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L’ostinato a sans doute été la première figure de la répétition en musique. On en retrouve des traces sur des partitions du XIIIe siècle. L’ostinato c’est la répétition d’un motif musical, on considérera sans doute Pachelbel, Ravel , Satie ou Bach comme des compositeurs qui en ont fait une forme canonique. Philip Glass et le minimalisme le pousseront sans doute dans un premier retranchement. Néanmoins on le sait aussi, la musique a été extrêmement marquée par ses évolutions techniques. Le premier enregistrement live date de la fin du XIXe et, dès le milieu des années 50, l’arrivée de la bande magnétique permet de faire varier l’ostinato en boucle qui se répète à l’infini. Boucle dont on pourra alors faire varier la vitesse à souhait. Steve Reich et Terry Riley donnant alors à cet art de la boucle une connotation particulière dans les tentatives de la musique sérielle. De même Heidsieck, ou Henri Chopin pour la poésie sonore, ou Schaeffer et Pierre Henry pour la musique du GRM. Pas besoin de faire une chronologie du hip-hop ou de la musique électronique pour parler du rôle central de la répétition dans ces musiques. Répéter c’est « saisir en-tendre » dit Blanchot dans son entretien infini à propos des commentaires du Quichotte. La répétition en musique, c’est sans doute une matière à part entière et un matériau à plier et déplier. C’est aussi une manière d’appréhender et de ré-utiliser différentes textures, sans les hiérarchiser.
Dans King Isis, l’EP qui vient de sortir chez les surproductifs NON dont on parlait il y a à peine quelques jours, la répétition, la boucle, la vitesse et le rythme sont au coeur du travail d’Isis Scott. Isis Scott c’est une meuf de 22 ans qui habite à Detroit. Plasticienne, musicienne elle nous offre un EP qui encore une fois pose des questions de position politique. Ou en tout cas une question d’engagement. Quand les « popular culture studies » proposent des points de vue sur le féminisme de telle ou telle pop star, ou analysent tel ou tel impact social de telle ou telle icône, la « popular culture » répond par un remix de Rihanna qui repose sur un travail de boucle, de sample, de rythme et de vitesse. Du mou au dur, peut-être. De la question de la légitimité à son absence de sens et de consistance, et donc à l’absence de cette question. Juste faire, juste dire, juste produire. Beautiful $ea, le deuxième morceaux des trois qui composent l’EP est à ce titre plutôt extrêmement intéressant.
On ne cesse d’affirmer le caractère politique du collectif NON. Ici, on voit également qu’il est capable de proposer une fin des dépassements et des tentatives de transgression héroïque romantique liées à l’avant-garde toujours ethno-centrée. Diamonds de Rihanna n’est qu’une matière, une matière qui peu à peu s’oublie dans un travail du rythme, de la boucle, du sample. Pas d’ajout, pas de remix, juste le mouvement et la vitesse.
 « C’est pourquoi les intuitions théoriques des poètes — comme ce que disent les peintres sur la peinture —, étant un discours de la pratique, le langage d’une activité […] peuvent être des matrices qui valent plus que tous les livres des critiques ou des philosophes. » dit Meschonnic, dans sa Critique du Rythme. On pourrait en dire de même de la production des musiciens sur la musique.
King Isis fonctionne donc sur cette vieille recette de l’ostinato, de la répétition du motif. Ce qui est, je le crois intéressant, c’est qu’elle en fait consciemment ou non une matière politique. Le sample devient une boucle que l’on accélère ou ralentit à la manière d’une tradition de la musique expérimentale. Par ce biais on en déplace la nature et la matière, et on y donne à entendre et à saisir autre chose. Il n’y a aucun ajout de matière dans le travail d’Isis Scott et c’est en cela sans doute que l’intérêt est redoublé. En tous les cas, il y a quelque chose d’une affirmation de la non-hiérarchie des matériaux. Le paradoxe, mais peut-être qu’il est très ethno-centré ce paradoxe, que l’on ressent, est d’être confronté à une technique « expérimentale » et à des matériaux de « tube pop ». Mais si l’on considère que cette tentative dans l’EP est une production sonore et critique, je crois, et c’est peut-être tout l’intérêt des productions de NON, que ça crée une brèche plutôt intéressante sur la production critique. Une brèche non blanche, non journalistique, non critique, non universitaire. Une production de discours par le son et par le milieu que l’on ne cesse de fantasmer. Autodétermination du discours… Une production, du coup, que l’on doit considérer dans une certaine forme de radicalité. Pas de dépassement, pas de déconstruction, pas de mise à distance, pas d’épochè, simplement une production non hiérarchisée, une production qui met en mouvement et donc en sens un matériau que tous nous connaissons. Peut-être aussi que c’est faire acte de substance… Substance et sens n’étant pas nécessairement éloigné, peut-être.
En tout cas dans King Isis on est face à une matière vivante, une matière qui grouille et qui fourmille, une matière qui sent bon l’élan vital à l’heure d’un automatisme des gestes du pouce sur un écran tactile. Peut-être aussi que ce déplacement du travail de la boucle et du sample, doit se retrouver comme une autre historiographie de la musique. D’avantage tiré de la vogue music que des musiques sérielles. Peut-être aussi qu’on doit en faire un trait commun de ce que depuis plusieurs articles on tente d’appeler « monster music » ou « musique monstre ». Une autre appréhension de l’ostinato, de la vitesse et du contre-temps. Une appréhension qui fait sens et discours de manière autonome, et dont se gardera bien de commenter le propos ou la finalité.
Bon on peut, peut-être juste dire que c’est bien, voire très bien, et que la musique électronique produit en ce moment de belles choses ou de belles tentatives. Tout simplement. Mais peut-être que ça sera aussi de notre côté, renoncer à quelque chose.
Isis Scott – King Isis
Isis Scott – King Isis (23 février 2016, NON Records)
01. Highness
02. Beautiful $ea
03. Thugs Love
Écrit par: Aurèle Nourisson
Isis Scott King Isis Non Records
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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