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Leeds, 1976, les Trente Glorieuses n’en finissent plus d’agoniser dans ce comté du Yorkshire. En réponse à la désindustrialisation et à la crise minière touchant particulièrement cette région ouvrière, syndicalisme et grèves monstres prolifèrent sous fond de crispations identitaires et d’inévitable retour de la droite conservatrice au pouvoir. Celle-ci, conduite d’une main de fer par Margaret Thatcher, s’arroge dès 1979 les rênes du Royaume, déclarant derechef la guerre au Trade Unions Congress, fédération syndicale à tendance ouvertement communiste, quand bien même le chômage explose. Partagée entre une population étudiante éprise de trotskisme et la multiplication d’organisations d’extrême droite, Leeds vit une période trouble et agitée, entre émeutes sociales, raciales et combats de rue. Comme partout en Angleterre, les pubs se retrouvent au centre de cette atmosphère sulfureuse et galvanisée d’alcool, en tant que point de ralliement. Et c’est précisément au Fenton que les Gang Of Four - en référence au surnom donné aux quatre chefs de la révolution culturelle chinoise ayant pris la relève de Mao à sa mort – peaufinent l’essence d’un « son » sur les braises d’un pub-rock incarné par Dr Feelgood, aux rythmiques puissantes et minimalistes, et d’un punk, version Clash, débarrassé de sa rengaine misogyne. Car en plus de graver sur sillons un punk-funk corrosif et froid – le temps d’un EP inaugural Damaged Goods (1978, Fast Product), et de deux albums à la sève intemporelle, Entertainment! (EMI, 1979) et Solid Gold (Warner Bros, 1981) – où la basse élastique de Dave Allen et la batterie âpre d’Hugo Burnham croisent, sans surcharge, la guitare épileptique et mâtinée de larsens d’Andy Gill, Gang Of Four suggère dans ses chansons, par la voix de John King, une tripotée de réflexions gauchisante, livrant de facto le groupe à la violence intarissable de skinheads ostensiblement néo-nazis. Réflexions qui, à défaut d’être toujours cohérentes, ont le mérite d’éviter le tropisme soporifique des chansons politiques tout en concourant à la démarcation du groupe dans le paysage musical d’alors : égalitarisme dans la composition, les droits d’auteur et les salaires, et ce, même pour les roadies.
En (bonne) compagnie des Mekons et des Delta 5, Gang Of Four place vertement Leeds sur la carte du post-punk anglais mais loupe le coche s’agissant de sa stratégie de propagande. Conseillé en la matière par Bob Last, instigateur du label indépendant et subversif Fast Product, Gang of Four signe sur la major EMI afin d’insuffler ses théories à un maximum de public, mais refuse de se produire lors d’une émission de Top of the Pops, les responsables de la chaîne tentant d’imposer une correction lexicale à un des couplets d’At Home He Feels Like A Tourist, leur premier single sur EMI. Dès lors, sans être des flops, Entertainment! et Solid Gold n’ont pas le succès escompté et très vite la musique du groupe s’effrite jusqu’au départ de Dave Allen, remplacé par Sara Lee, suite à une tournée américaine mouvementée. « On est resté sur nos positions. Mais avec le recul, le fait d’avoir refusé de passer dans Top of the Pops a surtout détruit notre carrière« . Les mots, lucides, sont de Burnham. Deux disques suivront, Songs of the Free (1982) et Hard (1983), mais le punk-funk des débuts, aussi dansant que contondant, s’étiole au point de devenir un succédané vaguement commercial de sa propre révolution sonique. Sortie en janvier de cette année, Content est, de l’aveu même de ses auteurs, censé renouer avec les premières lubies du groupe. Réussite ou pas, il apparaît en revanche peu contestable que les idées de John King tranchent avec l’air du temps, où apolitisme et musique ne font désespérément plus qu’un.
Le contexte de crise actuel vous semble-t-il similaire à celui secouant l’Angleterre lors de votre apparition dans le paysage musical à la fin des années 70 ?
In your opinion, does the actual economic crisis appear similar to the one that occured in England at the time you emerged in the music scene in the late 70s?
Je peux voir quelques similitudes. Les choses étaient bien pires dans les années 70 que maintenant. Mais ceci dit, les temps sont durs et nous avons eu un gouvernement de droite vicieux déterminé à écraser les gens à faible ou moyen revenu. Alors que les cycles d’expansion et de récession sont dans l’ADN du capitalisme, ce dernier effondrement a été conduit par une nouvelle culture de casino de la dernière décennie qui a vu des paris imprudents sur d’obscurs outils financiers échangés fondés sur des dettes construites en fin de compte sur l’exploitation du rêve de devenir propriétaire de l’Américain à faible revenu.
Et nous avons socialisé la dette mais privatisé les profits avec pour conséquence que les très riches ont continué à prospérer à nos dépens. Tout ceci signifie que c’est le moment idéal d’être un artiste créatif. Les artistes ne produisent pas leur meilleur travail assis dans un fauteuil. Le comfort engendre seulement des James Blunt ou des Cuckoo Clocks.
I can see some. Â Things were much worse in the 70’s than now But , that said, these are hard times and we have a vicious right-wing government determined to grind the faces of the poor and middle income people. While cyclical booms and busts are in the DNA of capitalism, this last bust has been driven by a new casino culture of the last decade that saw reckless gambling of traded arcane financial instruments based on debt ultimately built on exploiting the dreams of low-income Americans to own their own homes.
And we’ve socialised debt but privatised profits, so that the very wealthy have continued to prosper at our collective expense. Which means it’s a great time to be a creative artist. Artists don’t usually produce their best work in an armchair. Comfort only produces James blunt & Cuckoo Clocks.
D’ailleurs, pour vous, en plus de sonner « actuel », Entertainment ! est-il toujours d’actualité ?
For that matter, do you think that Entertainment, besides sounding actual is indeed still relevant?
Je crois, parce que l’album est honnête et sonne comme tel. Quand on l’écoute (et je l’écoute maintenant avec du recul, comme n’importe quel autre enregistrement), on peut visualiser les musiciens dans la pièce, on sait ce qu’ils sont en train de faire, ils ne se cachent pas et il n’y a presque aucun déguisement ou effet. Quand Andy et moi l’avons produit, nous avons tout fait pour garder l’ensemble pur et dans l’instant, en utilisant le minimum de traitements. Donc il sonne toujours caractéristique. Et les sujets de nos morceaux ont toujours une résonance.
I do, because the album is honest and sounds like itself . When you listen to it- and I listen to it now, at a distance, like I do any other recording- you can visualise the musicians in a room, you know what they’re doing, they’re not hiding and there’s almost zero camouflage or effects. When Andy & me produced it, we set out to keep everything pure and in the moment, using the least   treatments. So it sounds , still, distinctive. And what we sang about still has resonance.
L’idéologie et la conceptualisation du monde ont toujours eu une place prépondérante dans vos textes : est-ce la raison fondamentale de votre retour discographique ? Le fait d’avoir toujours quelque chose à dire, un message… ?
The ideology and a certain ideation/conceptualization/conception of he world had always have a predominant role in your lyrics. Do you feel like you still have something to say, a kind of message? Would it be the main reason of your come back?
Nous sommes des musiciens, pas des politiciens ni des journalistes ou des chroniqueurs sociaux qui essaieraient de vendre des lignes. Nous n’avons pas un message structuré et cohérent qui décrirait quelle est la bonne façon de penser ou d’agir. Mais nous essayons de décrire la vie d’aujourd’hui aussi honnêtement que possible, d’une manière non romancée et qui expose différents points de vue. Toute personne qui fait ça est inévitablement dans l’opposition parce que les drapeaux qu’on nous a appris à saluer ont pourri sur leur hampe…
We’re musicians, not politicians or journalists or social commentators and aren’t trying to sell a line . We don’t have a message that is structured and coherent that describes what is the right way to think or do things. But  we do try to describe modern life as truthfully as you can,  to look at a situation and, say « this is this » as honestly as possible, in a non-romanticised way and that presents  different points of view.  Anyone who does this is inevitably oppositional. Because the flags we’re all trained to salute have rot in the poles..
Avez-vous le sentiment d’avoir appartenu à la scène que l’on a qualifiée de post-punk ? Si oui, qu’est-ce que cela représentait à l’époque pour vous, et qu’est ce que cela représente aujourd’hui rétrospectivement ?
Are you under the impression that you have belonged to the so called post-punk scene? If the answer is yes, what did that mean to you at that time? And what does it represent to you retrospectively?
Le terme descriptif « post-punk » a été inventé bien après qu’on ait commencé. Il fut un temps après le punk où de nombreux groupes ont essayé toute sorte de choses nouvelles. Mais il n’y avait pas une « scène ». Nous habitions à  Leeds et la scène là -bas c’était essentiellement nous et nos potes. C’était la même chose à Manchester, Liverpool ou Londres. C’était très régionalisé.
Post-punk as a descriptor was invented long after we’d started.there was a time after punk when many different bands tried out all sorts of new things. But there wasn’t a scene. We lived in Leeds and the scene there was essentially just us and our friends. The same was true in Manchester or Liverpool or London. It was all very cantonised.
Quels étaient vos amis d’alors – les groupes avec qui vous vous entendiez – et quels sont-ils aujourd’hui ?
Who were your friends at that time (the band with which you got on well) are who are they today?
On était tout un groupe à traîner ensemble tout le temps et à boire dans le même pub, le Fenton, à Leeds. Les Mekons et les Delta 5 avaient pour habitude d’utiliser notre matériel quand on ne s’en servait pas. Et en tant que collectif, GOF et les Mekons avons bâti notre propre système d’amplification avec des restes de surplus de l’armée et du bois de décharge. D’autres amis de Leeds, qui ont par la suite formé de supers groupes eux aussi étaient Green Gartside (Scritti Politti) et Marc Almond. Quand on a déménagé à Londres, on partageait un bureau avec The Slits et The Pop Group. J’adorais les Slits et on a parfois joué avec eux et les Buzzcocks.
There was a group of us who hung out together all the time and drank in the same pub, The Fenton, Leeds . The Mekons & Delta 5 used to use our equipment when we weren’t, and as a collective GOF & the Mekons built our own PA system from army surplus scrap and wood from dumper sites. Other friends in Leeds, who later formed great bands as well, were Green ( Scritti politti) & Marc almond. When we moved to London we uaed to share an office with The Slits & The Pop Group. I used to love the Slits and we sometimes  played with them and the Buzzcocks.
Quel regard portez vous sur la création musicale aujourd’hui, notamment depuis internet ?
What is your opinion/what do you think of the musical creation as it is today, more particularly since the apparition of the internet?
C’est difficile d’être musicien et internet, avec sa promesse que le monde entier puisse voir et écouter ton travail facilement et partout semblait si positif. Malheureusement, les gens n’accordent plus de valeur au travail des musiciens, séduits comme ils l’ont été par les intermédiaires technologiques comme le diabolique Apple qui ferait passer la plus avare des maisons de disques pour généreuse ; il n’investissent pas un seul centime dans les musiciens mais les dépouillent pour une partie de leur travail. Personne ne peut vivre de la vente de ses disques. Et les revenus baissent aussi. Je plains vraiment les nouveaux groupes et musiciens qui essaient de se faire un nom. C’est plus facile pour ceux qui sont déjà établis.
It’s hard to be a musician. Â & the web , with its promise that the world could see and hear your work easily, anywhere , seemed so positive. But sadly, people no longer value what musicians do, seduced as they’ve been by the technology intermediaries like the evil Apple, who make even the most avaricious record company look generous; never investing a cent in musicians but skinning them for a slice of their work. Noone can make a living off the sale of recorded music. And sadly, live income is going down to. I really feel for new bands and musicians trying to make a name. It’s easier for the established acts.
Vous vous reconnaissez dans quels groupes ?
Which bands/artists do you feel close to?
Les groupes dont je me sens proche sont ceux qui m’ont fait me sentir bien et m’ont fait penser différemment. Je réécoute donc constamment les vieurs Delta Blues ou Chicago Blues (Robert Johnson ou Muddy Waters) ou les grands dieux de la guitare comme Jimi, ou les musiciens inspirants comme Miles Davies, et l’oeuvre complète de Bob Dylan. Je ne dis pas qu’on se considère à leur niveau, ce n’est pas le cas, mais ils ont toujours été pour moi un exemple d’artistes qui ont poussé leurs idées aussi loin qu’ils le pouvaient. Et c’est ce qu’on essaie de faire.
The bands I feel close to are the bands that have made me feel good and think differently. So I constantly revisit old Delta or Chicago blues- Robert Johnson or Muddy Waters- or great guitar gods like Jim, or inspirational players like Miles, or the total package of Bob Dylan. It’s not to say that we rank there with them, we don’t, but they are a continuing example to me of how to push ideas as far as they go. Which is what we try to do.
Après Mall et Shrinkwrapped, qu’attendez-vous de Content ?
After Mall and Shrinkwrapped, what are you expecting with Content?
Je suis tellement satifait de cet album. Je le vois comme une sorte de pendant à Entertainment! et Solid Gold avec ses batteries rudimentaires et féroces. Je n’en attends rien mais espère beaucoup.
I’m so pleased with this album. I see it as a kind of sister piece to Entertainment! & Solid Gold. Stripped dowm lean, fierce rhythms and strong lyrical ideas. I expect nothing but hope a lot.
Est-ce une nouvelle exégèse de vos partis-pris musicaux/conceptuels ? Présentez nous le fil conducteur de Content ?
Is it a new exegis of your conception of music? Did you have any specific goals with this album? Could you present the album’s thread to us?
On voulait écrire une musique où chaque partie jouerait un rôle d’égale importance mais aurait une implacabilité qui vous emporterait ailleurs, comme un train qui tombe d’une falaise, où chaque élément est intentionnel. Ce n’est pas le même univers qu’une musique commerciale, ennuyeuse, avec une inifité de couches et surproduite.
Donc, en faisant l’album, on voulait jouer selon notre propre force/puissance, s’assurer que les morceaux avaient l’espace de respirer ; laisser des choses de côté est généralement plus bénéfique que d’en rajouter. On a réfléchi et pas mal débattu sur les sujets sur lesquels on écrivait. Ces derniers temps, je suis fier qu’en plus de nos fans qu’on adore et qui ont appris à nous connaître au fil du temps, on attire un nouveau public, plus jeune avide d’une musique pertinente qui parle de quelque chose de vrai.
We wanted to write music where every segment plays an equally important part, but has a relentlessness that takes you somewhere else, like a train falling off a cliff. Where every element is intentional. It’s not in the same universe as  boring, endlessly layered , over-produced commercial music.
So, making the new album, we wanted to play to our strengths, make sure the songs had space to breathe, that leaving things out is usually better than putting something in; to think and argue hard about what we were writing about.  These days, I’m proud  that, alongside our much loved fans who grown to know us over time, we’re attracting  new younger audiences who are desperate for relevant music that’s about something real.
De quoi sera fait votre futur proche ?
What are your projects in a near futur?
On prévoit de jouer plusieurs dates à travers l’Europe, ce qui sera merveilleux. On a des dates à Paris, Bruxelles, Cologne, Berlin, Hambourg, Rome, Modène et Milan jusqu’ici. Et pendant l’été on jouera dans des festivals.
Then we plan to play a number of dates across Europe, which will be fantastic. We have dates in paris, Brussels, Cologne, Berlin, Hamburg, Rome, Modena and Milan, so far. And in the summer we’ll be playing festivals .
01. Damaged Goods (Entertainment!)
02. Contract (Entertainment!)
03. Anthrax (Entertainment !)
04. Paralysed (Solid Gold)
05. What We All Want (Solid Gold)
Gang of Four – Content (Yep Roc / Gronland – 2011)
1. She said ‘you made a thing of me’
2. You don’t have to be mad
3. Who am I?
4. I can’t forget your lonely face
5. You’ll never pay for the farm
6. I party all the time
7. A fruitfly in the beehive
8. It was never gonna turn out too good
9. Do as I say
10. I can see from far away
Entertainment! (EMI, 1979)
Solid Gold (Warner Bros., 1981)
Songs of the Free (Warner Bros., 1982)
Hard (Warner Bros., 1983)
Mall (Polydor, 1991)
Shrinkwrapped (Castle, 1995)
Return the Gift (2005)
Content (Yep Roc, 2011)
Écrit par: Thibault
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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