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Hole, Le Bataclan, Paris, 25 août 2010
On l’attendait en mai, elle ne s’est pointée à Paris qu’à la fin du mois d’août – et sous le nom de Hole, faisant fi des problèmes juridiques et des attaques des ex-membres du groupe. Pourtant, personne n’est dupe : bien avant l’arrivée sur scène de la première partie, The Dodoz, c’est son nom que les fans impatients scandent, et uniquement le sien : « Courtney ! Courtney ! Courtney ! » Il n’y en a que pour la blonde vénéneuse et défraîchie dont les tristes aventures courent sur les lèvres et sous les doigts de la presse depuis vingt ans déjà . On sait que beaucoup de gens qui sont là apprécient vraiment sa musique – celle de Hole – mais on a quand même un peu l’impression d’être au cirque. Est-elle vraiment là ? Va-t-elle jouer ? Et dans quel état ? A-t-elle décidé de montrer généreusement ses implants mammaires au public ou de l’insulter copieusement ? A quoi ressemble son visage gonflé au botox en vrai ? C’est aussi un peu pour observer une freak que l’on s’est déplacé en nombre ce soir, histoire de vérifier si elle est encore un être humain ou si la vie a finalement eu raison d’elle à force d’acharnement.
The girl with the most cake
Le personnage de Courtney Love est presque devenu un archétype de la mythologie du rock tant elle a, dès le moment même de sa naissance, accumulé les expériences désastreuses et improbables : livrée à elle-même par des parents absents et désintéressés, encline à la rébellion dès qu’elle a été en âge de s’exprimer, et pourtant dotée d’un Q.I. supérieur à la moyenne, Courtney n’a eu à faire qu’un pas du berceau à la maison de redressement, puis de la maison de redressement aux boîtes de strip-tease de Taïwan et d’Alaska. Mais l’adolescente, qui a rapidement fait preuve d’une ambition aussi incontrôlable que sa volonté d’autodestruction, n’avait au fond qu’un seul but : devenir une rock star.
Plusieurs groupes et un album de Hole acclamé plus tard, le monde persiste pourtant à ne voir en elle que la droguée instable et colérique. Le destin s’acharne : Courtney est loin de n’avoir que des amis, et la presse s’échine à en faire l’incarnation du démon. Le moindre ragot improbable à son sujet est transformé en vérité implacable – accusée de vampiriser Kurt, de l’avoir initié à la drogue (c’est presque drôle) et de détruire leur futur enfant, elle se retrouve accablée de tous les torts. Et elle peut bien protester, la parole d’une junkie n’a aucune valeur face aux inventions et aux faux témoignages brandis par les journalistes.
Malgré son retour en grâce dans les médias après son rôle dans Larry Flynt (1996), Courtney Love reste l’éternelle victime de la presse. Si aujourd’hui les magazines de mode se pressent à sa porte, leur intérêt ressemble étrangement à de la curiosité morbide pour l’épave qui s’est baignée dans le sang de Kurt Cobain et a survécu à tout – les mauvaises fréquentations, la drogue, la mort, et une vie privée surexposée. Il faut dire que, propice aux épanchements sur le web depuis plus de dix ans, elle leur donne de la matière. Ses monologues sur Twitter ne datent en effet pas d’hier : dès après la mort de Kurt, elle surfait déjà sur internet, se mêlant aux conversations à son sujet et ne manquant pas d’insulter les mécontents dans des diatribes rédigées dans un anglais approximatif qu’on sentait déversées à toute vitesse sur le clavier sous l’impulsion de la colère.
Elle semble mal supporter le mal d’attention et ne cesse donc de se rappeler au bon souvenir de ceux qui ont tenté de la faire tomber ou l’ont enterrée trop tôt. Il ne manquait plus au tableau qu’un retour sur la scène, délaissée depuis de trop nombreuses années au profit de la chirurgie esthétique, des cures de désintox’ ou des tentatives d’éducation de sa fille – des échecs. Ce soir, son concert est un événement et pourtant personne n’en attend rien : on se doute que de près, elle ressemble à un monstre, et qu’il y a au moins une chance sur deux que la performance musicale soit tout simplement mauvaise – si elle daigne se montrer, bien sûr.
Celebrity Skin
Ses aventures à répétition dans les pages des magazines people – elle mérite rarement la couverture – ont malheureusement réussi à détourner l’attention de sa carrière musicale, et beaucoup de gens semblent ignorer à quel point cette dernière avait été brillante et fulgurante – sans oublier la qualité de son songwriting. Quand Courtney Love forme Hole en 1989, elle a déjà différentes tentatives de groupes à son actif et un certain nombre d’années d’activité au sein des microcosmes rock de Portland, San Francisco, New-York ou encore Liverpool. Tout en continuant de noircir ses carnets de potentielles paroles, elle rassemble autour d’elle les membres d’une formation qui, si elle ne sera finalement jamais exclusivement féminine, portera toujours en étendard un féminisme revendicatif.
Eric Erlandson, guitariste et seul membre masculin du groupe séminal, intègre le groupe après avoir répondu à une petite annonce publiée par Courtney dans un fanzine de Los Angeles – elle cherchait « quelqu’un qui peut enlever son t-shirt et avoir fuck you écrit sur les seins« , une « pute venue de l’enfer« . C’est le début d’une longue amitié qui fera de lui le garde-fou de Courtney et de Kurt jusque dans leurs pires épisodes de désintoxication. Le groupe, également rejoint par la bassiste Lisa Roberts, la batteuse Caroline Rue et un troisième guitariste, Mike Geisbrecht, répète et donne quelques concerts dans la Cité des Anges. Si l’on en croit Eric, le résultat était à l’époque aussi bruyant qu’anarchiste. Après le départ de Lisa et de Mike, Hole recrute Jill Emery à la basse et enregistre dans la foulée deux singles, Retard Girl, sorti sur Sympathy For The Record Industry, et Dicknail, propulsé par Sub Pop. En 1991, Courtney envoie une lettre à Kim Gordon de Sonic Youth pour lui demander de travailler sur le premier album de Hole, dont l’enregistrement est en cours. Cette dernière accepte et co-produit donc, en compagnie de Don Fleming de Gumball, Pretty On The Inside (Caroline Records), un brûlot punk et abrasif dans lequel Courtney se révèle enfin. Les hurlements fonctionnent comme une catharsis pour cette dernière, dont le chant est même comparé à celui de Janis Joplin. L’essai bénéficie immédiatement d’une large crédibilité auprès de la presse spécialisée, qui n’hésite pas à ranger Pretty On The Inside sur la même étagère que le fameux Horses de Patti Smith. Une semaine après, Nevermind suivait dans les bacs.
Après une tournée en Europe et aux Etats-Unis, Caroline Rue et Jill Emery quittent le groupe, rapidement remplacées respectivement par Patty Schemel et Kristen Pfaff, débauchée chez Janitor Joe. Dans la foulée, Hole repart sur la route et Courtney négocie un juteux contrat d’un million de dollars avec Geffen, le label de Nirvana, grâce à qui le groupe enregistre son deuxième album, Live Through This, qui sort quelques jours après le suicide de Kurt Cobain dans la maison du couple à Seattle en avril 1994. Blindé de singles à succès (Violet, Miss World, Doll Parts), l’opus reçoit comme son prédécesseur les louanges de la presse, Spin Magazine en tête. Deux mois après, Eric trouve Kristen morte dans sa baignoire – overdose d’héroïne. Elle sera remplacée par Melissa Auf der Maur, présentée à Courtney par Billy Corgan, le leader des Smashing Pumpkins avec qui elle entretient une relation en dents de scie depuis plusieurs années.
Alors que les têtes tombent autour d’elle, Courtney s’enfonce dans la dépression et la drogue mais continue de tourner, malgré les multiples agressions de fans de Nirvana qui se rendent aux concerts uniquement pour lui balancer la culpabilité de la mort de Kurt en pleine poire. L’enregistrement d’un troisième album est amorcé mais se retrouve rapidement dans l’impasse. Hole prend des vacances mais sort tout de même quelques EP et sessions live. Courtney Love apparaît brièvement sur scène aux côtés des Smashing Pumpkins en 1996 tandis qu’Erlandson collabore avec Thurston Moore. Celebrity Skin sort finalement en 1998. Terminé grâce à l’investissement de Billy Corgan, il s’éloigne des influences dissonantes de Sonic Youth pour prendre un virage plus pop. Davantage optimiste et accrocheur, moins aride, Celebrity Skin est l’album post-tapis rouge de Courtney Love.
Seuls membres rescapés de Hole après une dernière tournée en première partie de Marylin Manson, Courtney et Eric prennent la décision de dissoudre le groupe en 2002. Deux ans après, Love sort un album solo, America’s Sweetheart, qu’elle avoue aujourd’hui détester – tout comme le riff de Celebrity Skin composé par Corgan. En 2009, elle commence à évoquer un nouvel album de Hole, bien qu’aucun des survivants du groupe n’ait été invité à prendre part au projet – pas même Eric. Etrange initiative de la part de Courtney, qui aurait pu tout simplement sortir un deuxième album solo, même si le premier n’avait pas été une franche réussite. Mais bien décidée à braver la justice et à utiliser le nom de Hole comme bon lui semble, elle sort Nobody’s Daughter, l’album le moins attendu du « groupe », en avril 2010 via Mercury Records, et prend la route d’une tournée mondiale.
Difficilement capable de maîtriser son talent – la drogue et les défaites personnelles aidant – Courtney Love aura finalement fait de sa carrière musicale une longue descente au fond de ce « trou qui perce [son] âme » (Euripide, Médée) à grands coups de mauvais punk FM contrastant avec les sublimes plaies ouvertes composées pendant sa prime jeunesse. Déconnectée des réalités juridiques et des amitiés les plus fertiles, elle fait aujourd’hui son grand retour sous le nom du groupe dont elle avait toujours rêvé, avec ou sans ses membres, et pour le meilleur ou pour le pire – c’est encore à voir.
Au soir du 25 août 2010, le Bataclan ressemble à la fois à la Japan Expo et à la cour de récré d’un collège dans les années quatre-vingt-dix. Le public chamarré rassemble en effet sosies de bas-étage aux effets de style douteux, cheveux peroxydés, tramp stamps prohibés et fans frustrés de Nirvana restés capillairement bloqués en 1994 et arborant leur plus beau t-shirt à l’effigie de Kurt, probablement acheté à l’été 1997 sur le marché de la Grande Motte – le genre de fringue avec un loup hurlant au clair de lune sur le dos. Il y a des groupies plus toutes fraîches mais aussi surexcitées que des gamines de 16 ans, et aussi des gens en apparence normaux qui se gaussent des premières. D’autres sont venus de l’autre bout de la France ou d’Italie, mais tous n’ont qu’un seul nom à la bouche. Et ce n’est bien entendu pas celui de Hole.
On avait imaginé une entrée sur scène triomphante, et Courtney Love avait sans doute eu la même idée en choisissant d’arriver au son du Boléro de Ravel – un choix totalement incongru et hors de propos, presque déplacé. Mais c’est désinvolte qu’elle monte sur les planches, clope au bec et mains tremblantes, tentant tant bien que mal de déboutonner son gilet tandis qu’elle salue le public, finalement si fragile sous les cinq centimètres de fond de teint qui ne font qu’empirer l’aspect étrange de son visage défiguré par des litres de botox. Toujours trop blonde, toujours trop maquillée, toujours mal fagotée dans ses nippes de luxe : c’est bien notre Courtney, mais physiquement elle n’a plus l’air que de la caricature d’elle-même. Et pourtant, elle a toujours ce même pouvoir qu’à 20 ans : il suffit qu’elle balance les premières notes de Pretty On The Inside pour que les curieux arrêtent de la dévisager et se mettent à pogoter furieusement dans la fosse. La setlist, qui alterne anciens et nouveaux tubes agrémentés de quelques reprises, est un peu facile, mais personne n’en a que faire : après des années d’absence, c’est bien ce qu’elle nous devait, rien de plus exigeant. Les hits s’enchaînent donc : Skinny Little Bitch, Miss World,Violet, Celebrity Skin, Malibu… Jusqu’à ce moment émouvant où elle décide de reprendre – pour la première et la dernière fois, dit-elle – ce Jeremy de Pearl Jam qu’elle écoutait quand elle était enceinte – elle évoque même Kurt, Ô saint Graal, ça doit se pâmer du côté des chevelus. Fidèle à elle-même, elle parle, parle, parle, raconte sa vie et, au moment de chanter deux versions successives de How Dirty Girls Get Clean, nous confie même qu’elle a écrit cette chanson en rehab et nous demande de ne surtout pas répéter qu’elle s’est droguée, « imaginez les conséquences que ça aurait sur ma réputation ! » Rire général. « Shut the fuck up ! » L’occasion de vérifier que Courtney n’a perdu ni sa capacité d’autodérision, ni sa vieille habitude d’insulter le public. Quelques tubes encore et c’est déjà l’heure pour elle de retourner se vautrer dans les draps en satin de l’hôtel Costes.
Si l’on garde un très bon souvenir de ce concert, la lumière crûe du métro du retour éclaire rapidement le plus gros manque : le groupe, son groupe, Eric et les autres. Pour cette tournée, Courtney Love s’est entourée de trois musiciens – trois hommes – certainement très bons dans leur domaine, mais là n’est pas le problème. Où est passé le propos même de Hole dans cette formation techniquement parfaite mais scéniquement insipide ? Ce qui s’appelle Hole aujourd’hui n’est plus l’allégorie du féminisme grunge riot grrrl des années quatre-vingt-dix, mais une MILF entourée de trois toy boys dont l’un qui doit avoir le tiers de son âge. Sous leurs doigts, Pretty On The Inside s’essouffle comme une crise d’adolescence à la fin du lycée.
Pourtant, Courtney Love a gagné quelque chose : plus qu’une icône de la seule idéologie punk, elle a réussi à s’intégrer totalement dans la culture pop des années 2000. Quand elle fait glisser Pretty On The Inside vers une reprise de Sympathy For The Devil des Stones ou qu’elle cite Lady Gaga – « I want your ugly, I want your disease » (Bad Romance) -, elle prouve sa capacité totale d’intégration et de réinterprétation de la musique d’aujourd’hui et fait preuve du même second degré que quand elle a commencé dans la musique, citant ou conchiant constamment le travail de ses collègues. Courtney veut aujourd’hui être considérée pour elle-même, et plus comme la veuve Cobain, mais, et même si elle ne cesse d’emmerder le monde, elle sait se définir par rapport aux gens qui l’entourent, grapillant le bon et parfois le mauvais, bousculant Madonna, rhabillant Karen Elson… A quand un duo avec Britney Spears ? Comme elle l’avait taguée sur un mur alors qu’elle n’était encore qu’une teenager, elle n’a pas fini de revenir : Courtney Love is revenge.
1. Pretty On The Inside / Sympathy For The Devil (The Rolling Stones’ cover)
2. Skinny Little Bitch
3. Miss World
4. Violet
5. Celebrity Skin
6. Honey
7. Take This Longing
8. Pacific Coast Highway
9. Malibu
10. Plump
11. Jeremy (Pearl Jam’s cover)
12. Doll Parts
13. How Dirty Girls Get Clean (Dirty version)
14. How Dirty Girls Get Clean (Clean version)
15. Someone Else’s Bed
16. Northern Star
17. Thirteen (Big Star’s cover)
Écrit par: Emeline Ancel-Pirouelle
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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Vv sur 15/09/2010
Beau boulot meuf!