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Après avoir fêté les 20 ans de son label Axis Records fin 2011, on aurait pu penser que Jeff Mills, pionnier avec Carl Craig de la seconde vague techno émanant de Détroit – la première étant chapeautée par The Belleville Three, soit Juan Atkins, Derrick May et Kevin Saunderson – , aller décélérer le rythme effréné de sa production discographique. Il n’en est rien. Voire, depuis la parution de Sequence - luxueuse compilation anniversaire de ladite structure – , le quinquagénaire s’est mué en véritable Stakhanov de la composition et de l’interprétation live. Outre une demi-douzaine d’EP et de singles, le néo-Parisien a sorti en septembre dernier le très électro-cosmique The Jungle Planet – faisant suite, dans sa série Sleeper Wakes, initiée par l’album du même nom (2009) et développant un prisme radicalement futuriste pour imaginer la musique de demain, à  The Messenger paru en 2011 - en plus d’une collaboration avec l’astronaute Mamoru Mohri sur un album Where Light Ends paru pour le moment exclusivement au Japon. Précisément l’œuvre pour orchestre symphonique qui sera livrée en première mondiale avec l’Orchestre Symphonique de Bretagne dans le cadre du Festival Maintenant samedi 19 octobre (lire). L’occasion était trop belle pour ne pas apostropher le maître de quelques questions d’ordre généraliste, brossant tout de même l’ensemble de son actualité en plus du suscité festival : de son autre création Chronicles of Possible Worlds qui sera présentée le 10 novembre prochain dans le cadre du festival Seconde Nature à Aix-en-Provence à sa résidence à la Machine du Moulin Rouge dans le cadre de son autre projet Time Travel. À en perdre son latin.
Après ta prestation à la Salle Pleyel en compagnie de l’Orchestre National de France, et après le célèbre concert avec l’Orchestre Philarmonique de Montpellier, tu proposes à présent dans le cadre du Festival Maintenant Where Light Ends avec l’Orchestre Symphonique de Bretagne. Comment sont montées ces créations ? Es-tu à l’origine de ces projets ou t’ont-ils été proposés ?
Ces projets me sont proposés et présentés par les orchestres eux-mêmes. Et à partir de là , les partitions et les arrangements sont réalisés par Thomas Roussel, le chef d’orchestre, et moi. Jusqu’à maintenant, tous ces concerts avec ces différentes formations se sont révélés être des expériences fantastiques.
Peux-tu nous décrire plus précisément Where Light Ends ? Pourquoi l’avoir dédié à l’astronaute japonais Mamoru Mohri ?
J’étais en train de travailler sur un album à propos du vol spatial et j’ai eu l’idée de tenter de m’entretenir avec quelqu’un qui avait réellement vécu cette expérience. Au gré de diverses connections, j’ai alors été orienté vers le premier astronaute japonais, le Docteur Mamoru Mohri, avec l’espoir de pouvoir m’entretenir avec lui et lui poser quelques questions sur cette expérience. Il a accepté l’invitation et on s’est finalement rencontré à Tokyo, au sein du Miraikan Space Museum, dont il a la direction. On a alors eu de nombreuses conversations sur son voyage à bord de la navette spatiale Endeavor, en 1992.
À propos d’une question concernant l’influence du soleil sur la planète et l’humanité, Morhi m’a répondu que le soleil représentait la plus grande menace pesant sur ces dernières. Cette réponse m’a conduit à cette autre question : le lieu où la lumière n’est plus ne serait-il pas l’endroit le plus sûr pour nous ? C’est de là que vient le titre de cette création. Cela désigne un environnement sûr et protecteur.
Le projet d’album est donc dédié à l’astronaute Mohri et à ses exploits. Une tentative d’expansion de la musique techno vers les territoires de la science et du voyage spatial.
Tu sembles obnubilé par le futur et son double hypothétique, la science-fiction. Chronicles of Possible Worlds, une autre de tes collaborations qui sera présentée prochainement à Aix-en-Provence, l’illustre merveilleusement. Dès lors, pourquoi te rapprocher inexorablement de la musique classique semblant appartenir à une époque révolue ? La musique est-elle un langage commun et intemporel ?
Oui, je crois. Pour moi, le classique n’est pas le tout premier genre de musique « intelligente », mais c’est celui qui a ouvert la voie vers la musique moderne, et constitue une réelle réflexion de l’Homme sur la manière dont nous avons évolué en tant qu’espèce. De véritables fondations, en somme, pour lesquelles nous devrions nous montrer respectueux et reconnaissants. La musique classique ne devrait pas être déconsidérée sous le simple prétexte qu’elle est ancienne.
Ce type de collaborations peut-il influencer ton travail de producteur techno, en particulier dans sa dimension technique ?
Oui, tout à fait. Travailler ainsi m’a  fréquemment fait changer de vision sur la manière dont j’appréhende la techno. Je me pose constamment la question de savoir si ce que je fais est suffisamment humain. Ou comment puis-je y injecter du sentiment sans en compromettre l’ossature. Je suis toujours à la recherche de la meilleure manière de donner vie aux concepts ou aux idées. Donc, plus je m’aventure au-delà de la norme techno, vers d’autres formes d’art, plus j’apprends à nourrir la techno.
Quelles sont selon toi les principales évolutions de la musique techno, depuis et au regard de tes débuts en tant que musicien et label manager (Axis, Purpose Maker) ?
Les principaux tournants sont selon moi les suivants :
– être en mesure de voyager régulièrement de pays en pays, y jouer de la musique, y apprendre d’autres cultures et d’autres moyens pour aboutir à un langage commun et universel dans la musique électronique ;
– l’émergence de l’ordinateur domestique et des logiciels permettant aux DJ et aux producteurs de réaliser des tâches complexes ;
– la personnalisation de la dance music, l’éclatement des styles au sein même du genre, qui épousent ainsi davantage la personnalité, la mentalité des différents auditeurs ;
– le renforcement d’une industrie de la musique indépendante dont le système de distribution permet d’en soutenir un commerce cohérent et fiable.
J’ai lu que tu avais quitté Berlin pour Paris parce que tu considérais que là -bas ton travail n’était jamais vraiment pris au sérieux, mis à part dans le cadre du clubbing. Selon toi, la musique électronique est-il un concept avant d’être une sensation physique ?
D’après mes connaissances et selon mes observations, cela a toujours été un concept plutôt qu’une simple sensation physique. En surface, cela peut sembler être le contraire lorsqu’on on examine la manière dont le genre et cette industrie sont régulièrement présentés. Nous sommes le plus souvent exposés à l’occasion de soirées et dans des clubs. Des DJ plantés derrière leurs platines ou leurs écrans d’ordinateurs, etc… En revanche, j’ai rarement vu ou lu un article questionnant nos DJ favoris sur leurs croyances ou les interrogeant en profondeur sur le pourquoi de ce qu’ ils font.
Berlin est une ville intéressante. C’est fun. Elle est plutôt économique et facile à vivre, mais j’ai trouvé trop difficile d’y matérialiser certaines idées, car en raison de l’importance des enjeux financiers et du nombre de sociétés liées à la musique électronique, peu de gens montrent finalement de l’intérêt pour explorer de nouvelles voies et soutenir des idées neuves. On fait de la techno là -bas comme on fabrique des stylos. Ils suivent tout bonnement une recette. Ainsi, « if it ain’t broke, don’t fix it » (NDLR : expression dont l’équivalent français pourrait être « Le mieux est l’ennemi du bien« ). Lorsque j’ai remarqué cette standardisation des esprits et des processus de création, je me suis alors dit qu’il existait sans doute un meilleur endroit où s’installer afin de pratiquer la musique dans une vrai logique créative.
À la lumière de ton expérience et de ta sensibilité, comment définirais-tu la techno à un profane ? Comment définir ses origines, son message, son ambition ?
C’est une question difficile car il n’existe ni de réelle définition, ni de réel point de départ. Et à ma connaissance, personne ne garde de trace de ce qui se passe. Cependant, il semble que le développement du genre repose sur les deux aspects que sont la flexibilité créative et l’accès à l’information. C’est comme si l’on attendait perpétuellement quelque chose, un quelconque signe que la techno est enfin pleinement aboutie. Peut-être que ça a déjà été le cas plusieurs fois… On ne sait pas vraiment et on s’en fout probablement. Ceux qui s’y consacrent le font de manière inconditionnelle.
Sincèrement, est-ce que la France – régulièrement moquée pour son académisme et souvent comparée à un musée – te semble être le bon endroit pour imaginer le futur de la musique techno/house ?
Je pense que lorsqu’on appréhende la musique en termes d’expression humaine et de dispositif dans lequel matérialiser l’émotion, il n’y a pas beaucoup d’autres endroits en Europe de l’ouest qui peut se targuer d’avoir une telle histoire et une telle richesse culturelle. Sincèrement.
La techno a désormais une trentaine d’années environ. Peut-elle se figer dans son propre passé ou tous les futurs sont-ils envisageables pour elle, comme en donne un aperçu de ta résidence à La Machine du Moulin Rouge, Time Tunnel ?
J’ai toujours pensé que la techno était un type de musique idéal pour raconter des histoires, en particulier à propos du futur. Donc, l’adapter à un concept tel que celui de « time tunnel », du voyage dans le temps, se révèle être un travail plutôt aisé. Je voulais mettre au point un concept me permettant d’une part de programmer une grande variété de styles musicaux, et d’autre part m’autorisant à utiliser davantage de supports et d’effets visuels hypnotiques. Le prochain Time Tunnel aura lieu le 31 janvier 2014.
Traduction : Sylvain Le Hir
Écrit par: Thibault
Axis Records Festival Maintenant Jeff Mills
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
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