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Photos © Amélie Chardon
Beaucoup d’idées, découlant de constats liminaires justes, s’imposent postérieurement par une science diffuse des raccourcis telles des chapes de plomb étiolant tout effort de réflexion – et d’écoute s’agissant de musique – trouvant son point d’orgue dans la concision factice d’une étiquette. Et il en va un peu pour tout et notamment de cette porosité entre ambient, drone, indus, noise et techno. Certes, les quatre Lyonnais d’Insiden s’inscrivent dans cet estuaire sombre et désolé, embrassant de ses tortueuses ramifications l’ensemble des courants précités et rassemblant en France et ailleurs une communauté de plus en plus extensible – des labels BLWBCK (lire) à  In Paradisum (lire) en passant par Dement3d (lire) avec Ligovskoï – mais, au-delà du fait qu’ils aient collaboré avec les Toulousain de SaÃ¥ad le temps d’un split (In Paradisum), Insiden n’est pas SaÃ¥ad et SaÃ¥ad n’est pas Insiden. Et ce contrairement à ce qu’un revers de main intellectuel, aussi facile qu’abusif, peut laisser supposer, arguant qu’il ne s’agit là que d’une mode éphémère s’astiquant avec frénésie sur une constellation à géométrie variable, incluant La Monte Young, Tony Conrad, Ben Frost et Sunn O))) pour la faire courte en brassant large. Car plonger dans les cavités abyssales d’Insiden, n’a rien de comparable à l’expérience sensorielle et méditative instiguée par les longues respirations instrumentales de SaÃ¥ad : leur premier LP Above Us, paru le 30 mai dernier sur In Paradisum, distille d’ailleurs un tout autre sentiment, jouxtant à cette volonté d’introspection une impression latente de tension, d’attente maladive et de peurs inavouables. Insiden se nourrit de ses membres - dont Amédée de Murcia aka Somaticae, Romain de Ferron, Guillaume Mikolajczyk et Hugo Saugier à la création vidéo – pour dépasser par l’improvisation la somme de leur individualité  – « le but, étant de créer une sorte d’addition de nos subjectivités qui doit s’opérer de façon instantanée », l’Insiden d’aujourd’hui ne sera donc plus celui de demain. Interview et écoute exclusive d’un live enregistré à la Cité de la musique à Romans en janvier 2014.
En préambule, pouvez-vous revenir sur l’histoire autour d’Insiden, d’où le projet est parti et comment il a évolué ?Â
Amédée : Insiden n’était à l’origine constitué que de deux membres, Guillaume et moi, qui se sont rencontrés à Grenoble au 102. Guillaume m’avait dit qu’il utilisait un violoncelle électrique, ce qui a tout de suite piqué ma curiosité. Un soir il est venu chez moi pour improviser en branchant le violoncelle sur mon ordi grâce auquel j’y ai appliqué une série d’effets que je contrôlais en direct. Guillaume s’est tout de suite mis à jouer, on a enregistré, puis édité les sons : le résultat nous a plu. Le morceau La Tour était né. On l’a envoyé à Guillaume et Paul d’In Paradisum qui ont vite voulu le sortir. Du coup ça nous a motivé pour continuer à chercher des sons pour le violoncelle et à créer des textures noise autour – notamment à l’aide d’une des pédales d’effet de Guillaume mise en feedback. On a adoré improviser à deux mais ça nous a paru encore mieux de jouer avec d’autres de mes amis artistes, Romain au synthé et Hugo à la vidéo. Tous deux ont rendu le projet plus complet avec leurs personnalités respectives. C’est là que le groupe est vraiment né : un quatuor d’impro visuelle et sonore.
Romain : Depuis le début, nos set-up ont pas mal évolué, elles vont vers des sonorités plus diversifiées grâce à de nouveaux instruments comme l’harmonium, à l’association démoniaque néons/piezzo d’Amédée et aux bidouilles de Guillaume… Et puis, grâce à l’utilisation de la bande analogique retraitée en directe par Hugo et son synthé vidéo, nos visuels ont pris selon moi une dimension plus organique. L’évolution majeure, c’est qu’on a pris pas mal de recul par rapport aux idiomes de l’ambient, de la noise, du drone etc… On tente désormais de sortir de ces clichés pour éviter la paresse dans laquelle peut s’installer le spectateur et nous-mêmes.
Le nom du groupe fait-il référence à la perception que le public doit avoir de votre musique ? Une potentialité exploratoire mais introspective ?
Amédée : C’est un peu ça, le nom du groupe signifie « intérieur ». Notre musique peut effectivement se ressentir comme quelque chose d’introspectif, mais pas uniquement. On est aussi très inspirés par les lieux, la vidéo et les instants durant lesquels on joue : en fait notre musique ne vient pas entièrement de nos intériorités.
Romain : Après, comment les gens se servent de notre musique, si c’est pour faire leur vaisselle ou explorer leurs complexes Å“dipiens, ça ne nous appartient pas.
D’un point de vue esthétique, de la même façon que pour Saaad, on vous associe à l’étiquette dark ambient. Cela vous convient ?
Romain : Pourquoi pas dark ambient, mais pas uniquement sinon ça sonne plutôt chiant. De toute façon c’est toujours un peu flippant d’être étiqueté d’une quelconque manière !
Amédée : Dark ambient, c’était effectivement le cas au départ : nous nous étions placés dans la mouvance Dark Ambient/Drone/Métal, avec des idoles comme Ben Frost, Sunn O)))… Au fur et à mesure de nos découvertes musicales et visuelles, principalement live, car nous allons à énormément de concerts pendant l’année, d’autres mouvances et d’autres artistes, moins sur le devant de la scène, nous sont apparus comme des sources d’inspiration plus riches, plus matures. Un exemple parmi tant d’autres : le collectif Metamkine et les artistes qui gravitent autour, ou encore, dans un tout autre genre, Charlemagne Palestine. En fait on se considère davantage à la croisée de plusieurs courants, dont la Dark Ambient fait peut-être partie.
A l’écoute de vos morceaux, on ressent une sensation d’expérience live. L’improvisation est-elle au cÅ“ur de votre démarche, et si oui, quelle signification a-t-elle pour vous ? Après l’enregistrement, vous retouchez beaucoup vos morceaux ?
Amédée : Oui il est clair que l’impro est au cÅ“ur de notre démarche. En fait, je crois que lorsque nous improvisons, nous tentons de nous imprégner chacun à notre façon du lieu, du moment, entre nous, entre le public, face à la vidéo. Et le but, c’est de créer une sorte d’addition de nos subjectivités qui doit s’opérer de façon instantanée. Pour répondre de façon plus technique, nous improvisons aussi avec l’acoustique de la pièce et avec la façon dont la sono réagit à nos set-up. En revanche, pour l’album, nous avons retouché nos improvisations, crées en studio, lors du mixage pour en garder le meilleur. Lorsque nous retouchons peu, cela donne un morceau comme La tour, lorsque nous retouchons tout, cela donne un morceau comme Le puits et le pendule, qui devient alors une composition très écrite.
Par rapport aux sonorités drone et aux textures que vous utilisez, quelle est la place de la mélodie dans votre projet ?
Romain : La mélodie est très importante pour moi. Elle est souvent là pour contrebalancer avec les sonorités bruitistes d’Amédée ou de Guillaume. Ce n’est pas pour autant des mélodies très développées, il s’agit plutôt de motifs répétitifs et très simples.
Amédée : Il me semble que pour moi, il n’y a pas d’un coté les mélodies, d’un coté les sons drones ou noise. Et puis le tout ne serait qu’une superposition intelligente. Non, tout son est mélodie dans notre musique ou rien ne l’est, cela dépend du ressenti de chacun.
De plus en plus, on dénote une porosité entre la musique ambiant, drone, et l’univers techno. Ce décloisonnement vous inspire ? Vous attire ?
Amédée : Oui, puisque nous écoutons chacun de ces styles séparément (ainsi que le doom métal, l’indus, la musique électroacoustique ou contemporaine) et nous adorons les artistes qui tentent des hybridations de tous ces genres comme Wolf Eyes ou Leyland Kirby par exemple.
Romain : Je ne pense pas que le public de ces trois « milieux » soit vraiment différent. Pour notre part en tout cas, on ne fonctionne pas du tout par chapelle, et on a toujours écouté ce qui nous fait kiffer : de La Monte Young à Dj Assault. Pourquoi s’en priver ?
Comment vous êtes-vous retrouvé sur In Paradisum ? Quels sont vos liens avec le label ?
Amédée : J’avais sorti en tant que Somaticae, mon projet solo, un Ep, Dressed like a bubblegum sur le label et je connaissais déjà Guillaume et Paul depuis longtemps par internet où nous suivions le même forum de musique. Nous sommes devenus amis et j’ai commencé à leur envoyer différents travaux, dont mes improvisations avec Guillaume d’Insiden.
Après un split avec Saaad coproduit par BLWBCK et In Paradisum, vous avez sorti Above Us, le 31 mai dernier. Comment s’est passé son enregistrement et avez-vous l’impression d’avoir franchi une étape ?
Amédée : En réalité, le split avec Saaad a été enregistré bien après Above Us qui est un album qui marque différentes avancés dans nos techniques d’improvisations. En effet, sur l’album, au fur et à mesure de l’enregistrement des morceaux, nous avons appris de nouvelles manières de travailler les sons, sur ordinateur ou sur instruments et machines. Nous avons appris à nous écouter et à savoir quand il fallait que chacun s’exprime, sans qu’il y ai besoin de se faire des signes. Mais il ne faut pas que nous rentrions dans une routine de jeux non plus et il faut que nous nous surprenions chacun les uns les autres.
Le premier morceau d’Above Us est le titre d’une nouvelle d’Edgar Allan Poe. Simple coïncidence ou pour vous chaque morceau reflète une histoire particulière ?
Amédée : Oui, c’est bien en rapport avec la nouvelle. J’adorais frissonner avec quand j’étais enfant. Une fois fini, on a décidé d’appeler le morceau comme ça car il me rappelait vraiment l’histoire au niveau des sons et de l’ambiance – être dans le noir dans une pièce inconnue, entendre des bruits menaçant de vielles machines de fer et de bois, des grouillements de rats… Mais c’est une exception car notre musique nous évoque en général des paysages très abstraits ou juste nos émotions de l’instant.
Quel est le futur proche d’Insiden ? Doit-on s’attendre à un changement d’orientation ou a une permanence dans l’exploration ?
Amédée : Nous voulons continuer à explorer davantage, avec d’autres techniques et d’autres instruments – orgue, harmonium, chant diphonique, violoncelle acoustique, autres systèmes d’effet en feedback vidéo ou son… On aimerait également enregistrer et jouer dans des lieux avec des acoustiques particulières comme l’église du Couvent de la Tourette à Eveux où Romain a déjà enregistré un disque d’orgue sur le label BLWBCK, ou encore sur le système acoustique unique de la ferme du Faï, au Saix, où nous avons déjà joué plusieurs fois lors de notre festival échos (lire). Nous allons aussi très certainement réaliser la BO d’un film, Lumières fossiles de la plasticienne et vidéaste Lise Fisher. C’est un projet démesuré qui sera tourné sur le Pic du Canigou !
Amedée, s’agissant de tes projets personnels, tu as pas mal de choses en préparation. Que peux-tu nous en dire ?Â
Amédée : Je sort dans peu de temps sur In Paradisum un EP, Pacurgis sous mon pseudo Somaticae. Il s’agit d’enregistrements édités de mes lives de l’année 2013. Ce sera assez brut et très techno ! Un peu plus tard, toujours sur le même label, je vais aussi présenter un tout nouveau side project, Roger West, qui est basé sur les manipulations de samples. Pour cet EP, Wasted House, je me suis fixé comme règle de ne composer qu’à partir de samples de morceaux Dance des 90’s, avec une prédisposition pour les morceaux les plus pourris. Le résultat c’est quatre titres de house mutante et démantibulé à la fois dans un esprit de relecture du son french touch mais aussi inspiré par les techniques d’Actress et de Basic House.
Insiden – Above Us (In Paradisum, 31 mai 2014)
1. Le puits et le pendule
2. La tour
3. Comme un navire pris dans la glace
4. Symbols
5. Reikä
6. Sitting Near An Imaginary River
7. Above Us
Écrit par: Thibault
in paradisum INSIDEN Somaticae
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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