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Berceau du groupe considéré (à juste titre) comme la plus grande formation pop de tous les temps, Liverpool avait tout pour devenir la capitale européenne de l’indépendance musicale, celle-là même capable d’insuffler ce fameux esprit de liberté à toute personne décidant d’emprunter les sentiers les moins balisés de la culture dite « populaire ». Mais force est de constater que cinquante ans plus tard, dans l’idéologie des adorateurs de musique indie, c’est sa voisine mancunienne qui remporte aisément le titre de ville la plus influente dans ce domaine artistique. Il est vrai qu’entretemps, Tony Wilson et sa Factory avait balayé toute concurrence, assénant un premier uppercut du droit à sa voisine à l’orée des années 1980 en donnant naissance à une flopée de groupes aussi indispensables que novateurs, dont les fers de lance Joy Division et New Order. Une décennie plus tard, Manchester mettra la cité liverpuldienne définitivement au tapis, lui administrant un fatidique direct du gauche via le mouvement Madchester dont l’Haçienda, les Stones Roses et autres Happy Mondays seront les plus emblématiques représentants. Ajoutez à cela les quatre à cinq années glorifiées par les productions de The Smiths et vous comprendrez aisément que le défi s’avérait particulièrement difficile à relever pour la Merseyside. Pour autant, Liverpool, au fil des années, n’a pas été avare de talents, loin s’en faut. Des personnalités comme Michael Head au travers des Pale Fountains, Shack, des formations comme The La’s ou encore The Coral se sont montrées et se montrent encore largement à la hauteur de leurs voisins mancuniens. Mais, dans l’imagerie collective, leur influence est rarement considérée comme étant aussi majeure que celle de leurs meilleurs ennemis.
Jane Weaver, artiste liverpuldienne basée depuis plusieurs années à … Manchester, ne déroge nullement à cette règle. Déjà plus de quinze années qu’elle distille à intervalles réguliers des albums aussi merveilleux qu’indispensables dans une indifférence quasi-totale, quinze ans que son essai inaugural, l’inaltérable Like An Aspen Leaf, émeut au plus haut point à chaque écoute. Teintant sa pop-folk initiale (jetez une oreille à sa somptueuse reprise de Heart Of Gold de Neil Young) d’une coloration plus électronique depuis quelques années maintenant (le mirifique The Silver Globe sorti il y a trois ans étant certainement le représentant le plus emblématique de cette évolution), son huitième album, Modern Kosmology, sorti chez Fire Records le 19 mai, mérite amplement d’être mis à l’honneur de la plus respectueuse des manières que ce soit tant les dix pièces d’orfèvrerie le composant sont en tout point renversantes.
En effet, au travers de ce nouvel essai, véritable invitation au voyage et à l’évasion, Jane Weaver nous ouvre les portes d’un monde kaléidoscopique empreint d’une culture psychédélique totalement assumée mais également porteur d’une constante recherche de sonorités résolument à la pointe de la modernité pop. Elle conjugue ainsi sa musique à tous les temps, cherchant à retranscrire le krautrock des seventies tout en l’alimentant de gimmicks et autres trouvailles résolument contemporaines afin d’insuffler à son Å“uvre une dimension résolument futuriste. L’introductif et ascensionnel H>A>K, ode à l’artiste abstraite suédoise Hilma af Klint en est la parfaite illustration, ce morceau nous remémorant les émotions ressenties lors des premières écoutes de The Echo Show de Yeti Lane, dernier grand voyage cosmique en date qu’il nous ait été donné d’entreprendre. Il ne reste alors plus à Jane Weaver qu’à dérouler le fil de ses émotions. Du classicisme de Did You See Butterflies, jonglant entre couplets aériens tout droit sortis d’un inédit de Lush et refrains dans la plus pure tradition de Stereolab, à l’élégance de Modern Kosmology aux accents « Broadcastiens » jusque dans l’évocation de la si regrettée Trish Keenan, les mélodies en apesanteurs s’enchainent avec une aisance en tout point déconcertante. Et lorsqu’il s’agit d’accentuer le caractère psychédélique du propos, la Liverpuldienne dose ses effets avec ingéniosité afin de ne pas tomber dans la caricature du genre, témoin ce Loops In The Secret Society qui n’est pas sans rappeler la délicatesse et la subtilité des meilleures compositions de The New Lines. Un retour au classicisme de ses débuts (tant Valley pourrait figurer sur Like An Aspen Leaf), une accentuation du caractère électronique du propos, d’abord discrète sur The Lightning Back, morceau à la boucle synthétique et aux cÅ“urs envoûtants lorgnant sans vergogne du côté de Still Corners, puis ouvertement affirmée sur l’explosif The Architect, autant de subtiles variations que la songwriter se plaît à mélanger sur sa palette musicale afin d’illuminer sa toile. Ingénieux mélange des genres qui, sur Ravenspoint, prend son virage le plus surprenant grâce à la collaboration de Malcom Mooney, premier chanteur de Can, qui vient marteler de son inimitable phrasé une architecture musicale synthétique des plus raffinées. Ce même Malcom Mooney qui avait d’ailleurs déjà travaillé, à l’orée des années 2000, avec (le Mancunien !) Andy Votel, fondateur du feu label Twisted Nerve et compagnon de Jane Weaver. Mais c’est très certainement au travers de Slow Motion, ritournelle électro-pop aux richesses insoupçonnées rappelant une Sally Shapiro empreinte de mélancolie, que cette alchimie des sens atteint l’apogée. Un morceau taillé pour la reconnaissance qu’il serait extrêmement dommageable de considérer comme un simple trésor caché. Puisse cette véritable pépite mener un maximum de dénicheurs vers le coffre à merveilles que représente la discographie de cette (très) grande artiste. L’ultime et délicat morceau sobrement intitulé I Wish semblerait presque porter en lui cette aspiration.
Soutenue par une distribution plus importante pour ce dernier essai, l’espoir de voir Jane Weaver accéder à une notoriété plus conséquente et enfin recevoir toute la considération qu’elle mérite apparait envisageable. Non pas que ce soit une ambition affichée de la part de la créatrice de Modern Kosmology, elle qui se plaît à assumer son extrême lenteur en matière de création artistique, produisant elle-même ses albums au rythme de ses envies. Mais ce disque, sans doute le plus abouti de sa carrière, recèle en lui cet équilibre nécessaire entre références usitées à bon escient et explorations musicales novatrices, cette alchimie transformant notre intérêt pour une œuvre musicale en véritable affection. Il est si rare et difficile d’être à la fois originel et original. Et cette fois-ci, sans aucun doute possible, c’est bien la native de Liverpool qui survole les débats.
Jane Weaver – Modern Kosmology (Fire Records, 19 mai 2017)
01. H>A>K
02. Did You See Butterflies
03. Modern Kosmology
04. Slow Motion
05. Loops In The Secret Society
06. The Architect
07. Lightning Back
08. Valley
09. Ravenspoint
10. I Wish
Écrit par: Eric
Fire Records Jane Weaver Modern Kosmology
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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