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Interview réalisée avec la bienveillante complicité de Vince VanCuny.
Saudaá Group alias Alexis Paul est l’entité artistique qui porte Street Organ Ritornellos, une aventure poétique à l’orgue automatique s’étalant sur une dizaine de mois, à travers une dizaine de pays. Nous avions pu constater toute l’essence lumineuse de l’orgue de barbarie lors du concert d’Alexis, en première partie de Charlemagne Palestine et Lubomyr Melnyk, à la Maroquinerie, mi-octobre dernier : une aveuglante trentaine de minutes qui ouvrait béante la porte d’entrée vers une étourdissante piste solaire. Saudaá Group s’envolera pour Casablanca fin janvier, première étape d’un parcours décrit dans l’entretien suivant, réalisé en fin d’année dernière.
Quel est la différence entre le Saudaá Group et Street Organ Ritornellos ?
Street Organ Ritornellos est le nom d’un projet particulier que je vais mener en 2016. C’est une sorte de tournée de résidence à la rencontre de répertoires traditionnels et locaux dans une dizaine de pays, Street Organ Ritornellos est le nom du projet et Saudaá Group l’entité artistique qui porte ce projet.
Tu as senti du coup que tu voulais spécifiquement nommer ce projet ?
Pas vraiment en fait parce que dès le début c’était le nom du projet et pas nécessairement autre chose. J’avais plutôt pensé à faire une adaptation de Belle Arché Lou ou de ma musique pour orgue mécanique et c’est après, en commençant à travailler avec l’orgue, que je me suis rendu compte que c’était pas forcément pertinent d’adapter des choses qui existait déjà à l’orgue, c’était plus intéressant de faire de la création, dans le cadre d’un projet solo. C’est plutôt le chemin que j’ai pris maintenant. Il y a d’abord eu l’idée Street Organ Ritornellos puis le projet Saudaá Group.
Et Saudaá Group ça vient d’où le nom ?
Alors Saudaá Group en fait, c’est la translitération d’un mot arabe qui veut dire « noir » et c’est une racine probable de la Saudade portugaise. C’est une mélancolie anticipée, pas la mélancolie comme on la décrit en Français, c’est une mélancolie heureuse en quelque sorte. Pendant la conquête arabe et ses nombreux mouvements entre l’Europe et l’Afrique du Nord, les soldats portugais exilés au Maroc avaient le mal du pays, ce qui expliquerait ce glissement linguistique. J’ai choisi ce mot-là parce que la mélancolie a toujours été hyper présente dans ma musique que ce soit dans Belle Arché Lou ou dans mes autres projets, ça a toujours été une valeur centrale dans la musique que je fais et vu que ce projet englobe un peu tout mon parcours musical, je trouvais ça plutôt pertinent de choisir ce terme.
Et le « Group » c’est pour…
Le “Groupâ€, c’est pour deux raisons particulières : déjà parce que je joue avec un instrument mécanique, un instrument qui a une vie propre, c’est comme si tu avais une deuxième personne, et la deuxième, c’est que c’est aussi un projet qui est amené à évoluer et à intégrer d’autres personnes, des formules différentes, des duos, des trios donc c’est un peu comme un projet solo mais collectif.
Où est-ce que tu en es de ton projet de tournée ? J’ai vu que tu as déjà prévu de traverser certaines villes.
Au niveau routing, tout est prévu, j’ai toutes les résidences, il ne m’en reste qu’une à confirmer, j’ai plus ou moins les dates fixes, je sais où je vais, je commence à prendre contact avec les musiciens avec qui je vais travailler donc tout ça c’est organisé, ensuite, le seul truc qu’il me manque un peu, c’est le financement, c’est encore un peu fragile à ce niveau.
Tu disais dans un de tes mails que tu n’avais pas eu certaines bourses ?
Voilà , j’ai raté deux bourses, ça m’a un peu mis mal.
Tu sais pourquoi tu les a ratées ? Ce qui fait que tu les as ratées ?
Ouais. Je pense que j’ai fait des dossiers comme un type qui ne veut pas démocratiser ce qu’il fait quoi… Enfin, si tu veux, quand il s’agit de faire un dossier pour un projet culturel en position d’un porteur de projet, je vais avoir aucun problème à démocratiser ça, pour mettre les mots qui vont bien, pour mettre les phrases qu’il faut, par contre quand je suis dans la position de mon projet artistique, je refuse catégoriquement – et je pense que c’est même inconscient – de dévier de mon côté un peu poétique, du coup, même dans mon dossier, ça me coûte d’adapter le discours, je pense que c’est ça qui m’a desservi, j’ai pas été assez concret en fait.
Quand tu fais un dossier pour demander des bourses l’objectif c’est de démocratiser le projet ? Qu’est-ce qu’ils veulent derrière tout ça ?
Ils veulent comprendre ton projet de manière claire et précise, que tout soit défini, programmé, anticipé, et moi j’ai laissé une part trop grande d’artistique en fait, j’ai fait mon dossier comme si j’avais réalisé un morceau quoi.
J’ai lu le fascicule sur ton site et ça me paraissait relativement clair pourtant…
Oui mais ça n’a pas suffit. Une des bourses, c’était Hors-les-murs de l’Institut Français, qui finance des résidences à l’étranger, donc c’était parfait pour moi, c’est juste qu’au moment où j’ai fait mon dossier mon projet n’était pas assez défini, j’avais plus ou moins l’itinéraire mais je ne savais pas précisément ce que j’allais faire dans chaque pays, du coup j’ai pris trois pays un peu au hasard dans le parcours que j’allais faire et ce qu’ils m’ont reproché c’est de pas avoir été précis sur le choix des pays, et pourquoi j’ai choisi ces pays plus que d’autres. Maintenant, je serai beaucoup plus en mesure de l’expliquer, mais à l’époque, je n’ai pas assez insisté sur ce point-là , et pour eux c’est hyper important. Ca va m’obliger à continuer à faire des dossiers pendant que je serai en route.
Est-ce que tu pourrais expliquer justement comment tu as sélectionné les pays que tu vas visiter ?
Je peux te donner trois exemples. Je les ai choisis avant tout de manière spontanée en fait, juste des pays qui m’attiraient personnellement. Après, j’ai couplé ça avec des intérêts qui sont liés à la culture musicale des pays. Par exemple, pour l’Arménie, je suis un grand admirateur du doudouk – cette flûte en abricotier qui emporte avec elle toute l’âme du peuple arménien. Je voulais vraiment travailler avec des doudoukistes arméniens. Le Maroc, autre exemple, j’aime bien la sensation de transe relative aux musiques berbères des régions montagneuses. J’ai lu un livre formidable sur le culte des grottes au Maroc et j’ai prévu de faire une captation avec des percussionnistes dans l’une de ces grottes. L’Uruguay, là , c’est pas forcément lié à la musique, c’est plus lié au pays que j’avais envie de traverser. Au début, je pensais aller au Brésil, mais je n’ai pas eu de retours concrets, alors qu’en Uruguay, j’ai eu des retours hyper intéressants. C’est moins lié à la culture musicale mais plus au fait que j’ai envie de traverser ce pays quoi.
Tu joues à chaque fois dans le même type de structure, genre des résidences d’artistes ?
En fait, je reste un mois dans chaque pays, dans des lieux de résidence – un peu comme ici – où je paye un peu pour y être, j’arrive la première semaine, je fais un travail d’immersion, de rencontre, de captation sonore, dans la rue, dans la nature, pour collecter un peu de matière. La deuxième semaine, je compose d’après ce que j’ai enregistré, j’harmonise une pièce par rapport à ça. Troisième semaine, je répète avec des musiciens locaux. Quatrième semaine, je restitue ce sur quoi j’ai travaillé à la fois par des concerts de rue – dans la tradition de l’orgue – mais aussi dans la résidence. Ça, c’est le cadre, après ça va forcément changer d’un pays à l’autre.
Ça fait combien de pays en tout ? Tu vas composer un nouveau morceau par pays visité ?
Dix pays. Après, je ne ferai pas forcément un nouveau morceau par pays, je peux faire une adaptation, tu vois, une version différente par exemple, je fais le trajet Uruguay/Argentine, ça vaut peut-être pas le coup que je fasse un morceau différent pour les deux vu que c’est deux pays qui sont proches culturellement, ça vaut peut-être le coup de justement faire une variation.
Dix pays, un mois par pays, partir dix mois, de début janvier…
Début février en fait, j’ai retardé de deux semaines pour aller chez mes parents pour économiser un peu mon loyer ici, et j’ai supprimé une étape au Portugal, pour économiser également, parce que j’avais besoin de rétrécir un peu le truc.
Supprimé récemment ? Genre il y a combien de temps ?
Entre une et deux semaines. J’ai enlevé la Norvège et le Portugal. Je suis obligé, il faut faire des choix. Je me dis peut-être qu’il me faudrait un an de plus avant de partir mais je me dis aussi que t’as toujours une bonne raison de repousser. Je suis dans l’énergie, c’est le moment de le faire, et certes, je pars franchement à 15% de ce que j’avais imaginé, mais je pars de toutes façons, c’était obligé, tu vois. J’aurais adoré partir dans des conditions encore plus cadrés, plus d’aides, plus de soutien, avec plus d’argent, mais voilà , c’est comme dans tout ce que tu fais, il y a 15% de ce que t’avais prévu qui se passe. Les dix pays dans l’ordre : le Maroc, l’Uruguay, l’Argentine, Chili, Mongolie, Estonie, Islande, Géorgie, Arménie, Liban et Grèce.
Comment est-ce que ça va se passer au niveau des collaborations ? Comment est-ce que tu comptes rencontrer les musiciens ?
Rencontrer les musiciens, j’ai déjà commencé. En fait, j’envoie des mails aux gens qui m’accueillent dans leur pays et je leur demande de diffuser l’annonce dans leurs réseaux. J’annonce comme quoi je cherche des musiciens, comme ça, je fais un premier contact par mail… Je compte vraiment faire des compositions pour moi, seul. C’est dans l’interprétation et l’exécution que j’intègrerai les locaux parce que j’ai l’impression – c’est peut-être une erreur – qu’un mois, c’est relativement court pour réussir à composer avec quelqu’un, et ça peut être compliqué au niveau des natures, au niveau des tempéraments, de se lancer, dans un cadre si court, dans une œuvre avec quelqu’un que tu connais très peu. Je me dis que c’est plus pertinent de l’intégrer une fois que la composition est faite, tout en lui laissant le choix de composer ses parties.
Donc l’idée c’est de ramener des gens vers toi plutôt que toi t’intégrer dans des collectifs.
Complètement. Peut-être que je vais rencontrer quelqu’un qui va me faire halluciner, je vais trouver ça trop bien, je vais lui dire : « Vas-y, moi je joue pour toi ». Je vais inverser le truc.
Est-ce que les morceaux que tu auras crées, tu les rassembleras sur un support ? Pour en faire un album ?
Je ne pense pas parce que ce serait le truc trop évident. En terme de témoignage, peut-être qu’effectivement je sortirai un disque, mais ce sera pas forcément un disque réalisé avec les enregistrements que j’aurais fait. Peut-être que je vais sélectionner quatre morceaux que j’aurais fait, et je vais faire un EP, je vais les réenregistrer… Je ne sais pas encore précisément.
Tu comptes en faire quelque chose mais tu sais pas encore quoi.
C’est ça. Sinon c’est clair que je vais filmer, je vais inviter des cinéastes locaux dans chaque pays à venir chroniquer ce que je fais sous forme de petits épisodes pour chaque pays… L’idée est quand même de récolter de la matière visuelle et sonore, après, je pense que pendant mon voyage, les choses vont se faire naturellement, mais je pense aussi à des restitutions plus « littéraires ». J’aimerais bien par exemple travailler sur un traité de magie. Prendre le truc basique du traité de magie noire et le dévier sur un traité de magie poétique par exemple, je ne sais pas, un truc comme ça, essayer de trouver quelque chose de plus littéraire et moins évident.
Et ton orgue, comment il marche ?
Il y a la lecture acoustique traditionnelle, puis le côté MIDI. En gros, t’as 42 flûtes qui correspondent à 42 notes : les plus petites, c’est les plus aigus, les plus grosses, c’est les plus graves. C’est chromatique, c’est-à -dire que tu as toutes les dièses et les bémols, toutes les notes de la gamme du DO2 au FA5. Chaque flûte en bois est reliée à un tuyau, qui est relié à une soufflerie, qui est reliée à une interface de lecture mécanique. A chaque fois que tu presses le carton avec le rouleau et que tu tournes la manivelle, tu actionnes à la fois les soufflets qui sont en dessous et tu entraînes le carton. Le carton est perforé : à chaque fois que t’as une note qui passe, ça fait un trou, ça fait un appel d’air et ça envoie le son dans la flûte. T’as pas besoin d’électronique, tout se fait avec la manivelle : tu définis à la fois le tempo et tu actionnes la soufflerie. Avec le MIDI, c’est plus ou moins la même chose, à ce détail près que le pilote est immatériel : c’est le logiciel qui commande l’orgue à travers une interface et définit le tempo. Par contre, tu ne peux faire l’économie de la manivelle qui produit dans tous les cas l’air nécessaire au fonctionnement de l’instrument. Au début, j’avais peur, j’osais même pas le toucher, je savais même pas comment m’y prendre, ça a mis au moins six mois à me sentir bien avec la machine, j’avais peur de péter le moindre petit truc.
Donc la manivelle répond à la force ? Est-ce que si tu veux jouer vite mais piano, tu peux le faire ?
Non. Tu ne peux pas le faire. L’orgue n’a pas de dynamique, c’est ce qui le rend exceptionnel mais aussi difficile à faire sonner. En carton, si tu vas vite, tu accélères le tempo mais pas la nuance, si tu vas lentement, même chose à l’inverse. En MIDI, aucune action sur le tempo, tu peux créer en revanche une légère variation d’air entrainant une variation du volume en tournant plus vite. Mais c’est très léger.
Il y a quelque chose de réellement fascinant lorsque l’on te voit jouer cet instrument, c’est que lorsque l’on ne sait pas comment ça marche, on ne sait pas comment sont produit les sons, on te voit juste tourner la manivelle, ça donne un aspect mystérieux, onirique, à ta musique, ça appelle véritablement au rêve. D’autant plus que c’est du vieux matos avec un dispositif moderne dessus, ça le met à jour, ça le sort du placard, il y a un mélange entre traditionnel et moderne…
Après, il faut resituer et remettre l’instrument dans un certain contexte, l’orgue que j’ai n’est pas unique au monde, cette technologie-là existe depuis plusieurs années déjà .
T’as joué deux morceaux à la Maroquinerie, c’est deux morceaux que tu avais prévu spécialement pour ce concert ?
Il y en avait un, le premier, que j’avais déjà fait pour d’autres concerts, et le deuxième, je venais juste de le finir en fait. Globalement, pour moi, ça s’est hyper bien passé, j’étais un peu stressé juste avant de jouer quand même, c’était mon quatrième concert et c’était la première fois que je jouais dans une vraie salle. Avant, j’ai joué une fois ici, dans l’allée (ndr : l’interview est réalisé à la villa Belleville, lieu de résidence d’Alexis), j’ai joué une fois à Dijon dans une galerie d’art, et j’ai joué à un festival en Normandie au mois d’août, mais c’était en extérieur, dans une prairie.
T’as eu un retour super cool à la fin de ton concert tout de même.
Ouais ! Mais en général, quand je joue, j’ai des bons retours, je suis assez surpris, il y a toujours au moins quatre ou cinq personnes qui viennent me voir en me disant : « c’était hyper bien ».
C’était un peu l’affiche parfaite pour toi aussi en terme de public… Je veux dire les amateurs de Lubomyr Melnyk ou Charlemagne Palestine sont les plus à même d’apprécier ce que tu fais non ?
Je pense que c’était pas mal dans la mesure où le public de Lubomyr Melnyk est peut-être plus apte à aimer ce que je fais que le public de Charlemagne Palestine. Je pense que dans les amateurs de musique contemporaine, concrète, expérimentale, il y a beaucoup de gars assez extrêmes et je ne suis pas sûr que le côté « orgue de barbarie » soit assez barré ou sauvage pour eux.
Est-ce que t’as écouté d’autres enregistrements avec cet instrument ?
Les mecs qui font de la création avec l’orgue, en général, c’est pas top. J’aime pas trop, c’est un peu mauvais goût, je sais pas, c’est soit des trucs chanson un peu kitsch soit cabaret. En fait, la création moderne avec cet instrument tombe souvent dans le piège du cliché de l’instrument-roi, vu que c’est hyper impressionnant visuellement c’est comme si tu ramenais absolument tous les éléments de la musique sur l’orgue. Ce que j’essaye de faire, c’est aussi de l’effacer en fait, de le mettre en avant mais aussi de l’écarter. C’est-à -dire qu’il devienne une partie d’un ensemble, qu’on ne porte pas toute l’attention sur lui. C’est pour ça que je rajoute des instruments, que j’essaye de faire des morceaux avec d’autres sources. L’idée est vraiment d’utiliser l’instrument pour ses textures.
Saudaá Group – Blue Saudaá
Saudaá Group – Dark Saudaá
Écrit par: Sebastien Falafel
Alexis Paul Saudaa Group Street Organ Ritornellos
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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