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Dans la catégorie des collaborations qui génèrent les fantasmes les plus extrêmes, ANBB est plutôt bien placée. D’un côté, Alva Noto/Carsten Nicolai, tête de file de l’électro expérimentale toutes catégories confondues depuis environ treize ans, est bien connu pour son approche conceptuelle et mathématique qu’il a déclinée en musique comme en arts plastiques, et qu’il a insufflée dans toutes les productions de son label/laboratoire Raster Noton. De l’autre, Blixa Bargeld, figure culte et théâtrale de la musique industrielle, a fêté il y a peu à la Cité de la Musique les 30 ans d’Einstürzende Neubauten, l’institution bruitiste dont il est le membre fondateur. Ces deux mastodontes allemands, issus de deux époques différentes, ont fait se rencontrer leurs univers respectifs sous les initiales ANBB jusqu’à aboutir l’automne dernier à Mimikry, une Å“uvre azimutée et complète, un court-circuit entre les coups de butoir géométriques de l’électronique alva notonienne et le cirque vocal bilingue du Blixa. Une alliance puissante, qui donne lieu à autant des climax de démence qu’à des moments de poésie inattendus.
Pour l’ouverture du Festival Nemo et des Qwartz le 30 mars dernier à la Cigale, le duo s’est fendu d’un live à la hauteur de l’extravagance du projet, une performance qui incitait à la rupture d’anévrisme ou à se créer des tocs juste pour le plaisir, dont on peut retrouver le morceau final sur cette vidéo amateur d’assez bonne qualité.
Entretien truffé de digressions avec le duo au lendemain de sa prestation, accent allemand inclus et attaché de presse Raster Noton au chronométrage.
Among collaborations that trigger the most extreme fantasies, ANBB stands out. On one hand, Alva Noto/Carsten Nicolai, front-stage symbol of the experimental electro scene for about 13 years, is recognized for his conceptual and mathematical touch that he has applied to music and arts, and that also pervades in all the releases of his label/laboratory Raster-Noton. On the other, Blixa Bargeld, theatrical cult figure of the industrial music scene, has recently celebrated at the Cité de la Musique in Paris the 30th birthday of Einsturzende Neubauten, the noise-art institution which he’s the founding member of. These two german heavyweights coming from two different eras have confronted their respective universes under the initials ANBB (no pun intended) until they finally gave birth last autumn to Mimikry, an unhinged but complete work, a short-circuit between Alva Noto’s geometric knockings and Blixa’s bilingual vocal circus. A mighty alliance that gives rise both to climaxes of dementia and unexpected moments of poetry.
Here’s a interview riddled with digressions of the duo one day after their performance, german accent included and meticulous timing by the Raster Noton PR
Après dix ans de Raster Noton et trente ans d’Einstürzende Neubauten, qu’est-ce que cette collaboration représente pour vous ?
After 10 years of Raster Noton, and 30 years of Einstürzende Neubauten, what does that collaboration mean to you?
BB : ANBB est une abréviation de nos deux noms de scène, donc c’est une entité en soi, il ne s’agit pas de « Alva Noto & Blixa Bargeld », j’insiste là -dessus. Carsten a déjà fait beaucoup de disques à deux (avec Ryoji Ikeda, Ryuichi Sakamoto…), mais ces duos ne sont que rarement devenus des entités en tant que telles. J’ai mis du temps à travailler avec Carsten, nous nous connaissons depuis peut-être dix ans, mais notre première performance ne date que de 2007. Il ne s’agit pas d’un projet né dans un studio puis transposé en live, c’était le contraire. Le résidu de ces concerts est le disque. Le premier morceau, Fall, s’appelait à l’origine Der Grosse Block et était conçu pour une performance en Italie, j’avais même écrit des paroles en italien pour l’occasion. Ça durait vingt minutes et nous l’avons réduit pour devenir ce qu’il est aujourd’hui.
BB : ANBB as a name is already an abbreviation of both our stage names, so it is in itself an entity, that was no « Alva Noto & Blixa Bargeld », or the other way around, we wanted to make it clear. Carsten has been doing a lot of collaborative records (with Ryoji Ikeda, Ryuichi Sakamoto), but only sometimes they become entities as such. It took me a very long time to work with Carsten, we know each other for probably 10 years, only in 2007 have we done our first performance together. That didn’t get born in a studio as a project that became a live thing, it was the other way around. The residue of these performances is the record. The first track, called « Fall », used to be called « Der Grosse Block » and was conceived and composed for a performance in Italy, I even wrote italian lyrics for it. It was 20-minute long, then we changed it and it became what it is today.
C’était en grande partie de l’impro ?
Was it mainly improvised?
BB : Toutes ces pièces sont ouvertes, on peut les développer de plein de manières différentes.
AN : Au début nous avions juste des structures et des séquences auxquelles on a donné des noms, et on a tout simplement décidé d’en relier certaines.
BB : J’ai une affinité pour la performance qui n’est pas forcément théâtrale, mais j’aime l’idée d’une certaine dramaturgie. Dans chaque morceau, je connais les proportions, ici 3, là 5, ou 2, ou 1,5, et elles ont toutes des noms différents, et on les joue d’une certaine manière, et même si l’on sait quand A devient B et puis C, la manière dont on le fait chaque jour varie.
BB : All these pieces have openings, all can develop in different ways.
AN : In the beginning we just had structures, sequences, and gave them names, we basically decided to link some of them together.
BB : I have a certain affinity in performance that is not necessarily theatrical, but I love the idea of a certain dramaturgy in it. In pieces, I know there are proportions, there’s a 3, a 5, a 2, followed by 1,5, and they all have different names, and we perform it in a way, and even if I know when A comes to B and comes to C, how I do that on stage varies everyday.
Votre participation à ce projet est-elle influencée par votre récente performance Rede/Speech (un spectacle uniquement voix/sample avec lequel Blixa a tourné ces 10 dernières années) ?
How is your input in the project informed by your recent work in Rede/Speech (a vocal-and-loops-only performance Blixa Bargeld has toured with all through the last decade)?
BB : On peut en retrouver certains aspects techniques en effet. Il y a forcément des choses que j’ai fait dans le passé qui réapparaissent dans mes nouveaux projets, mais il y a aussi des choses dans ANBB que je n’ai jamais faites avant. Comme jouer de l’harmonica… (rires)
BB : There are some of the technical aspects of it in ANBB. Indeed there are always things that I’ve done in the past that reappear in my new projects, but there are also things in ANBB that I’ve never done before. Like playing harmonica (laughs).
Quelle était votre approche de la musique électronique expérimentale avant de travailler avec Carsten Nicolai ?
What was your approach of electronic music and experimental electronics before working with Carsten Nicolai?
BB : D’une certaine manière, même Einstürzende Neubauten était électronique il y a 30 ans, avec l’avènement du sampling que nous avons entièrement adopté jusqu’à ce que ça devienne ennuyeux. L’électronique ne m’a jamais vraiment quitté. Rede/Speech avait également une sensibilité électronique. Tout ce que je peux voir c’est une certaine continuité.
BB : Somehow, even Einstürzende Neubauten was electronic 30 years ago, with the advent of sampling technologies that we embraced heartily until it got boring. Electronics have never really left me. Rede/Speech also had an electronic sensibility. All I can see is a certain continuity.
Qu’est ce que signifiait Einstürzende Neubauten pour vous ?
What meant EN to you?
AN : Ayant grandi en Allemagne de l’est, j’étais en quelque sorte déconnecté de toute forme de vie musicale, je ne pouvais pas voir de groupes. Les seules choses que je pouvais entendre c’était par la radio. J’ai entendu un morceau d’EN un jour, probablement issu de Kollaps, et je ne savais pas de qui c’était et je n’en avais enregistré qu’une partie. Ça m’a pris un an et demi pour le découvrir, personne ne savait qui c’était autour de moi. Pour moi, les textes de Blixa sont un élément important dans EN, si ce n’est le plus important.
BB : Merci ! (rires)
AN : Certains le voient comme le chanteur du groupe, mais je le vois plus comme un parolier, un poète. EN a fait des choses incroyables à la fin des années 80 avec Heiner Müller (metteur en scène culte du postmodernisme), il y a une forte connexion entre eux et l’underground le plus subversif de l’Est. Vous n’aviez jamais joué à l’Est n’est-ce-pas ?
BB : On avait tourné avec Hamletmachine (avec Heiner Müller) à l’Est en 1987 et en 1989, j’ai littéralement vu la RDA s’effondrer.
AN : Les gens raisonnent souvent par stéréotypes, donc quand tu fais de la musique électronique, on s’attend à ce que ta plus grosse influence soit Kraftwerk.
BB : Qui, en fait, était mon groupe préféré ! (rires) A l’époque de Ralf Und Florian, j’avais environ 15 ans, j’étais obsédé par eux.
AN : J’étais beaucoup plus influencé par EN.
BB : D’une certaine manière nous sommes donc tous les deux influencés par eux, étant donné que mon influence était Kraftwerk et la tienne EN.
AN : C’est une sorte d’effet feedback.
BB : Par exemple, Depeche Mode était beaucoup plus influencé par Der Plan ! (rires) J’en avais parlé avec le chanteur une fois… c’est quoi son nom déjà  ?
AN : Le chanteur de Der Plan ?
BB : Mais non ! De Depeche Mode bien sûr ! (rires)
AN : As I grew up in the East, I was kind of disconnected from any kind of musical life, I couldn’t see bands. The only things I heard were from the radio, I heard a EN track from Kollaps I think and I didn’t know who made it as I had only recorded a part of it. And it took me a year and a half to identify who made it, I asked loads of people who didn’t know what it was. Blixa’s lyrics are a big aspect of EN’s music, maybe the most important for me.
BB : Thank you! (laughs)
AN : Some people see him as the singer of the band, and I see him as a lyricist, as a poet. They did fantastic stuffs in the late ’80s with (cult postmodern stage director) Heiner Müller, there’s a strong connexion between EN and the more subversive underground of the East. You never played in the East did you?
BB : We did Hamletmachine (with Heiner Müller) in the East in 1987 and in 1989, I literally saw the GDR falling apart.
AN : People often think in stereotypes, so when you’re an electronic musician they expect that your biggest influence is Kraftwerk.
BB : Which was, in fact, my favorite band! (laughs) At the time of Ralf Und Florian, I was probably 15, I was so much into them!
AN : I was much more influenced by EN.
BB : Somehow we’re both influenced by them then, as my influence was Kraftwerk and yours was EN.
AN : That’s a feedback system indeed.
BB : For example, Depeche Mode were much more influenced by Der Plan! (laughs) I talked with the singer… what’s his name…
AN : Der Plan’s singer??
BB : No!! Depeche Mode of course!
Dave Gahan?
Dave Gahan?
BB : C’est ça. A Tokyo une fois, je l’avais rencontré, il y a de cela des dizaines d’année, et il n’arrêtait pas de me parler de Der Plan, qu’il les aimait infiniment… J’ai entendu du Der Plan dans les années 80 et ça ne m’a pas vraiment influencé, d’ailleurs j’avais même du mal à imaginer qu’ils pouvaient avoir de l’influence sur qui que soit !
BB : Right. In Tokyo I once met him decades ago and he kept on telling me about Der Plan and about how much he loved them… I heard Der Plan some time during the ’80s and it wasn’t really influential to me, I couldn’t even imagine it being influential!
Sachant que vous avez rarement travaillé avec des voix (à l’exception d’Anne-James Chaton et de quelques remixes), comment la voix de Blixa Bargeld est-elle rentrée dans votre musique ?
Given that you’ve rarely worked with vocals (apart from Anne James Chaton and a couple of remixes), how did BB’s voice entered your sound?
AN : En fait, j’ai toujours eu un peu peur de travailler avec des voix. Le chant est vraiment difficile à intégrer, mais pour moi Blixa n’est pas un chanteur classique. Bien sûr il peut chanter…
BB : Je le peux, mais ce n’est pas ce que j’ai essayé de faire dans ce contexte.
AN : Il a une voix puissante, qui peut s’utiliser comme un instrument, comme un son. C’était un gros défi pour moi.
BB : C’est aussi ce qui rend le travail difficile ! D’abord il faut pouvoir disposer d’un studio (rires) ! Ce qui me ramène à éclaircir un malentendu qui entoure cette collaboration. Il ne s’agit pas de Carsten produisant la musique et moi au chant, nous avons réellement travaillé ensemble sur la musique. J’ai joué de plusieurs instruments sur ce disque. Il ne s’agit pas d’une voix installée dans un univers prédéfini. Certaines personnes voient ce projet comme Carsten au son et moi au chant, mais ce n’est pas Soft Cell dans un dispositif d’avant-garde (fou rire des deux) ! Soft Cell était d’ailleurs le premier duo populaire à adopter ce format machine/voix qui est devenu un format standard par la suite, ce qui était la conséquence d’un changement dans les moyens de production. Bien sûr aujourd’hui on peut être beaucoup plus élégant et minimal que Dave Ball avec tout son matériel encombrant, mais le format est le même. Finalement on pourrait bien faire une reprise de Tainted Love ! J’ai une idée pour le réduire : tu utilises seulement le « beep beep » avec un « huuuuuuh » très bas (rire monumental de Blixa Bargeld). Mais de toute façon Coil l’a déjà faite, et très bien en plus ! Et Coil était aussi un duo voix/électronique ! Nous y voilà !
AN : Actually, I’ve always been really scared of working with voices, because singing is really difficult for me to incorporate, but I think Blixa is not a classical singer. Of course he could sing…
BB : I could but I didn’t try to do something like that in this context.
AN : He’s got a real voice, that you can use as an instrument, as a sound. That was a big challenge for me.
BB : That makes working difficult! First you have to have a room (laughs)! That leads me to clear one of the misconceptions surrounding this collaboration, it is not separated into Carsten producing the sound and me singing, we actually worked on all this music together. I played numerous instruments on this record, and not just voice. It is not the voice into some universe that is already predefined. Some people see it as Carsten making electronic music and me singing, but it’s not Soft Cell in an avant-garde setting! (huge laughs) Soft Cell was actually the first popular duo in that electronics/voice format, which has been a very standard format that has very much to do with the change of means in production. Of course nowadays, you can be much more elegant and minimal than Dave Ball using his huge machinery, but the format is the same. We could easily do a version of « Tainted Love » in the end! I’ve got an idea of how to reduce it, you just use the « beep beep » with a very low « huuuuuuh » (huge laughs). But actually Coil already did it, and very well! (monumental laugh of Bargeld) And Coil was a voice/electronic duo as well! Here we are!
Avez-vous été poussé à être plus flexible, moins conceptuel, dans votre approche de la production pour ce projet en comparaison avec votre travail solo ?
Haven’t you been more flexible, less conceptual, in the way you approached music production for this project than in your solo stuffs?
AN : On peut dire que Blixa requiert énormément de flexibilité, tu ne peux pas arriver avec tes idées préconçues. Il vient et il décrète « maintenant tu mets tout à l’envers » et tu le fais.
BB : Je le fais encore ! « Dégage tous les rythmes maintenant ! »
AN : Heureusement les logiciels permettent de faire ça maintenant, il y a quelques années ça aurait été un calvaire.
BB : Pour le live, on peut désormais jouir d’une vraie flexibilité, alors qu’à l’époque de Soft Cell, la musique sur scène consistait principalement en une bande pré-enregistrée.
AN : Well, let’s say that Blixa Bargeld is absolutely demanding flexibility, you cannot come with your prefixed ideas. He comes and says « turn everything upside down now » and you do it.
BB : I still do that! « Now you take all the rhythms out »!
AN : Thankfully hardwares allow to do it nowadays, but years ago I would have been struggling.
BB : Thankfully nowadays for the live setting, you can have a real flexibility, whereas at the time of Soft Cell, electronics were more a simple backing tape…
Il y a un côté organique, une sorte de furie dans Mimikry qui n’est jamais apparue sur vos précédents disques solos.
There’s an organic feel, a fury in Mimikry that never featured in your solo works.
AN : Je recherchais une certaine forme de poussière. Sur Katze par exemple, j’ai samplé de vrais sons. Toutes mes sonorités avant ça était claires, saillantes, et je voulais un grain plus compressé, quelque chose de plus brutal.
BB : Ce qui, je pense, mélange idéalement la voix au côté performance de l’ensemble.
AN : I was looking for a dustiness. In « Katze », I sampled real sounds. All my sounds from before were like sharp, clear, and I wanted to have more compressed grain, a roughness.
BB : Which I think perfectly melts the voice in the performance character of the whole thing.
Est-il vrai que Blixa Bargled a du vous apprendre des accords pour certains morceaux ?
It’s been said that Blixa Bargeld had to teach you some chords to compose certain tracks, is that true?
AN : C’est totalement vrai. Je n’ai aucune notion des systèmes de notation et des accords, et c’est intentionnel. Je n’ai pas envie de tomber dans ce schéma.
(fin du temps d’interview…)
AN : It’s totally true that I have no clue of any notation systems and chords. I do it on purpose. I don’t wanna fall in that pattern of notation systems.
(end of interview time-slot…)
Écrit par: Thomas Corlin
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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