Artistes

Busdriver l’interview & chronique

today18/03/2012 126

Arrière-plan
share close

« Quelle question débile ! » se lamente Busdriver, lorsque le plus honnêtement du monde et à la faveur d’une lecture plutôt objective de l’histoire du genre nous lui demandons si le rap ne serait pas mort. À cette formulation quelque peu brutale et provocatrice, on espérait une réponse éclairante de celui qui, à la fin des années 90 – époque avènementielle d’un genre sur le point de se fourvoyer dans l’exacerbation éhontée de ses travers – tournant justement le dos à la facilité et l’uniformisation ambiante, étonnait par son flow off-beat à la cadence hors-norme. C’était une époque bénie pour l’auditeur attentif à l’évolution du rap underground, une petite dizaine d’années durant lesquelles le double H connu dans ses marges son acmé stylistique. Seulement ce genre, célèbre pour ses penchants à l’insoumission, ses remises en cause sonores et ses velléités contestataires, a cédé face aux regards insistants du business et aux courbes de tendance. Pis, ce dernier jadis généreux avec l’avant-gardisme de la rue – véritable source d’idées et d’énergie dans laquelle il puisait généreusement pour se renouveler – s’en est peu à peu détourné, jetant en impudent renégat un large voile d’ignorance sur tout un pan de son activité souterraine. Certains, au regard des évènements récents, diront tout comme « Bus » que j’ai tort. Pour autant, les Dany Brown, Schoolboy Q, A$SAP Rocky, Yealawolf… ces nouveaux agiteurs du rap que le magazine Spin se plaît d’appeler « New Underground » ne sont en rien novateurs. Leurs clins d’oeil au rock, leur goût pour les sons électroniques sales et rugueux, leurs postures introspectives et leurs inclinations pour l’abstract sont autant de caractéristiques largement utilisées par tout une ribambelle d’artistes trop peu écoutés (Big Juss, Labwaste, Edan, Canibal Ox, Thavius Beck, Dose One…). Voilà pourquoi le rap est mort, « Bus », et ce n’est en rien ta faute toi qui, d’album en album, s’est évertué à le réanimer. Il nous faut donc nous pencher sur le septième album de la discographie de l’Angelinos en occultant ces circonvolutions éditoriales, et l’apprécier pour ce qu’il est, à savoir le disque honnête et généreux d’un artiste enfin apaisé. Et si au passage ce dernier fait mentir mes précédents propos, c’est tout simplement parce qu’il n’est pas qu’un disque de hip-hop. Oubliant d’une part sa verve rapologique et ses expérimentations élitistes de la première heure et d’autre part les côtés abordables mais inégaux de ses trois derniers disques, Busdrivrer réussit pour la première fois à faire cohabiter son besoin d’expérimenter et son désir de plaire. Album ramassé et d’une rare cohérence pop, Beaus$eros est rempli de productions soignées et d’intentions légères et acidulées dans lesquelles nous avançons aisément et sans nous lasser.

Entretien avec Busdriver


Tu sors ton septième album. Une longévité rare de nos jours. Es-tu fier de ton parcours ?
This is going to be your 7th album. You’ve been around for a while and it’s a rather impressive achievement by today’s standards. Are you proud of your career?

Pas encore, mais ça vient…

Not yet, but I’m getting there.

Que reste-t-il de blowedian chez Busdriver ?
Is there still a bit of blowedian in your work ?

Mon travail n’est rien d’autre que blowedian. La curiosité intellectuelle et la virtuosité sur lesquelles mon travail repose sont des caractérisques essentielles à l’approche du genre.

My work is nothing but blowedian. The intellectual curiosity and virtuosity that my work depends on are hallmarks of the blowedian approach.

Beaus$eros est donc ton septième album ; qu’est-ce qui se cache sous un tel titre ?
As mentioned before, Beaus$eros is your 7th full-length album. What does the title mean?

Le titre peut être pris au premier degré : ‘beau’ et ‘éros’. Le but de l’album était de demander pardon à toutes les femmes que j’aime, donc le titre fait juste référence aux efforts romantiques masculins. Je le considère plus comme une mise en garde que comme une invitation.

The title can be taken literally: ‘beau’ and ‘eros’. The record’s main focus has to do with me pleading for forgiveness from the women I love so the title just labels the effort as the romantic pursuits with men that you’ve grown fond of. I see it as more of a warning than an invitation.

Sur ton précédent album, Jhelli Beam, tu conviais plusieurs producteurs – Deadlus, Nobody ou encore Omid. Pour cet album, tu n’as fait appel qu’au Belge Loden (Mush Records). Pourquoi un tel parti-pris ?
Several producers collaborated on your last album, Jhelli Beam, such as Deadlus, Nobody and Omid. On the new album however, you have chosen to work exclusively with Belgian producer Loden (Mush Records). Why such a change?

J’avais besoin de me concentrer. L’esthétique de cet album devait vraiment être unique. Ça impliquait que quelqu’un puisse s’investir à fond pour la réussite de l’album. C’est ce que Loden a fait, et plus encore. Il a rendu possible ces emprunts à la pop, à la bass music et bien plus encore, et ça sans aucun pépin. Et il est resté patient jusqu’au bout. En fait, j’avais besoin d’une relation autour de laquelle centrer l’album, pour pouvoir matérialiser les meilleures idées possibles.

I needed focus. The aesthetic of this record needed to be singular. It demanded someone to invest themselves in the record’s success wholeheartedly. Loden did that and more. He allowed the forays into pop, bass music and everything else to happen without a hitch. Plus he was patient with the process as a whole. All and all, I needed a central working relationship to bring the best possible ideas to life.

Peux-tu nous raconter ta rencontre avec Jolan Koks ?
Could you tell us about your meeting with Jolan Koks?

On s’est rencontré sur internet ou peut-être grâce à Mush Records, ou bien même les deux. Au début, je bossais avec lui sur un petit album de rap sur lequel j’étais en charge de la prod. Je suis tombé amoureux de sa manière de travailler et j’ai beaucoup insisté pour que l’on puisse travailler à nouveau ensemble. Dès lors, on a un peu perdu le contrôle des choses. C’était il y a environ deux ans et demi.

We met on the internet or through Mush records, or both. At first I was working with him for a small rap record that I was executive producing. After I feel in love with his process, I insisted that we worked together. From there things just spiraled out of control. That was probably 2 and a half years ago.

Vous avez travaill& à distance sans jamais vous rencontrer physiquement ?
Were you able to work without meeting in person?

Tout à fait. Nous ne nous sommes rencontrés qu’une seule fois, sept mois après avoir fini l’album.

Very much. We’ve only been in each other’s company once…and that was 7 months after we finished the record.
Quelles ont été tes sources d’inspirations tant artistiques que sociétales pour l’écriture ce nouvel album ?
What were your artistic and sociological inspirations for this new album?

L’amour. La beat music de Los Angeles. Des albums qui parlent de séparation amoureuse…C’est à peu près tout.

Love. Los Angeles beat music. Break-up records… that’s about it.

Tu sembles de plus en plus t’éloigner de ce qui a construit ta légende, à savoir la singularité de ton flow. Les parties chantées sont d’ailleurs omniprésentes sur Beaus$eros. Pourquoi un tel virage ?
It seems you are moving away from the very unique « flow » which was your original trademark. There’s actually much more singing on Beaus$eros. Why such a change?

Juste parce que…

Just because…

Cet album sort donc via Fake Four, structure fondée en 2008 par des passionnés de l’indie rap (les frères Ramos) et dans laquelle nous retrouvons rien de moins que la crème du genre. Et pourtant c’est, de ta discographie, l’album qui semble le plus éloigné de tes racines hip-hop. Comment expliques-tu cette ambiguïté ?
This album is on Fake Four, a label on which some of the most acclaimed acts are signed to, founded in 2008 by the Ramos brothers who have been huge supporters of indie rap music. However, of all your work, it’s perhaps the album that feels the less rooted in your hip-hop background. How would you explain this ambiguity?

La naissance de mon album n’a absolument rien eu à voir avec le label. Je n’ai pas non plus essayé de rester dans un genre en particulier. Pas mal de règles ont été abandonnées pour celui-là, remplacées par des directives plus larges. Mon ancien label m’avait lâché et j’avais perdu ma fiancée, et ça m’a énormément influencé dans tout ce que j’ai pu faire.

My record’s inception had nothing to do with a label. Nor was I looking to stay rooted in any genre exclusively. A lot of rules were just abandoned for this one and replaced with other more expansive guidelines. Being dropped from my previous label and losing my fiancee were huge influences in how I approached everything.

Mush, Big Dada, Anti, Epitaph, et aujourd’hui Fake Four Inc. Tu as connu un nombre important de labels. C’est par choix ou par obligation ?
Mush, Big Dada, Anti, Epitaph and now Fake Four inc. You’ve really been through quite a lot of different labels. Was it by choice or by obligation?

Je vais où l’on m’appelle…

I go where I’m wanted…

D’ailleurs, qu’en est-t-il de ton Label Temporary Whatever ?
What’s happening with your own label Temporary Whatever?

Je n’ai pas le temps ou les idées pour y travailler. Peut-être un jour.

I don’t have the time or vision to do such a thing. May one day I will.

Comment appréhendes-tu ta tournée européenne ? Tu seras seul sur scène ?
How do you feel about your European tour? Will you be on your own on stage?

J’ai de la chance de pouvoir tourner en Europe aussi souvent que ça. Et oui… Je serai seul sur scène.

I feel lucky to be able to tour Europe as ofter as I do. And yes… I will be on stage alone.

Tu es un sage désormais ! Alors quel regard portes-tu sur la nouvelle scène rap californienne, l’émergence d’OFWGKTA, sur le swag en général, et l’apologie du désenchantement qu’ils véhiculent ?
You must be quite the expert now! So how do you see the new californian rap acts, the emergence of OFWGKTA, the swag in general, and the desillusioned vision they seem to carry?

Le rap de L.A. est bien plus sain ces temps-ci. Mon groupe de rap préféré est Black Hippie, et il y a dix mille autres artistes qui se battent pour être remarqués. Mais il y a aussi pas mal de talents à découvrir. Les liens que je peux avoir envers ma ville, en terme de rap, existent, mais ils sont tendus. Malgré tout, ça reste un terrain en friche plus coloré que le jardin luxuriant d’autrefois. Cette année est pleine de promesses, ceci dit, et on verra bien ce qui se passera.

Rap in L.A. is a lot healthier nowadays. Black Hippie is my favorite new LA rap crew and there are tons of other acts fighting for exposure. But there is still a lot of talent languishing. The connection that I have to my city rap-wise is there, but strained. It’s still more a colorful wasteland than the lush garden that it once was. This year does look promising though, so we’ll see what happens.

Le rap est-il mort ?
Is rap just dead?

Quelle question débile… Peut-être pour toi. Et si c’est le cas, toutes mes condoléances.

What a ridiculous question… It could be dead to you. And if so, I’m sorry for your loss.

Qu’écoutes-tu en ce moment ?
What do you listen to at the moment?

Euh…Schoolboy Q, Sonnymoon, du vieux Portishead, SBTRKT, Scott Walker, Hellfye Club et j’en passe.

Ummm… Schoolboy Q, Sonnymoon, old Portishead, SBTRKT, Scott Walker, Hellfye Club stuff and other things that I forget.

Quels sont tes futurs projets ?
Any future projects?

Eh bien, je suis en train de finir un EP avec Del The Funky Homosapien, et j’essaie de trouver un moyen de sortir le premier album de mon groupe, Physical Forms. À part ça, j’ai commencé à bosser sur un autre album de Busdriver.

Well, I’m finishing an EP with Del the Funky Homosapien and am figuring out a way to put out the debut album by my band Physical Forms. Aside from that I’ve started laying the groundwork for another Busdriver album.

Audio

Vidéo

Tracklist

Busdriver – Beaus$Eros (2012, Fake Four)

1. Utilitarian Uses of Love
2. Bon Bon Fire
3. Kiss Me Back to Life
4. You Ain’t OG
5. NoBlacksNoJewsNoAsians
6. Picking Band Names
7. Beaus & Eros
8. Feelings
9. Ass to Mouth
10. Electric Blue f/ Sierra Cassidy of CocoRosie, Mike Ladd, Joëlle Phuong Minh Lê
11. Here’s to Us
12. Colour Wheel
13. Swandive into a Drinking Glass
14. Scattered Ashes

Tour

4/4 – Roubaix, France – Cave aux Poètes
5/4 – Bruxelles, Belgique – Bar du Matin
6/4 – Creil, France – Grange à Musique
8/4 – Namur, Belgique – Belvédère
11/4 – Paris, France – La Bellevilloise
12/4 – Limoges, France – La Fourmi
13/4 – Annonay, France – La Presqu’ÃŽle
15/4 – Vogüé, France – L’Escargot
16/4 – Toulouse, France – Connexion Café
17/4 – Bordeaux, France – I Boat
18/4 – Tours, France – Temps Machine
19/4 – Bobigny, France – Canal 93

Écrit par: Benoit

Rate it

Commentaires d’articles (0)

Laisser une réponse

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs marqués d'un * sont obligatoires

HZ since 2007

Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous  explorions  sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !

Contact us

doner dooner

dieu vous le rendra….

0%