HZ RADIO hz radio
Atlas Sound, Le Point FMR, Paris 16 novembre 2009
Le temps est poisseux, le métro bondé et la nuit déjà noire. Le week-end encore dans les jambes, joyeuse décoction ondoyant entre le mauvais goût d’un concert évitable (T21) et l’odeur rance d’endroits aux effluves d’éthyles, ce lundi transpire d’une sensation charnelle, une sourde mélancolie flottant aux abords du canal Saint Martin. Lieu d’avant garde, tant plastique que musicale, occupant une caserne de pompier pour partie abandonnée, le Point FMR, accueille foule d’artistes, à l’orée d’une reconnaissance internationale, venus prendre le pouls d’un public parisien réputé sourcilleux. La salle, pourtant à taille humaine, est blindée. Après Girls et The XX, et avant The Pains of Being Pure at Heart, Bradford Cox est l’origine d’un tel attroupement révérencieux. Leader démantibulé des sinueux Deerhunter, Bradford Cox est très en verve pour présenter Logos, second volet de son side-project Atlas Sound, initié en février 2008 avec Let the blind lead those who can see but cannot feel. Ce n’est que la deuxième fois que le grand bonhomme vient trainer ses guêtres à Paris, la première, lors de l’édition 2008 de la Vilette Sonique, fut l’occasion de percevoir quel foutoir régnait au sein de Deerhunter. Formé en 2001 à Atlanta et relevant d’une collision entre bricolage post-punk et ambient techno éthérée, à la manière d’un Sonic Youth revisitant le répertoire scolastique de Brian Eno, Deerhunter s’impose dès 2007 et son album Cryptograms comme valeur sûre de la scène expérimentale américaine au même titre que les new-yorkais d’Animal Collective. Le pouvoir d’attraction de ces derniers joue d’ailleurs à plein. Si Microcastle, troisième album de Deerhunter, et son orientation pop sous méthadone, découle de cette accointance psychoactive, une amitié indéfectible se tisse entre Bradford Cox et plusieurs membres d’Animal Collective dont Noah Lennox, alias Panda Bear. Celui-ci l’invite lors d’une tournée des new-yorkais en 2008 tandis que Bradford Cox est au plus bas, vertement découragé par la profanation numérique des démos d’Atlas Sound et Deerhunter.
Convaincu d’approcher la possibilité d’un mythe, c’est donc avec une curiosité non feinte que le public attend son heure. Récente signature du label Ghostly International – plus connu pour ses références techno, mais s’ouvrant de plus en plus au versant pop de l’électronique (The Chap, School of Seven Bells, Matthew Dear) – les Choir of Young of Believers assurent une première partie qui n’a d’originalité que la barbe proéminente et la nationalité danoise d’origine gréco-indonésienne de Jannis Noya, pierre angulaire d’un collectif à géométrie variable. Les conventions d’une pop aux arrangements biens ficelés sont par trop respectées pour aimanter durablement l’attention sur les chansons extraites de This is for the White in your Eyes (2009), récent album d’un groupe cultivant plus la neurasthénie qu’une poésie lunaire trop rarement entraperçue (Claustrophobia). Il n’empêche, Bradford Cox, lui, les aime bien. Il ouvre d’ailleurs son set en leur compagnie, sur un morceau foutraque vraisemblablement écrit l’avant veille. Mine satisfaite, la grande carcasse osseuse se déploie et s’en va chaleureusement étreindre chacun des Choir of Young of Believers quittant la scène. Bradford Cox, chemise blanche, cravate et lunettes noires, regagne sa chaise et sa guitare face à une foule un brin dubitative : aucun autre musicien ne le rejoindra. Seul, il entame alors un set intimiste, où la mise à nue révélée par l’apaisé Logos (4AD / Kranky, 2009) s’avère poignante et attachante à défaut d’être mémorable. Transfigurées par un minimalisme de circonstance, et jouées avec une lenteur glaçante, Criminals, Shelia, Kid klimax et Walkabout se succèdent dans un enchevêtrement d’échos et de loops. Jetant patiemment les bases de chacune de ses orchestrations répétitives, mille feuilles de boucles de guitare, de chant et d’harmonica, Bradford Cox disparait derrière sa batterie au deux tiers des morceaux pour en rythmer l’agonie. Ce qui marche au début et qui finit par lasser. D’autant qu’il se prend allégrement les pieds dans les câbles lors d’une reprise capharnaüm d’un des poncifs de Deerhunter, Rainwater cassette exchange. Mais l’essentiel est ailleurs et plus précisément au bout de ses lèvres décharnées par la maladie, Cold As Ice et Attic Lights, qui concluent le set, résonnent durablement dans les limbes tant la voix de Bradford Cox reste fascinante. L’homme transmets par son chant pénétrant et sa gestuelle maladroite cette fragilité consubstantielle à son être déliquescent – Bradford Cox souffre du syndrome de Marfan – cette équation sans inconnu, où la maladie travaille au corps et menace à tout moment d’écourter l’instant. Entouré d’un groupe soutenant ce patchwork de fine dentelle sonique, la magie n’aurait pas été loin. On se contente là d’en percevoir l’écrin.
Et s’il fallait se convaincre d’un tel talent brut, l’écoute de Logos (4AD/Kranky), sorti le 19 octobre dernier, suffit amplement. Si Let the blind lead those who can See but Cannot Feel est un disque maladif, claustrophobe, mettant en abîme les symptômes d’un Bradford Cox meurtri génétiquement, Logos tend à une lecture rassérénée d’une fatalité incontournable. Si l’angoisse de la dégénérescence traverse de par en par Logos, ce n’est plus avec la saillie lacrymale que celle-ci chloroforme le disque. Par la captation sensible d’un regard éprouvé mais lucide, le disque émeut autant qu’il émerveille. Le morbide cède la place à la grâce. Entamé par l’aquatique The Light That Failed, qu’aucun animal collectif ne renierait, puis par la nébuleuse et acoustique, An Orchid, un premier sommet est atteint avec Walkabout et son chant espiègle, assuré par Noah Lennox. Criminals et Attic Lights, au-delà de témoigner d’une écriture délicate, égrainent une langueur éblouissante quand Sheila, et son refrain d’une froide sincérité (« Shelia, nous mourrons ensemble et nous nous enterrerons l’un l’autre, car personne ne veut mourir seul »), se pare d’une intemporalité propre à un classique du genre. Laeticia Sadier, échappée de Stereolab, prête sa voix à une odyssée narcotique de toute beauté, Quick canal, où un beat saisissant s’adjoint d’un tumulte progressif tissé de saturations shoegaze. Bradford Cox, étant de toutes les écoles, aurait pu nommer Washington school « New York school » tant sa logorrhée s’aventure sur le terrain lunaire d’un folk psychédélique subtilement défloré par ses amis funambules. Reste Kid klimax à l’électronique épurée, et Logos au rythme échevelé, toutes deux cousues d’un chant trafiqué que l’on pu croire être celui d’un Mark Linkous – Sparkelhorse – non moins inspiré. Logos est sans doute le disque le plus abouti de tout ceux que Bradford Cox a initié jusque là , avec ou sans Deerhunter. Pour preuve que l’introspection accouche parfois de miracle – car Logos est un grand disque – que la science ne saurait cerner. Un sacerdoce musical restant à confirmer sur scène avec un Bradford Cox aussi bien entouré que sur disque. Ce qui ne saurait tarder.
Atlas Sound – Logos (4AD / Kranky, 2009)
01. The Light That Failed
02. An Orchid
03. Walkabout
04. Criminals
05. Attic Lights
06. Shelia
07. Quick Canal (feat. Laetitia Sadler)
08. My Halo
09. Kid Klimax
10. Washington School
11. Logos
Écrit par: Thibault
2009 4AD Atlas Sound Logos Paris Point FMR rock US
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
Hartzine the indie music webzine since 2007
Commentaires d’articles (0)