C’est toujours paradoxal, mais souvent quand on se retrouve plongé dans l’écoute d’un album plutôt expérimental, on est aux prises non pas avec une abstraction, mais avec une narration. Peau Froide/Léger Soleil, est un album de ce genre là, un album narratif et fictif. Il réunit donc Franck Vigroux, alias Franck Vigroux, et Mika Vainio alias Mika Vainio et Pan Sonic. Pour résumer deux légendes de la scène expérimentale électro-acoustique et techno, qui se retrouvent pour un album commun. L’album est sorti chez Cosmo Rhythmatic le nouveau label de Shapednoise dont on pense les plus belles choses.

Si on a l’habitude d’une production relativement  épaisse et régulière des deux protagonistes, c’est une première en ce qui concerne cette double collaboration. Neuf morceaux, quasiment une heure de musique, on peut déjà constater qu’il s’agit d’un album plutôt très généreux. Plus collaboratif qu’associatif, on peine à savoir si c’est l’un ou si c’est l’autre qui manœuvre au sein de chaque piste. Encore une fois, on est davantage aux prises avec une écoute narrative, celle d’une fiction créée par le son, que devant une écoute prostrée dans l’attente d’une basse, d’un motif abstrait, ou de bruits de machines. On doit plutôt parler d’une ambiance générale, quasi naturaliste de la musique. Bien sûr, ça n’a pas l’air de vouloir dire grand chose. Il ne s’agit pas d’un album « nature et découverte », sur le brame du cerf, mais plutôt d’une fiction froide, entre techno, électro-acoustique et une certaine forme de lenteur drone. Le tout donne un aspect très contemplatif. On retrouve aussi une manière de faire, et une manière d’entreprendre le son qui peuvent s’apparenter clairement à des tropes électro-acoustiques et surtout électroniques. Il y a quelque chose de l’ordre de la contemplation d’une nature morte. Sans doute à ce niveau, le titre est programmatique. Mais il y a aussi quelque chose dans cette contemplation d’une fiction, disons le, politique. C’est-à-dire une entreprise commune autour d’une manière de produire et d’envisager le son comme fiction politique.

C’est un album de micro-ambiances, de micro-situations, et de micro-émotions. Souffles et Le Souterrain fonctionnent comme deux longues nappes lentes et précises, progressivement des matières très fines, très dentelées se superposent pour produire des états émotifs. On travaille sur une fréquence, un grincement, une nappe régulière de son industriel. En ce sens, on peut parler de « fiction politique » en tant que l’album, par l’écoute, brouille et engendre des états d’émotion, des états de sensation qui dépassent à la fois l’appréhension quotidienne du temps, ce qui est ressenti dans le temps quotidien, et l’appréhension quotidienne de la perception. On se retrouve par l’écoute, plongé dans un état de vitesse particulier. On est aussi plongé dans un état de perception et d’émotion différent, autre, dans un ailleurs qui relève du contemplatif et de l’imaginatif. L’album se lit et se reçoit d’avantage comme le parcours dans un espace sonore fictif, que comme une suite logique de morceaux destinés à produire des émotions standardisés d’écoute.

Peau Froide/Léger Soleil est avant tout le lieu d’un sensible intense, entre minimalisme méditatif et maximalisme cinétique. Précis, froid, émotif et hyper-sensible, encore une fois très brillant, Vigroux et Vainio construisent cet ailleurs du son, qui nous fait souvent tant défaut.

Audio

Tracklisting

Vigroux/Vainio РPeau Froide/L̩ger Soleil (Cosmo Rhythmatic, 16 octobre 2015)

01. Deux
02. Mémoire
03. Souffles
04. Mutant
05. Ravages
06. Man
07. Parabole
08. Le souterrain
09. Le crâne tambou