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Bonjour Rémi. Ce n’est pas dans les habitudes d’Hartzine que d’aller s’enquérir de l’état de la production musicale indépendante directement auprès des acteurs de l’ombre de ce réseau. Mais si les sorties de disques ont longtemps constitué un bon baromètre de celle-ci, il s’avère qu’à l’heure d’internet et de la proximité et du foisonnement que cette technologie engendre, ce baromètre est désormais obsolète. Le téléchargement légal et illégal modifie tant le comportement des artistes que celui des auditeurs, entre possibilité de faire résonner sa musique à l’autre bout de la planète tout en s’en faisant déposséder.
Tu es le fondateur d’Atelier Ciseaux, label qui tente d’allier exigence musicale, sortie vinyle et esthétique soigneuse de l’objet, et qui propose sur son site « toujours en construction » un catalogue de quatre références en tirage limité pratiquement toutes épuisés dont Yes Or No de François Virot ou encore le split 45t de Best Coast et Jeans Wilder. Originaire d’une petite bourgade de l’Est de la France, vivant entre Paris et Montréal, ton regard lorgne vers les Etats-Unis pour de multiples projets autres que celui d’Atelier Ciseaux. Et c’est en conversant par mail avec toi que l’idée de cette entrevue est née en plus de celle, que j’espère fructueuse, d’une tribune laissée à l’Atelier mais aussi à d’autres labels qui plus tard viendront s’y greffer. L’ambition d’un tel espace d’expression n’est pas la déclinaison mensuelle des déboires rencontrés par un label indépendant, même s’ils sont nombreux, mais plus la volonté de vous laisser nous confier vos coups cÅ“urs… L’acte 1 a été brillamment fignolé avec Reno et le net-label Beko DSL. Place à l’acte 2 en ton estimable compagnie. D’ailleurs, tu ne viens pas les mains vides : en exclusivité pour nos lecteurs tu vas déflorer un secret pour le moment bien gardé, à savoir le 7′ d’US.Girl que l’Atelier s’apprête à sortir en juin. On est gâté.
D’où t’es venue l’idée et la volonté de créer un label indépendant ?
Je n’ai ni décors en carton pâte à te décrire, ni d’anecdotes très ‘indie’ à te raconter. Ces derniers temps, on cherche tellement à  masquer un certain manque d’idées dans des biographies-refrains samplés en boucle. Je crois qu’Atelier Ciseaux s’est fait simplement, naturellement, voire même banalement. Il me semble qu’à 17 ans, comme beaucoup, je devais déjà m’imaginer un jour monter un label. Avec, à l’époque, Pavement en ligne de mire… ah ah ! A.C. existe seulement depuis fin 2008 mais avec le recul, je suis convaincu que c’est une bonne chose que ça se soit passé ainsi. Mes quelques activités liées à la musique (webzine, booking, promo…) commencent à avoir quelques années au compteur et quelque part tout ça a été comme un long ‘brainstorming’ – inconscient – ! Savoir concrètement comment tu as envie de faire les choses et – encore plus – comment tu ne veux absolument pas les faire. Si je devais essayer de citer quelques influences, je pense que j’irais plutôt piocher du côté de la scène punk DIY ! L’idée du label date de 2007, à l’époque on était deux (avec Marine) avec cette folle envie – et impatience – de sortir le LP de François Virot. Par la suite, j’ai continué le label seul et aujourd’hui on est à nouveau deux (avec Philippe).
Je ne suis pas certain d’avoir très bien répondu à cette première question. Je crois que je pourrais te donner dix fois plus de raisons pour lesquelles je n’imagine pas arrêter le label…
Peux-tu nous expliquer la marque de fabrique d’Atelier Ciseaux ? Pourquoi privilégier le vinyle à l’heure du téléchargement ?
Je ne suis pas certain de me sentir très emballé / inspiré par ce débat / combat lié au téléchargement. A.C. a été créé dans l’air du ‘download / add to friends‘, je suppose que c’est différent pour les labels qui ont vécu / subi le changement. Nos tirages sont limités et accompagnés d’un lien pour télécharger le disque en format mp3. On aurait démarré en 1995, peut-être qu’on aurait pressé 1000 copies au lieu de 350 mais à part ça…Pourquoi le vinyle ? Par envie, par attachement, simplement ! Mais tu vois on ne s’est pas entaillé la main avec un canif, ni signé de pacte ‘croix de bois, croix de fer, si je sors autre chose que du vinyle, j’irai en enfer’ ! Par exemple, on est en train de penser à une compile K7 et ce n’est pas dit qu’on ne sorte pas à nouveau autre chose que des disques comme on l’a fait avec le dvd.
La marque de fabrique… hum… difficile comme question, je sais pas ! J’espère qu’elle parle d’elle-même !
Comment choisis-tu les projets sur lesquels tu as envie de travailler ?
Il y a quelques signes qui ne trompent pas : quand tes proches commencent à te détester parce que tu écoutes un morceau en boucle, quand tu commences à imaginer la pochette… Après vient ce petit claquement de dents quand tu appuies sur ‘envoyer le message’. La suite ne t’appartient plus vraiment. Parfois ça le fait, parfois non ! Parfois c’est rapide, parfois ça rame ! Et puis parfois t’es surpris comme pour le split Jeans Wilder / Best Coast. J’avais contacté Andrew (JW) pour savoir s’il comptait sortir le morceau Tough Guys en vinyle. Et puis un jour j’ai débarqué avec cette idée de split et une liste de groupes (avec Best Coast en numéro 1). Il a été super emballé par l’idée. Puis rien ! Plus de nouvelles pendant plusieurs jours. Et un matin, je reçois un mail de sa part me disant qu’il revient de Los Angeles et que Bethany est partante pour le disque. Le soir même, je recevais les deux morceaux, WOW !
Pour en revenir au choix des groupes, on ne fait aucun calcul mathématique compliqué avant de se décider. On connaissait / écoutait certains groupes avant la création du label, d’autres ont été découverts entre-temps.
Peux-tu nous dire quelques mots sur chacun des artistes avec qui tu as travaillé et que tu nous présentes ici (player ci-dessous) ?
Le premier disque a été le LP de François Virot, Yes or No, fin 2008. Guitare en bois qui braille et baskets à scratch. On l’a beaucoup comparé à Animal Collective, OUI et NON ! Je viens de regarder par curiosité sur Last Fm et les artistes similaires conseillés sont Tune-yards, Panda Bear… OUI mais NON ! Il y a quelque chose de spécial dans sa musique, un côté brut et touchant. François habite Lyon et joue également dans Clara Clara.
La seconde sortie date d’avril 2009, un 7″/ 45 tours, Vrais Noms/True Names, du duo Lucky Dragons. Luke et Sarah habitent Los Angeles. Folktronica ? Toute tentative de description serait un échec. Un océan au milieu d’une forêt. Leurs concerts sont à l’image de leur club de dessin, le SUMI INK CLUB, participatifs ! Laissons le player parler…
Le troisième  projet est un peu particulier puisqu’il s’agit d’un dvd-r. Trois courts-métrages d’Andy Roche qui joue également dans le groupe Black Vatican (Chicago). Esthétique du risque comme par exemple dans le court-métrage TETEDEMORT, chaque plan, chaque scène est un poster arraché dans la chambre d’un adolescent sous perfusion d’images télé-évangéliques. Références à des lieux enfouis sous un amas de guerre et de religion. La musique du dvd-r provient en majorité de morceaux de Black Vatican qui va sortir son prochain disque cet été sur Locust Music (nldr : voir en fin d’article).
La dernière sortie (janvier) est un split 7″/45 tours entre Jeans Wilder et Best Coast. Andrew (JW) vit du côté de San Diego et jouait avec Nathan Williams (Wavves) dans le groupe Fantastic Magic. Bethany Cosentino (BC), ex-membre du duo pyché-primitif Pocahaunted, habite Los Angeles. Pop fantôme, lo-fi surfant sur un bitume usé par la fin des années soixante. Deux morceaux hantés par l’été.
La prochaine sortie est un 7″/ 45 tours d’U.S Girls, Lunar Life prévu pour début juin. Balades pop rugueuses, destruction de bandes magnétiques, baignades lo-fi en eaux troubles et noisy. Dans sa musique flirtent les spectres de Bruce Springsteen, The Kinks et des Ronettes. Carte postale usée d’un rêve américain emballé dans un sac en papier kraft (en pre-order ici !)
Peux-tu nous dire comment tu imagines Atelier Ciseaux dans dix ans, toujours en construction ?
J’en sais rien, vraiment ! Le futur c’était hier matin. On pourrait plutôt essayer de miser sur les dix prochains mois. On n’a pas de fantasme de carrière, pas de pyramides à bâtir sur un ramassis de bonnes intentions. On a pas mal de projets / envies mais à moyen terme et quelque part c’est une liberté plutôt chouette.
Pour répondre – enfin – à ta question, je nous souhaite simplement de continuer à sortir des disques avec cette même envie, ce même stress. Les retours que l’on a eu jusqu’à présent sont super encourageants / touchants. J’espère secrètement – enfin plus maintenant – que pour les prochaines sorties, on arrivera à toucher plus de 18 personnes en France. On sort / a sorti principalement des groupes américains donc c’est logique qu’on ait des retours plus « importants » là bas. Mais, comme pour le split Jeans Wilder / Best Coast quand tu reçois des commandes du Japon, du Mexique, de la Pologne ou de la Grèce, tu te poses quelques questions et tu dis que c’est pas lié à la nationalité des groupes…
Gardons les interrogations sur l’avenir pour les soirées ravagées par l’ennui. Notre cinquième sortie est prévue pour début juin, un 7″ de U.S. GIRLS. Je peux te dire qu’on est super impatients !
Quels sont tes rapports avec les artistes que tu sors via Atelier Ciseaux ?
Bons, bons et… bons ! Vue la distance physique avec les groupes, la plupart des échanges / projets se sont développés / concrétisés par mails. Des kilos de caractères sur un écran brûlant. C’est clair que c’est frustrant, mais pour l’instant j’ai eu la chance de pouvoir rencontrer la majorité des gens avec qui on a bossé. Avec François, c’est un peu différent vu qu’il habite à quelques heures de train mais également parce que je me suis occupé d’organiser ses deux dernières tournées. La rencontre avec Meghan / U.S. GIRLS a été assez épique ! En ce moment, j’habite Montréal, et en septembre dernier on a loué une voiture pour aller la voir jouer (avec Grouper) dans la banlieue de Philadelphie. 9 heures de route ! On s’est retrouvés dans un espèce de chalet en plein milieu d’un campus entourés par 12 college kids bien alcoolisés et en train d’halluciner sur le fait qu’on ait pu faire autant de kilomètres pour venir au concert. On a repris la route pour Montréal juste après le concert ! Intense !  Ce fut un chouette moment et une belle rencontre. Une fois rentré à la maison, j’avais 10 000
fois plus envie encore de sortir ce disque.
Enfin, quels sont tes projets annexes ? Quelles sont les structures ou personnes avec qui tu aimes travailler ?
En parallèle, je me suis occupé pendant deux ans d’un ‘non’-label cassettes Atthletic duddes. L’idée était de recycler de vieilles cassettes audio abandonnées. Sur la face A, on enregistre les nouveaux morceaux et sur la face B, on conserve les titres originaux. Résultat : des splits improbables entre des groupes de noise et des stars de compiles hantées par le top 50 des années 90. Deux dernières cassettes avant l’été et Atthletic Duddes va s’arrêter !
J’ai également fait un peu de booking ces trois dernières années, organisé quelques concerts à Paris (Pochaunted, Lucky Dragons…) en 2009.Le reste de mes activités est de nature – plus – professionnelle donc je ne suis pas certain de l’intérêt d’en parler ici.
Au niveau des collaborations, bosser avec Jérémy Perrodeau a été un moment vraiment cool. J’ai débarqué un matin en lui demandant si ça pouvait le brancher de réaliser l’artwork pour le split JW / BC et en insistant sur le fait qu’on en avait besoin rapidement. 5 jours plus tard, c’était bouclé. Mortel !
Organiser les concerts de Pocahaunted / Lucky Dragons avec Jérôme (Boss kitty, ex Ali_fib), l’album de François avec Clapping Music, recevoir les flyers de Paula Castro…
Question subsidiaire : ta première tribune, tu nous la promets pour quand ?
Question suicidaire  ! En juin, ce sera bien (?) !
Prochaines sorties d’Atelier Ciseaux : US. Girls 7″ – juin / pre-order : http://atelierciseaux.com/
Terror bird 7″ Shadows in the hall (w/ La station radar) – Été 2010
Mathemagic/ Young Prisms split 7″ – Été 2010
Écrit par: Thibault
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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