HZ RADIO hz radio
Slow Focus ou quand l’œil fait le point et s’accommode lentement à son environnement immédiat. Procédant de multiples contextes, dont le plus récurent et partagé de tous – entre réveil chaotique, mine grise et bouche pâteuse -, cette inflexion du cristallin, assurant la convergence des rayons lumineux sur la rétine, est relativement fréquente lors d’un passage brutal entre clarté et obscurité. Et inversement. D’un lascif émerveillement, drapé de sommeil, à la prise de conscience laborieuse et nécessaire, ce phénomène visuel – auréolé depuis la nuit des temps par cette dimension philosophique conférée par le récit platonicien du mythe de la caverne -, vient de trouver avec le troisième album des Anglais de Fuck Buttons une double mise en perspective, à la fois sonique et orgasmique. De leur propre aveu, « on se sent comme au réveil, lorsque l’on ouvre les yeux et qu’on prend conscience d’être dans un endroit inhabituel et pas particulièrement accueillant. » À paraître le 22 juillet prochain sur ATP Recording, Slow Focus conjugue ainsi métaphore biologique et expérience sensorielle sur les bases d’un savoir-faire bruitiste, à la frontière de la noise et de l’électronique, déjà éprouvé sur les deux précédents – et anthologiques – albums que sont Street Horsing (2008) et Tarot Sport (2009). Formé en 2004 par Andrew Hung et Benjamin Power, le duo subjugue dès ses premiers EP, entremêlant, au sein de ses textures instrumentales agressions drone et embardées mélodiques, hypnotisant sur la durée n’importe quel fanatique comptant dans son hagiographie des groupes aussi divers que les Yellow Swans, Ministry, My Bloody Valentine, Prurient, Spacemen 3 ou Black Dice. Sans vraiment jamais ressembler à quiconque, sans pour autant utiliser un matériel démentiellement technique pour ériger ses assourdissantes cathédrales – fatras de pédales d’effets, de boîtes à rythme, de synthétiseurs d’occasion et de micros déformants -, Fuck Buttons se trouve rapidement d’illustres protecteurs que les producteurs de ses premiers albums symbolisent : John Cummings – guitariste de Mogwai – pour Street Horsing et Andrew Weatherall – moitié du duo IDM Two Lone Swordsmen – pour Tarot Sport. Soit les deux faces stylistiques d’une même pièce pour un groupe en perpétuelle évolution quant à la formalisation de ses idées. Se nourrissant pour ce faire d’une accumulation sans pareille d’intenses prestations scéniques, doublées d’échappées solitaires dans des projets parallèles – Blank Mass pour l’un, Dawn Hunger pour l’autre -, et désormais désireux d’exprimer l’ampleur de celles-ci par le seul dialogue créatif inhérent au duo, Slow Focus a été méticuleusement autoproduit durant quatre années, les deux natifs de Bristol canalisant dans leur home studio la violence crue émanant de leurs instruments en un climax jubilatoire, transperçant d’une traite – comprendre, sans aucune pause – l’entièreté du LP. S’imposant tel un véritable chef-d’œuvre intime et mutant, confondant l’ADN rave et noise de leurs sept morceaux dans une même hybridation à la lisière de la pop, et balayant d’un revers de manche les fadaises réconfortantes du moment – de Daft Punk à Boards of Canada -, Slow Focus déborde déjà , à l’heure des prémisses, de son lit d’initiés, chatouillant la curiosité d’un public plus large, presque contre son gré, inconsciemment obnubilé par le très chaloupé The Red Wing aux beats élastiques – single par ailleurs marketé en radio edit et transposé à l’image par Andrew Hung lui-même filmant la chorégraphe et danseuse Jacqueline Mitchell. Et si ce dernier constitue sans conteste le nouveau Surf Solar – thème ressassé à merci de Tarot Sport -, Brainfreeze écarte, de par son introduction dévastatrice en deux temps et sa superposition rythmique abrasive, toute inquiétude quant au potentiel pyrotechnique de l’album. D’entrée de jeu, on sent la lame caresser l’aorte dans un déluge inflexible et claustrophobe, l’étreinte ne se desserrant aucunement à l’aube d’un elliptique Year of the Dog évidée de toute métrique. Loin de l’avanie, et tandis que Sentients et Prince’s Prize obtiennent le prix du concassage en règle, un trouble halo mélodique dardé de sinusoïdes emphatiques enveloppant leur implacable marche, Stalker révèle une ode progressive et ascensionnelle vers un paradis synthétique que ne renierait aucunement Stuart Braithwaite s’il ne s’adonnait pas exclusivement à la guitare et au piano – à 6’42 les étoiles scintillent. Hidden XS ne faisant que grossir le trait de cette maturité nouvelle, délaissant l’apocalypse tempétueuse pour s’enquérir d’une mélancolie explosant de mille feux, Slow Focus n’a de cesse de résonner : à ce tarif, la mise au point risque l’éternité.
En quoi Slow Focus est-il un alien, comme vous l’avez récemment déclaré ?
You’ve recently labeled Slow Focus as alien, why is that?
Benjamin Power : Cela a plus à voir avec le sentiment global lié aux morceaux qui composent Slow Focus, ceux-ci provenant d’une palette que nous n’avions pas explorée sur les albums précédents. Ce terme d’alien correspond à une esthétique visuelle issue des conversations que nous avons pu avoir entre nous au moment de finaliser l’album. Les paysages créés procèdent d’un feeling différent par rapport à nos travaux passés.
Benjamin Power: I would say it has more to do with the fact that the overall sentiment attached to the tracks on ‘Slow Focus’ are of a palette which we hadn’t explored prior to this on previous albums. The term ‘alien’ has more to do with the visual aesthetic which stems from conversations we had between ourselves upon completion of the record. The ‘landscapes’ created have a very alien feel to them when considering our previous works
Street Horsing fut produit par John Cummings et Tarot Sport par Andrew Weatherall. Pourquoi avoir décidé de produire seul Slow Focus, dans votre propre studio ? Quelles idées ou objectifs aviez-vous en tête ?
Street Horsing was produced by John Cummings and Tarot Sport by Andrew Weatherall. Why did you decide to produce Slow Focus in your own studio? What did you have in mind, what goals did you want to achieve?
BP : Dans notre propre studio, dénommé Space Mountain, nous avons produit l’ensemble des morceaux de l’album. Lorsque nous écrivons notre musique, la règle de base est que nous sommes ensemble pour explorer des idées avec le dispositif instrumental à notre disposition sur le moment. Ce qui veut dire que nous construisons nos morceaux comme ils viennent, dans une configuration live. Ce coup-ci, ce processus a rendu inutile la présence d’une autre tête pensante.
BP: We have a studio of our own named Space Mountain in which we worked on producing all of the songs on the record. When we write our music, the general rule is that we are together in the studio exploring ideas with whatever instrumentation we have to hand at that time. This means that we are producing our tracks as we go along, in a ‘live’ capacity. This process nullified the need for another head in the process this time round.
En termes esthétiques, comment jugez-vous l’évolution de votre son depuis Tarot Sport ?
How would you define your aesthetical evolution since Tarot Sport?
BP : Lorsqu’il s’agit de notre musique, nous aimons que les choses soient toujours en mouvement et en constante évolution, et ce, jusqu’au sentiment qu’elle suscite. Je pense que ce nouveau disque possède une certaine violence qui n’était pas nécessairement apparente sur nos enregistrements précédents.
BP: We like to constantly keeps things moving and evolving when it comes to our music. Even down to the sentiment it evokes. I think the new record has a certain violence to it which wasn’t necessarily apparent on our other recordings.
Vous avez chacun vos projets parallèles – Blank Mass pour Benjamin et Dawn Hunger pour Andrew. En quoi ceux-ci ont-ils influé sur votre façon de concevoir Slow Focus ?
You each have a solo project – Blank Mass for Benjamin and Dawn Hunger for Andrew – how did that influence the conception of Slow Focus?
BP : Aucunement. Ce que nous choisissons de faire durant notre temps libre n’interfère pas avec ce que nous faisons en tant que Fuck Buttons.
Andrew Hung : « Influence » n’est pas le bon mot car cela impliquerait un effort conscient, après bien sûr, tout ce que nous faisons en tant qu’êtres humains détermine nos actions et notre comportement. Nous grandissons !
BP: Not at all. what we choose to do in out spare time doesn’t interfere with what we do in Fuck Buttons.
Andrew Hung: « Influence » wouldn’t be the right word because that implies a conscious effort, but of course, everything we do as human beings informs what we do and act as. We’re growing!
Votre musique gravite entre déflagration noise et expérimentation électronique. Dans la démarche, vous vous sentez plus proche de Mogwai ou d’Aphex Twin ?
Your music revolves around noise deflagrations and electronic experimentations. Do you feel closer to Mogwaï or Aphex Twin?
BP : Malgré le fait que les Mogwai soient nos amis, et que ces deux groupes ont été d’une importance majeure lorsque nous grandissions, nous ne nous sentons pas particulièrement proches de qui que ce soit lorsqu’il s’agit de notre musique. Nous ne prêtons pas attention à ce que font les autres et n’essayons pas d’émuler ce que l’on peut entendre. Nous sommes des solitaires en quelque sorte. Ceci étant dit, il s’agit là d’artistes aussi incroyables qu’importants.
BP: Although Mogwai are our friends, and both acts were important to us growing up, we don’t feel that we are particularly close to anybody when it comes to our music. We certainly don’t look at what others do and try and emulate that. So to us we’re kind of loners in that sense. Saying that, both are incredible and important artists.
Comment naissent vos morceaux ? Sont-il le résultat d’accidents ou au contraire d’une patiente recherche de tonalités ?
How do you create your songs? Are they the result of accidents or on the contrary, do they come from a patient research of tonalities?
BP : Ta première proposition n’est vraiment pas loin de la vérité. Les morceaux proviennent de multiples expérimentations avec du matériel dont, la moitié du temps, nous ne sommes pas totalement certains du bon fonctionnement. Le résultat est que nous nous surprenons souvent avec les textures révélées. Une fois que nous tombons d’accord sur certaines d’entre elles et que nous trouvons une palette, nous structurons. Le filtre est la combinaison de nos goûts, c’est ce qui donne la forme définitive à nos morceaux.
AH : La première étape est souvent la plus importante, nous nous sensibilisons à des sons/textures/rythmes, etc. Et lorsque nous tombons d’accord, nous commençons à construire, traiter, manipuler, arranger…
BP: You’re not far from the truth in the former at all. They come from a great deal of experimentation with equipment that half of the time, we’re not even 100% sure what it does. The result is that often we surprise ourselves with the textures we conjure up. Once we agree on certain textures and have found a palette, we structure. The filter is our combined taste and that is what gives the tracks their ultimate form.
AH: The first stage is often the most important and that is, we sensitise ourselves to sounds/textures/rhythms etc. and when we find something that is agreeable to us both, then we start building, crafting, manipulating, arranging…
Votre musique peut à la fois être perçue comme un voyage mental et terrestre. Quels sentiments vous habitent à l’heure de la concevoir, de l’exécuter sur scène ?
Your music can be perceived as a mental as well as a terrestrial journey. What are your feelings when you’re creating your tunes and when you’re performing them live?
BP : Nous aimons ce que nous faisons. C’est un vrai privilège que de pouvoir être dans cette position et partager ce qui compte pour nous avec les autres. J’aime tous les aspects de cette activité, l’écriture, l’enregistrement et les performances live. Le fait de pouvoir vivre ça avec un ami que je connais depuis si longtemps me remplit d’humilité.
BP: We love what we do. It really is a privilege to be in the position to be able to share what we hold so dear with others. I love every aspect of doing this, the writing, the recording and the playing live. It makes me feel very humbled to be able to experience this with a friend whom I have known for so many years.
Vos albums sont-ils conçus pour être joués live ou au contraire la transposition de ceux-ci se fait par la suite, à l’heure de préparer vos tournées ?
Are you albums conceived for the live performances or do you work on adapting them before going on tour?
BP : Comme je l’évoquais avant, nous écrivons dans une configuration de live. Nous nous installons des deux côtés d’une table et faisons rebondir les idées comme on le fait en live. Mais les choses changent et évoluent toujours d’une manière ou d’une autre. Plus souvent que le contraire en tout cas, car jouer en live les morceaux influe sur la manière dont ceux-ci se forment et sont exécutés.
BP: As i mentioned before, we write in a live capacity. We set up either side of the table and bounce ideas around, just as we do live. But things are always changing and evolving somewhat. More often than not, actually playing tracks out live at shows can play a part in how they form and are executed.
Vous enchaînez vos trois albums sur ATP Recording. En quoi est-ce le bon label ? Que représente-t-il pour vous au-delà des All Tomorrow’s Parties ?
It’s your third album straight on ATP Recordings. How is it the right label for you? What does it represent for you besides of the All Tomorrow Parties?
BP : Ce sont des amis et il y a un vrai rapport de confiance. Ils nous laissent le contrôle total. ATP est une organisation incroyable et importante, c’est donc un privilège de faire partie de cette famille.
BP: They are our friends and there is a trust there. They give us complete control. ATP is an amazing and important organisation so it is a privilege to be part of the family.
Vous jouissez d’une reconnaissance sans égale pour un groupe de votre genre, à la fois instrumental et expérimental – Olympians ayant même été sélectionné pour la cérémonie des Jeux Olympiques de Londres. Comment l’expliquez-vous ?
You enjoy an unmatched recognition for a band of your style, both instrumental and experimental, Olympians being even selected for the London Olympic Games ceremony. How would you explain it ?
AH : Nous ne sommes pas tellement dans la capacité d’expliquer pourquoi les gens continuent à nous écouter, mais ce que nous pouvons dire c’est que la musique que nous faisons nous touche, donc avec un peu de chance c’est ce qu’elle produit aussi chez les autres.
AH/ We’re probably not in a position to explain why people continue to listen to us, but we can say that the music we make moves us, so with any luck that’s what it does for other people.
Dernière question… avez-vous un accord quel-qu’il soit avec la congrégation mondiale des orthophonistes ?
Last question, do you have any kind of agreement with the mondial congregation of otolaryngologist?
BP : Ha ! Non nous n’avons pas encore de deal avec eux !
AH : Quoi ?
BP: Ha. no we’ve not cut a deal with them yet!
AH: Wut?
Fuck Buttons – Slow Focus (ATP Recordings, 22 juillet 2013)
01. Brainfreeze
02. Year of the Dog
03. The Red Wing
04. Sentients
05. Prince’s Prize
06. Stalker
07. Hidden XS
Écrit par: Thibault
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
Hartzine the indie music webzine since 2007
Commentaires d’articles (0)