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Sylvain Darrifourcq l’interview, part 2

today26/10/2018 92

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Deuxième partie de l’interview avec le batteur et compositeur Sylvain Darrifourcq. Coïtus Interruptus, le second album de son trio In Love With, est disponible chez Gigantonium. Pour fêter ça, le groupe sera en concert le 29 octobre à la Dynamo de Pantin, dans le cadre du festival Banlieues Bleues.

Le disque sonne de façon très directe, brute. Qu’as-tu voulu faire à ce niveau-là ?

Alors j’avais des zones d’ombre, quelques certitudes que j’espérais rendre… et des angoisses, beaucoup d’angoisses. La première, ça a été : est-ce qu’on va pouvoir rendre l’intensité, l’engagement physique qu’on met ? Comment les micros vont capter ça ? Je pense que tous les gens qui font de la musique acoustique sont confrontés à ça : le micro filtre énormément l’énergie et en studio on se retrouve à devoir donner deux fois plus qu’en live ; je suis assez satisfait du résultat à ce niveau-là. Il y a une très légère compression qu’on entend sur les cymbales et sur les fûts, ça donne un effet de craquement, d’une énergie qui pousse les murs. Ce que je savais, c’est qu’à la prise de son il fallait absolument qu’il y ait tous les éléments que je voulais : cette intensité-là, la précision du son, la précision de l’émission, du jouage, etc. il fallait qu’il y ait tout ça ! Je me disais qu’après j’y verrai plus clair.

Donc quelque chose de proche du réel, du son live.

Un contre-exemple, c’est le morceau qui s’appelle Prologue et qui est une sorte de mécanique, de musique électronique jouée acoustiquement. Celle-là, c’est une vraie composition électronique. J’ai demandé à chacun de me jouer des petits bouts pendant vingt secondes : telle note, telle vitesse, de telle façon. Après j’ai fait tous mes sons, tous mes bols, tous mes moteurs dans mes bols… j’avais plus qu’à composer avec ça et c’était très clair, j’avais une idée assez claire de ce que je voulais.

J’ai vraiment fait une composition de musique électronique, cette partie-là c’était le défi : comment trouver l’équilibre entre un truc pas trop produit, parce qu’il ne fallait pas que ça soit incohérent par rapport aux autres parties, et en même temps qu’il y ait une cohérence interne entre tous ces sons qui sont assez disparates ? Des sons de clochette, de moteurs de sextoys qui résonnent dans des bols, des pizzicati de violoncelle et de violon, c’était pas évident. Et finalement cette partie est restée assez brute, elle a été peu produite, si ce n’est des histoires de niveaux, des égalisations très légères. Il n’y a pas eu de gros travail de post-production, et sur le disque non plus finalement.

Tu parles de musique électronique acoustique. Est-ce qu’il y a des projets, des artistes dans ce domaine dont tu te sentirais proche ?

Non, pas vraiment. En fait, cette façon de faire de la musique est plutôt liée à ce qu’on a trouvé avec MILESDAVISQUINTET! qu’avec ce que j’aurais pu écouter. Ça n’a rien à voir au niveau sonore mais je me sens très proche d’artistes comme Rioji Ikeda, Raster Noton… même si la production n’est pas du tout la même, il y a une forme de minimalisme, une façon d’aller chercher la fréquence. C’est la fréquence qui va faire le rythme. L’idée est de désintrumentaliser les instruments, qu’ils ne soient plus des instruments mais des générateurs de fréquences.

On s’éloigne du jazz, là.

Je ne sais pas, c’est là où je touche au paradoxe de ma pratique. Du jazz, j’en écoute pas, je ne vais pas voir de concerts, et je ne peux pas dire que ça m’intéresse, ça ne m’intéresse plus vraiment.

En même temps, tu as dans ton actualité un trio comme Fakebook.

Oui, tout à fait, c’est très paradoxal mais cela n’est pas une contradiction ; c’est là où j’en suis avec le jazz. Je le vis comme une musique du plaisir, comme avec Fakebook. Il y a une jouissance de l’instant, de la fabrication instantanée et les quelques groupes de jazz que j’ai encore se situent là.

Le plaisir sans intellectualisation ?

D’une certaine façon, oui… ou moins intellectualisé, ou avec une intellectualisation très spontanée. Par exemple, avec Fakebook, on pratique beaucoup ça : la composition, trente minutes avant ! On va parler d’une forme, d’une façon de faire trente secondes avant. Le groupe n’a pas assez de vécu pour pouvoir prouver ça, mais je crois qu’on est très dépendant des conditions dans lesquelles on va se produire, là ou des groupes comme In love With ou MILESDAVISQUINTET!, qui sont des groupes très composés, vont résister au contexte. Le concept de la musique est presque plus fort que l’interaction entre les musiciens, l’interaction avec un lieu, l’interaction avec un moment, l’interaction avec un public. Je dis ça mais j’ai déjà des contre-arguments, je peux très bien me contredire. C’est pas mon truc, les étendards. La preuve ! (rires)

Vers quel public veux-tu le porter, ce disque ?

Je ne saurais pas le dire, c’est un peu le problème. C’est comme si je venais de tuer le projet avec ce répertoire, et j’en ai tout à fait conscience. Je ne sais plus où on va jouer, le groupe va s’arrêter à cause de ça, et je le sais déjà… dans deux ans, le groupe est fini parce que personne n’en veut, de ce disque, c’est sûr, personne ne voudra de ça. (rires)

Sur le premier disque, il y avait encore des morceaux que je qualifierais d’efficaces, très funky, et d’autres qui sont plus mélodiques. Là c’est un peu plus hors-norme.

Écoute, ça me fait plaisir que tu me dises ça. À partir du moment où je vais investir un projet très fort, et c’est le cas d’In love With ou MILESDAVISQUINTET! – de façon différente parce que MILESDAVISQUINTET! est plus collectif qu’In love With. Pour moi, le souci, c’est d’arriver à une singularité. D’arriver, par l’appropriation du concept, à se dégager de toute esthétique.

Et de finir par en mourir ?

Pas en mourir ! L’ambition est tellement de chercher son propre espace de vie que ça va isoler le projet dans un monde où il n’y a pas la place pour faire exister ce genre de choses. Pour moi, le but est de rincer une idée, de tout lui enlever. Ça ne fait que trois ou quatre ans que je suis engagé dans ce genre de démarche, mais j’ai l’impression que c’est la seule façon que j’ai trouvé pour pouvoir ne pas passer à autre chose.

Mais, si je comprends bien, bientôt, à force de raffiner le concept, tu atteindras tôt ou tard une limite, une sorte de discours incommunicable, et tu seras quand même obligé de passer à autre chose.

Oui, c’est à la fois ce qui me fait peur et ce qui m’excite. C’est l’un des paradoxes de ma pratique ; parfois je me formule les choses d’un point de vue psychanalytique : est-ce que je peux être aimé en faisant la pire horreur ? Ce serait quelque chose comme ça… jusqu’à quel point on peut être aimé en s’excluant du monde ?

C’est pas non plus l’horreur ce disque.

Non, non ! Mais la question c’est ça, jusqu’à quel point on peut être accepté pour ce qu’on fait tout en cherchant une singularité, tout en s’excluant du monde finalement.

Tu cherches l’inouï, d’accord, mais pas l’inaudible ! L’inouï, c’est peut-être prendre le risque d’être inaudible… Mais tu as des armes pour ça : il y a beaucoup de travail dans ce que tu fais, beaucoup de technique. C’est quand même un moyen d’amener les gens vers ton projet, non ? Tu n’es pas là, tout seul, à taper comme une brute.

(rires) Oui, effectivement, tu as raison de nuancer, je pense que la dimension physique, l’intensité physique, c’est un médium.

… ça reste toujours très contrôlé, très clair, il y a cette recherche du beau geste qui aide les gens à recevoir des propositions même radicales.

Oui, je sais qu’en live ça fait cet effet-là. Je pense que c’est ce qui va me rattacher au jazz, ce souci du son bien émis, en tout cas de l’extrême précision de l’émission. Ça, c’est un travail qui se fait via la technique, c’est une sorte de perfectionnisme technique qui nous amène à ça. Je pense que les musiciens de jazz ont ce souci-là, et peut-être qu’en ce sens ça rattache le projet à du jazz.

L’isolement n’est pas irrémédiable…

Oui, voilà, ça crée un vrai lien. Après, la question c’est le disque. C’est pour ça que j’étais très attaché à rendre cette dimension physique. Et ça, est-ce que ça va être perçu ? La question de la mort de ce projet sur scène, c’est ça. Je sais que tous les programmateurs auxquels j’ai affaire, s’ils n’ont pas un lien affectif avec moi, ils ne programmeront pas ce projet. C’est une sorte de gâchis parce que je sais l’effet que ça fait sur le public, je sais que ça marche sur le public. Je sais que malgré la complexité, l’aridité conceptuelle de la musique qui est peut-être plus forte sur le disque, malgré ça je sais qu’en live il y a cette dimension de technicité qui crée un lien avec les gens.

Photo : Sylvain Gripoix

Écrit par: Oiseau Anton

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