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Issakidis est ce que l’on appelle un de ces « secrets bien gardés » de la scène électronique française, le genre de cas davantage connu des artistes et des professionnels que du public, à l’exception peut-être de celui qui avait suivi les Micronauts, duo français jouissant d’une jolie réputation au début des années 2000 et dont il était la moitié. Depuis, le Gréco-Canadien, qui a « appris à parler le français sur l’oreiller quand j’étais venu étudier en France vers les 20 ans – le moyen le plus efficace« , a publié, quand il en avait le temps et l’envie, une poignée d’EP qui sonnent plus tordus et frais que la majorité des productions hexagonales de ces dix dernières années. Personnalité à la fois enthousiaste, illuminée et décalée, il est connu pour ses tours du monde intempestifs et son goût pour les expériences physiques et mentales en tout genre, qui lui dictent son rythme de production – en d’autres termes, il n’a jamais été sous pression… Ainsi son premier LP solo qui sort aujourd’hui aura mis environ une décennie à se composer, et c’est une Å“uvre à la hauteur de l’excentricité du personnage. Bien à sa place dans le canon lascif et déviant de Kill the DJ, Karezza est une œuvre de tech-house lo-fi, libre et décentrée, parfois délicieusement lancinante, toujours suggestive, et dont émane une mystique propre, que l’on ne trouve que très rarement dans la dance music.
Pourquoi un exil de dix ans ?
C’était pas vraiment un exil. J’ai pas arrêté de voyager, par simple désir de découvrir. Je faisais pas mal de travail sur moi-même, de transformation, de yoga, de méditation. J’ai entre autres passé un long moment au pied des Himalaya, loin du net, loin de tout, avec des réveils à 4h du mat’, on se lavait dans le ruisseau, on mangeait des trucs très particuliers. J’ai aussi passé du temps au Pérou avec mes gourous de kundalini yoga, il y avait un ashram par là -bas, il y avait donc des chamans, ce genre de trucs…
Tu as donc eu ton réveil du kundalini ?
J’ai eu le réveil du kundalini bien sûr, ça a duré trois mois. D’extase. It was orgasmic. Pendant vingt-quatre heures. C’était affolant. It was just unbelievable. Ça, personne ne peut le décrire, c’est beaucoup plus fort que la majorité des molécules. Il y a plein de phénomènes qui en découlent. Il y a vraiment un avant et un après. J’ai cherché à aller plus à l’intérieur. Il y a des couches et des couches de choses qui viennent s’accumuler avec les années, sur ce que j’appelle un « robot en chair et en os », right, c’est l’état de la majorité des gens. Ils pensent qu’ils sont maîtres d’eux-mêmes ? Mais maîtres de quoi ? Et maîtres comment ? Très souvent ils ne peuvent pas sortir d’états de nerfs, ou de ceci et de cela, ça c’est la construction de l’égo, qui se construit comme une fiction au fil des années, en commençant quand on est tout petits. On vit la mort de ça à des moments spécifiques avec la consommation de psychédéliques, spontanément on voit comment ça sort, et il en résulte un bonheur total. Mais c’est un certain travail pour le rendre plus permanent.
Tu as vécu des ayahuascas ?
Oui… Ce sont des voyages extraterrestres, you know, chaque personne vit quelque chose de différent, mais ça va très loin, jusqu’à l’intérieur de l’ADN, des voyages, il y a parfois des expériences partagées mais puisqu’on est couchés avec les yeux fermés, on est out of reach, mais parfois on peut se retrouver ensemble dans un espace autre. Il y a une purge à la base qui n’est pas trop difficile, avant que tu le saches et d’un seul coup tu vomis soudainement. À l’intérieur il y a du DMT, qui est une molécule que l’on retrouve partout, on la sécrète, les lions dans la jungle l’ont. Ça me rappelle cette phrase de Schödinger qui m’a inspiré pour l’album : « Consciousness is a singular of which the plural is unknown« . Tout d’un coup il y a zéro séparation entre toi, les autres personnes, le ciel, everything. C’est une seule chose. C’est très beau.
Tu t’es baladé avec ton matériel de son pendant certains de ces voyages ?Â
Parfois oui, comme aux Marquises, en Polynésie. Je partais pas avec beaucoup de matériel, je commençais avec l’ordinateur, après je le ramenais en studio. Hiva Oa par exemple a été finie en studio. Les autres ont commencé ailleurs : Santa Rosa De Lima a été faite à Vancouver suite à un voyage au Mexique parmi les ruines, pour terminer dans cet endroit du même nom. Mais la majorité était en studio, dans des transes profondes, à ne pas savoir ensuite comment j’avais fait, dans un état de conscience alternée. En tout cas la plupart de ces morceaux ont été enregistrés en une seule prise.
L’électronique est rare dans tous ces pays dans lesquels tu as voyagé. Tu as un peu essayé de faire circuler ta musique par là -bas ?Â
Non ! (rires) Mais par contre eux ils ont quelque chose. Nous, dans la musique électronique, nous sommes parmi les rares à danser, là -bas il dansent partout, tout le temps. En Occident, on a laissé de côté le corps et la danse comme expérience quotidienne. C’est une expérience nécessaire et thérapeutique. Nous n’avons pas le même rapport au corps ici, c’est le cerveau tout seul qui domine tout, or le cerveau et le système nerveux c’est une chose, mais il y a d’autres façons de rentrer plus encore dans différentes partie de nous-mêmes, dans notre cerveau, et de l’entretenir.
Comme d’habitude avec Kill the DJ, Karezza est à la très dissonant et pourtant très sexuel.
C’est plus fort que moi, la sexualité et le désir se devaient d’être présents dans ce disque. Ce sont les outils pour une transformation chez l’homme, et des sensations auxquelles les gens se connectent très naturellement, right. Et c’est aussi comme ça qu’on continue la race (rires) ! Quand tu fais un sondage sur les raisons qui motivent les gens à aller en club, la number one reason c’est « looking for love« , c’est Optimo qui m’avait dit ça.
Quel lien fais-tu entre ta vie occidentale de producteur électro et de l’autre côté tes expériences lointaines ?
Il n’y a pas un contraste énorme, right. Dans les deux cas il y a un surrendering de soi-même, pour moi en tout cas. Quand j’allais en boîte, je trouvais quelque chose de très thérapeutique, voire cathartique, ça nettoie tout.
Tu as récemment twitté cette phrase d’Eno, « You can be ignorant about what you’re doing, you don’t need to act as if you knew what you were doing« . Tu te reconnais dans cette manière de penser ?
C’est très important de ne pas chercher à reproduire quelque chose, you know what I mean? Quand on a des soucis de ce genre, quand on commence à se dire « am I doing it right?« , on est foutus.
Pourtant Eno a été le premier à intellectualiser son art.
Mais lui c’est un cerveau avec des jambes (rires) ! Je l’ai vu quand il venu à la Gaîté Lyrique, il est venu parler avec Jon Hassle. C’était marrant de voir ces deux personnes que j’aime beaucoup, tous les deux, mais Hassle, just that much more. John Hassel, tu sens qu’il a eu un éveil, un éveil du Samadhi, et ainsi il émerveille les autres à son contact. Brian Eno c’est le contraire (rires) ! Il est fascinant, brillant, mais trop cérébral. Tout est like diagrams, ce qui est une façon de comprendre ce monde. Jon Hassle par contre il prend des tangentes pas possible, il est dans l’éternel you know… !
L’album a quelques résonances un peu industrielles. D’ailleurs Perc intervient sur un titre. Comment s’est faite cette connexion ?
En fait j’avais joué à une soirée Border Community et c’était just like crazy time, j’étais très en forme, je faisais du pole dancing, je m’étais lâché très fort (rires). J’avais joué un de ses vieux morceaux sur Kompakt, et James est parti dans l’autre pièce aller chercher Perc qui était également là , avec Four Tet, et nous a présenté. Perc m’a dit avoir plusieurs copies de The Jag des Micronauts, une scellée, et une pas scellée ! On s’est très vite entendus, et on s’est dit qu’il fallait qu’on fasse de la musique ensemble.
Le dossier de presse disait que même dans les Micronauts tu n’étais pas à ta place. Pourquoi ?
C’était y a treize ans, on ne s’entendait plus, c’est vraiment très simple. Musicalement ça se passait bien, mais personnellement ça ne marchait plus. Depuis ce temps, moi j’ai fait mon chemin, j’ai jamais été pressé ! Y’a eu des singles, des remixes, James Holden et Damien Lazarus m’ont mis sur leurs compilations, mais personnellement, c’est slow and easy !
Écrit par: Thomas Corlin
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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