HZ RADIO hz radio
Il y a trois ans un mail anonyme faisant mal aux yeux annonçait la naissance d’un label cassette, ou quelque chose dans le genre, se dénommant le Truc Mécanique. Le Truc Mécanique, soit. Un nom bizarre, mais il faut de tout pour faire un monde. A la limite, le Truc Magnétique, pour un label cassette ça peut vouloir dire quelque chose. Mais après trois ans d’existence, à graviter non loin des collectifs Iceberg (lire) ou Nothing (lire) et à copiner avec des labels tels qu’Anywave et Lentonia – avec qui ils viennent de fonder Tiers Etat – , et une douzaine de disques parmi lesquels ceux de Strasbourg (lire), Harshlove (lire), Maria False ou plus récemment Marble Arch (lire), j’ai compris que ma dyslexie m’avait une nouvelle fois bien baisée et qu’il fallait lire Le Turc Mécanique. Rien à voir, ou presque. Investissant Les Nautes à Paris pour souffler ses trois bougies les 20 et 21 février prochains (Event FB), nous avons posé quelques questions à Charles Crost, son inénarrable dépositaire, qui en sus nous a gratifié d’une mixtape à écouter et télécharger ci-après.
Dis-moi comment Le Turc Mécanique a commencé ?
Le Turc a commencé il y a 3 ans. C’est d’abord lié au fait que l’ado que j’étais avait été plongé dans la musique « alternative » par un (mal)heureux hasard qu’Hartzine connaît. Je ne glandais pas grand chose après un essai en fac, je passais ma vie à zoner chez ma mère. Sur la même période, je dépannais Lucie Jacquemart, plasticienne de grand talent, d’un lit chez cette même maman. Pour occuper mon temps, aspiré par une passion nouvelle pour les musiques post-punk au sens large, je l’ai engrené dans l’idée de monter un label cassette. Six mois plus tard, on sortait une première compilation, à l’époque mondialisée, à 30 exemplaires copiées et peintes à la main. On organisait des soirées à happening arty avec les premiers groupes qui nous avaient fait confiance. Le label était lancé. Lucie a quitté Le Turc Mecanique peu après, happée par des études d’art dans des écoles prestigieuses, dont elle n’avait certainement pas besoin.
Pourquoi ce nom ?
Le nom est une question récurrente : c’est une escroquerie du 18ème siècle, un faux robot qui jouait au échec. Évidemment, il y avait quelqu’un dedans, mais l’arnaque a duré cinquante ans. Cette idée collait bien avec le principe du label à l’époque : rouler des mécaniques en jouant aux maisons de disques alors qu’en fait, je faisais juste des cassettes chez ma mère. Sans compter les références à l’univers robotique qui est une pièce redondante de toute une musique qui anime la maison, la cold, la musique industrielle, etc…
Le label a trois ans. Peux-tu nous indiquer les dates importantes de cette aventure ?
Naturellement, le moment où on a sorti cette première cassette. Mais c’est la suite immédiate qui a été la plus importante. Le moment où l’existence en tant que label m’a mis en contact avec « l’underground » français, pour lequel j’ai développé une grande passion. C’est ce qui a abouti à la sortie du disque de Maria False, un an plus tard. Cette année de gestation a permis de vraiment donner son sens au label. Pas un seul disque – un peu de digital – mais beaucoup de découvertes et de rencontres passionnantes avec des labels, des groupes. C’est là que l’identité et l’utilité que je voulais donner à la maison s’est vraiment décidée.
Ensuite, le premier 12 » à 300 exemplaires. Le premier projet où le label dépassait mon simple activisme. Faire un cassette est une chose. Sortir un gros vinyle est quelque chose qui est plus grand que toi, c’est du sérieux. C’est avec Sexe et Violence de Strasbourg que le label est devenu une structure solide, que tout un pan des enjeux ont été identifiés et appréhendés. Que c’est devenu plus « pro ». C’est à ce moment là que le robot prenait vie, pour reprendre l’origine du nom du label.
Chaque sortie a eu son importance, parce qu’elle faisait suite à une urgence. Face à la découverte d’un groupe LTM, il y a toujours eut comme une poche d’urgence qui gonflait que seule la sortie d’un disque pouvait purger. J’ai donc vécu à fond chaque projet, même avorté – une seule fois, et c’est dommage. Je suis très compulsif, alors j’ai fait en sorte de créer une économie globale incluant tous les pans de ma vie pour y laisser libre cours et ne pas avoir à compter sur les ventes pour assurer ces « pulsions discographiques ». Petit loyer, pas trop de sapes – quoi que ça devienne urgent là – mais un rythme de sorties qui me semble convenable.
Ces derniers temps, je commence à avoir une clientèle vraiment fidèle, et surtout à discuter de plus en plus avec elle. Quasiment à chaque envoi, je fais une lettre. Certains me répondent dans un mail ou sur Facebook et c’est vraiment agréable. Parce que c’est exactement ce que je veux : créer un rapport de confiance, pouvoir parler avec eux des disques, des disques d’autres structures, voir même, parfois, de leur vie courante. C’est très plaisant d’avoir des retours.
Quel genre de labels t’ont inspiré dans ton approche ?
A vrai dire, aucun. C’est dans mon caractère : je décide de faire des choses avant de savoir comment elles fonctionnent. J’apprends en pratiquant. Aujourd’hui, je commence à savoir défendre un disque. J’apprends à distribuer aussi. Et je découvre l’histoire de nombreux labels qui me sont contemporains. Mais je n’en ai vraiment rien à foutre des cultes et des subventionnés : ils étaient ou sont dans une autre économie et n’ont pas grand chose à m’apprendre. Ce n’est pas de la prétention, simplement la musique des 10’s en France n’a rien à voir avec celle des 80’s ou 90’s. Et les subventions ne me concernent pas pour des raisons de budget – l’argent appelle l’argent, tout ça… J’en ai un peu rien à foutre des « mythique » et des « importants ».
Ce que je veux dire, c’est que les gens qui m’inspirent sont ceux avec lesquels je co-existe : Anywave, Croque Macadam, Lentonia, Stellar Kinematics, Teenage Menopause, Requiem pour un Twister et tant d’autres. D’ailleurs, je n’achète que très rarement des disques qui ne sont pas français et actuels. Sans aimer plus avant le garage rock, je préfère chopper un disque de Sapin à une ré-édition cold 80 sur Dark Entries. Je la piraterais, au besoin. Je n’aime pas trop le culte.
Le label brasse un grand nombre de styles musicaux différents. Quels sont ceux qui te motivent le plus aujourd’hui ?
Oui et non. Le mot « post punk » peut tout rassembler (en dehors du 7 » de Slaves of Joy, qui était un hors-série mignon, « familial » pour Noël). D’abord, il y a cette importance pour la musique qui m’est proche géographiquement. J’ai besoin de savoir que je peux discuter avec les gars, les faire jouer, faire la fête… J’ai globalement plus d’affinité pour la musique du coin, et ce, sans militantisme idéologique particulier. C’est comme ça.
Ensuite, j’ai ce patrimoine post punk, qui digère les codes de la new wave, de la cold, de l’indus, du shoegaze, de l’EBM etc… D’autre part, j’aime essayer de composer une histoire dans ce label, d’avoir quelque chose de différent à raconter à chaque sortie. J’aimerais pas faire un label de punk avec 20 disques qui tourne sur le même son et la même suite d’accords.
Les projets qui créent cette « poche d’urgence » sont toujours des groupes qui m’inspirent des histoires. Backt Mariah et son obsession maladive pour Britney et Manson sur fond de synth pop moderne ou Strasbourg, la crasse, le côté ultra messe noire, mais avec un truc PMU, satanisme à la bière qui décrispe la noise : ça me fait vibrer. Il faut qu’il y ait la musique, mais aussi un univers dans lequel j’ai envie de m’embarquer. Parfois, ça embarque aussi les gens, parfois on est moins nombreux. C’est le jeu. Mais on est de plus en plus suivis donc je suis plutôt heureux.
Pour finir avec cette idée d’éclatement, je ne suis pas tout à fait d’accord. Quand il y aura cinquante disques au catalogue – l’escroquerie initiale du Turc Mécanique a bien duré 50 ans – cette sensation n’aura, je pense, plus de raison d’être. LTM, ce sera une maison fière rassemblant tout un pan large du post-punk français, dans toute la richesse du terme.
Pour fêter l’anniversaire de la maison, j’ai curaté une playlist de post punk français qui sortira courant février sur 22 Tracks. Ça m’a permis de concevoir, en 22 morceaux, un panel étendu de l’identité du label, avec des groupes extérieurs, mais auxquels se répondent ceux dont j’ai fait les disques.
Quels sont vos formats favoris et pourquoi ?
Le 12 », parce que c’est du sérieux, évidemment. Mais le format passionnel, depuis le début, c’est le 45 tours transparent qui se fabrique à Nantes. Je les fais faire pour le prix auquel je les vends, mais ça permet de faire de toutes petites séries, d’introduire des groupes auprès des fidèles du label. On les met rarement en boutique, parce qu’avec la marge du vendeur, ça fait des 45 tours à plus de 10€, et c’est définitivement chiant.
C’est un format petit budget et le gars qui les fait est soigneux, rapide et très patient, c’est génial de travailler avec lui. C’est l’outil par nature l’expression de l’aspect compulsif dont je parlais. L’illustration parfaite, c’est Empereur. Au départ, on partait pour un long format en fin d’année. Je poste un morceau sur la page Facebook du label il y deux semaines et je reçois pleins de super retours. Résultat, je n’ai pas pu résister : ils sortent un 7 » sur LTM mi-février.
J’aime aussi les cassettes, mais mon copieur est mort, et ça m’a un peu foutu la rage. Je n’ai pas envie de passer par des prestataires pour ça. Si quelqu’un vend un duplicateur par salves de 4 cassettes minimum, je l’invite à me faire un mail.
En tant que gérant de label, le DIY a-t-il une forte influence sur ton travail ?
Oui et non. Il y a DIY et… Pay it yourself. On en a fait beaucoup au départ, du DIY, mais c’est long, chiant, parfois pas aussi beau qu’on l’aimerait. Une usine ou un imprimeur te livre le produit comme tu l’imagines, bien beau, bien propre. Finalement, rapport temps, énergie et même financier, mieux vaut parfois faire confiance à des gens qui savent faire leur boulot. Un mec comme LLCoolJo, par son savoir faire et son talent peut rendre ça viable, il est très fort. Mais moi, je ne sais rien faire des mes dix doigts, sinon impulser l’énergie et réunir des thunes.
Le DIY est devenu une norme par rapport à l’enregistrement de la musique. Une fois sur deux, un artiste va aller en studio et sortir un truc moins bien que ce qu’il aurait fait chez lui ou avec un ami de confiance. En tout cas, le résultat DIY est, 90% du temps, celui que le groupe cherche, en connaissance de ses moyens. C’est comme le mot lo-fi. Lo-fi, finalement, c’est plus ou moins le cas de tout le monde. Personne ne va faire son LP à l’ICP de Bruxelles.
Après, oui, on est dans l’idée de ne dépendre de rien ni de personne. C’est beaucoup de travail, mais ça rend ma vie heureuse. Je dors bien mieux quand je me couche à trois heures du mat’ en ayant passé la soirée à bosser sur le label que quand j’ai rien branlé devant la télé. Heureusement, j’ai pas de télé chez moi.
Quel est le futur proche du TM ? Peux-tu nous dévoiler une des prochaines sorties ?
Empereur, pour ce 45 tours en février. Ce groupe est très excitant : ce sont de jeunes gens, ils ont la rage au ventre, leurs morceaux sont propres et bien produits et ils ont l’air d’être de sacrés sauvages. Je suis impatient de travailler sur la suite. C’est des Bruxellois, donc pas français, mais vu qu’ils sont partis pour jouer souvent à Paris, je vais bien réussir à les faire déménager. C’est du moins mon plan machiavélique.
Ensuite, il y aura le long de Strasbourg. Je suis monstrueusement fier de le sortir. Je pense que c’est le groupe français le plus palpitant de ces dernières années. Ils jouent de l’indus comme des punks, dans un français ultra sale. De leur son à leur « histoire », tout est réussi. Maximum Rock’n’Roll, le magazine américain, disait d’eux que c’était dans la lignée de Metal Urbain. Je pense qu’ils sont dans le vrai.
On monte le collectif Tiers Etat avec Anywave, Lentonia, La Trayeuse Electrique et Rizome Corp. L’idée, c’est de faire un « contre pouvoir » post-punk affirmé, notamment à travers des fêtes qui rassemblent toute la communauté intéressée à Paris et en banlieue. Que ça puisse être aussi un point de chute sûr pour les groupes qu’on aime. Un vrai rendez vous quoi.
Il y a aussi l’anniversaire du label : au programme, tous les groupes du label en live et/ou DJ, une mini capacité voulue, deux jours de fête. Ça risque d’être complètement fou. On fini le festival sur une nuit club, on sera face à la Seine, tous ensemble, ce sera trop bien. Venez !
2015 sera aussi l’année des sous-labels. Puisque Le Turc Mecanique est devenu quelque chose de sérieux, d’organisé, j’avais besoin d’un espace de liberté pour sortir à chaud des disques de musique bizarre, expérimentale, anti-pop. J’ai crée Fuck Records pour ça, avec des CD-R à 25 exemplaires, et les trois premières sorties sont tops, notamment ce EP de drone taré de Forme Etrangère (Manu, de Punks Are Fags en solo). Ce dernier fera notamment la sélection avec moi pour cette sous-division.
Harshlove avait aussi envie de monter le sien, du coup je lui file un coup de main pour Nasal Records. Le premier projet, c’est le sien sous son nom commun, Raph Sabbath. Son EP Goat Ghost Goth déglingue. La suite arrivera au rythme qu’il décidera.
Pour finir, peux-tu nous présenter ta mixtape ?
J’essaie d’y rattraper le côté « jeune con » de ce que je pense des vieux en rendant hommage, à ma façon, à des groupes « cultes » qui ont compté dans la formation de ce patrimoine post punk large dont je parlais. Après, je ne pense pas que ça intéresse beaucoup de lecteurs d’Hartzine d’écouter Panik de Metal U.
J’ai donc édité les morceaux pour les détruire, en les inversant, en faisant des versions chopped & screwed, en les salopant. Le label a trois ans, et comme un enfant de bas âge, j’y détruit de belles choses que j’aime pour le plaisir d’assister à leur simple destruction. C’est donc une demie heure de musique travaillée de manière un peu conne, un peu marrante.
Surtout, j’adore écouter ces versions détournées, parfois complotistes, que postent des anonymes sur youtube. Genre « découvrez pourquoi Beyoncé est illuminati », ça me fait rire, mais surtout je trouve qu’il en sort parfois des choses plutôt intéressantes.
Le mix s’appelle « Torturer le Père ». J’espère que ça vous fera marrer ou plus, mais allez surtout découvrir nos disques, c’est ça l’essentiel.
01. Alain Kan – Speed My Speed (High Speed edit)
02. The Cure – The Kiss (Ssik Eht version)
03. Alesia Cosmos – Pat’lin de merde (Chopped & Screwed version)
04. Throbbing Gristle – Discipline (Enilpicsid version)
05. Suicide – Cheree (Chopped & Crashed version)
06. Metal Urbain – Panik (Chopped & Screwed version)
07. Chelsea – The Right To Work (Krow hystero edit)
08. Béruriers Noirs – Bûcherons (Ring & Catch version)
09. Trisomie 21 – The Last Song (Jpop error tape version)
Écrit par: Thibault
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
Hartzine the indie music webzine since 2007
Commentaires d’articles (0)