat va être superbe. Le coffret gay encore plus. Et il y aura un truc de dingue, genre Soft Cell, toutes ces bizarreries. J’ai peur de mettre Madonna et Janet dans la même boîte.

Au regard de toutes les références que tu viens de citer, il y a inévitablement derrière cette vente l’idée d’une transmission. Penses-tu pouvoir toucher un public jeune ? 

C’est pour ça que je prends arbitrairement le prix de 450€. Il y a la boîte à faire, l’envoi par FedEx, tout ça. C’est un objet solide. Mais 400€, je ne gagnerais pas assez. Et à partir de 600€, je considérerais que c’est de l’arnaque. C’est pas un objet Colette. C’est du bois bas de gamme, clean, simple. C’est difficile pour un jeune de sortir 450€ et je sais pertinemment que c’est la crise. Mais si je mettais ça trop cher, ce serait totalement impossible pour un jeune ne serait-ce que d’y penser. It wouldn’t be fair.

Car mon idée, oui, bien sûr, c’est de transmettre ça à une génération plus jeune, qui va utiliser ces disques, qui va les faire écouter à ses amis, qui les jouera. C’est pour ça que je le fais, faire vivre à nouveau ces disques. J’ai 54 ans, je suis seul, sans mec, et c’est dur d’être seul à cet âge. Normalement, des disques comme ça, c’est fait pour être écouté avec un mec qu’on aime bien. Alors je sais que ces disques vont apporter du plaisir à celui ou celle qui va les acheter. Et il y a de la lecture avec. C’est pas juste une boîte qu’on ouvre et qu’on referme. C’est un « conversation starter » comme on dit en anglais. Et ça, bien sûr, ça me fait plaisir. Il faut voir ça comme un objet d’artisanat folk. Comme le menuisier qui fait les boîtes.

Tu as un point de vue tranché sur la surabondance de musique à disposition du public. Selon toi, est-ce que ce travail de documentation (textes, magazines… accompagnant les albums) est un préalable impératif à la réception et à l’écoute de musiques portées par des temporalités superposées (comme peut l’être la house) ?

Je ne sais pas s’il y a trop de musique, c’est le sujet d’un grand article que je dois écrire depuis au moins deux ans (and don’t you DARE write it before me!). Mais en tout cas, c’est un moyen de nettoyer ma vie de ces objets que je préfère passer à d’autres. Dans cette collection, tout n’est pas formidable. C’est une manière pour moi de régler ce problème de l’héritage maintenant. Parce que je choisis le moment. Parce que je vois que les jeunes possèdent une connaissance de la house et de la techno qui me dépasse complètement, je suis admiratif de voir leur érudition, la manière avec laquelle ils ont tout compris, tout. Suivre la musique aujourd’hui, c’est beaucoup plus difficile qu’avant. Un journaliste comme moi pouvait très bien voir la production musicale au fur et à mesure, c’était facile de rester on top. Aujourd’hui, il faut regarder sur les cinq continents. donc c’est un mass media en soi, ce qui me crève le coeur aussi. La musique, c’est le plus gros média au monde avec le sport.

Et concrètement, comment la vente va s’organiser ?

C’est simple. Ce sont des boîtes de 33 cm par 25 cm de hauteur avec un rabat. Du bois simple, du contreplaqué, peut-être même plusieurs sortes de bois dans la même boîte. C’est fait par un petit artisan du coin. Au fur et à mesure, je pourrai même faire telle planche de bois différente d’une autre. Chaque boîte est un peu différente, numérotée, signée. Chacune est un peu customisée. C’est raffiné mais prolo.

D’ici quelques jours, j’aurai une plateforme quelque part sur le net avec la liste des disques, leurs photos, les liens avec Discogs, et pour chaque boîte les photos de ce qu’il y a dedans. La seule chose qui ne sera pas publiée, c’est le texte, dont l’acheteur fera ce qu’il veut.

Ok.

Ensuite c’est lancé sur FB et Twitter à n’importe quel moment (quand je suis prêt quoi) et LE PREMIER qui me dit réponds : « J’achète » et à qui je donne le feu vert peut virer les 450€ sur mon compte PayPal, c’est confirmé. Et ça part le lendemain par FedEx avec du papier bulle et tout le bazar. ET IL FAUT ME CROIRE : ce sera le premier. L’avantage d’internet, c’est qu’on sait à la seconde près quand on reçoit le message. Le premier, c’est le premier. L’idée, c’est l’égalité. C’est le principe complet de cette vente. C’est comme ça ! Pas d’engueulade, pas de surenchère financière ou affective. Ça peut être un total inconnu comme un grand DJ que j’adore comme Gilbert Cohen. Il y aura deux ou trois lots vendus par mois, ça va durer six mois donc pas de panique.

NDLR : Les lots sont / seront visibles ici : http://dl-musicarchives.tumblr.com/

Écrit par: Nicolas

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Commentaires d’articles (1)

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  1. Sal Russo sur 14/02/2013

    C’est un peu (même beaucoup!) triste de lire ce fraseggio de Didier Lestrade. Ca doit faire plus de 20 ans que je ne voit plus Didier. D’ailleur il y a eu toujours un « imbroglio » non-violent, « radical » comme le parti Radical de Marco Pannella en Italie. C.A.D.: je pense que Didier pense que je pensais d’être amoureux de lui, ça n’a jamais était le cas. Quand je le rencontrait au ReX Club je lui voulais temoigner ma sympathie pour lui, pour son oeuvre et aussi parce que il fut un des prémieres à parler de Bonus Beat (magasin de House Music que j’ai ouvert à la Bastille en été ’88). Oui je sais ça fait un bail. Je venais d’arriver à Paris de ma Rome avec l’intention d’ouvrir un magasin de House Music. A Rome il y en avait dejà trois,et je n’aime pas les échecs en general. Je suis (lol) un romain venu conquerir Lutetia et avec difficulté (les prémieres quatre mois) tout c’est très bien passé. L’argent coulait à flot, méme si en 2.000 sûr un coup de tête improviste (çà m’a pris quelques secondes de reflexion) j’ai fermè le magasin qui entre-temps avait changé de nom s’appelant tout simplement « B.P.M. ». Pour retourner à Didier j’en ai lui voulu un peu de ne pas m’avoir pas compris. Je ne lui montrait pas de l’amour, mais une énorme amour d’amitié, de reconnaissance e d’empathie. A l’epoque je m’en souviens on était maximum dix personnes dans tout Paris à écouter les disques de « NU GROOVE », label House de New York qui à realisé pas mal des chef-d’oeuvres . Je pense tout suite a « Equation » que j’écoute encore aujourd’hui comme si je venait de le recevoir au magasin. L’ouverture de Dix-Quinze cartons hebdomadaires c’était un moment mystique pour nous tous à BPM. Je ne regrettarai jamais cette extraordinaire aventure trés fatigant (parce que la nuit en plus on sortait avec tout le cortége des champignons hallucinogenes, LSD ou ecstasy que la « situation » imposé. Je ne fait pas une apologie mais plutôt une « apologize ». On offrait nos beaux corps (quel ego-mania trip) à la Déesse House et çà duré un bon moment! mais une fois compris le mechanisme on dechante trés facilment. Les psycotropes ne sont pas un fin mais un moyen. On prend pas le metro pour le gout de le prendre mais pour aller quelque part faire quelque chose. Long vie à la musique electronique, oh combien est inutile cette derniére phrase! Ciao. Sal Russo

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