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Falling Forward arrive comme la première chute à vélo, sèche et râpeuse comme le bitume sous les genoux nus; irrégulière, hérissée de minuscules caillasses qui écrasent et taillent les chairs piégées entre rotule et goudron. L’ouverture frappe de plein fouet et déséquilibre comme un coup de pédale asynchrone quand c’est la cadence qui devrait stabiliser l’élan. Paradoxalement, c’est par son arythmie que Which Way to Leave crée sa propre cadence: un pouls irrégulier, une agogique très humanisée constellée d’accentuations, de relâchements, de pulsations qui questionnent davantage l’espace et le mouvement que le temps, dans un dénis sensible des structures linéaires classiques.
Malgré un renvoi trompeur à la mesure, Two and Four prolonge l’imprévisibilité déstabilisante de la première piste en crachotant une noise industrielle hantée par Throbbing Gristle. Le morceau se construit seul, entrelacs de sinusoïdes tentaculaires et libres qui donnent le sentiment étrange d’un déphasage; pas seulement d’un jeu d’ondes modulées se tournant les unes autour des autres, mais aussi d’un déphasage quantique, comme un écho pulsatile perdu entre deux branes d’un multivers. L’espace d’expression de Chantler est inorganique, automorphique et surtout multiple, faisant coexister sur un même plan à quatre dimensions des strates bouleversées, enchevêtrées dans un chaos ou perce un signal récurrent, isolé dans Clearing et All Visible Signs mais noyé ailleurs: dans Fixation Pulse par exemple, qui rappelle, comme d’autres, ces paysages sonores composés par Christian Zanési pour les Maîtres du Temps de René Laloux. La pulsation reste maîtresse, entre emballement et placidité, cherchant sa poésie personnelle comme on cherche son souffle, se frayant un chemin entre interstices et béances, évoluant dans Lesser Demands en une série de borborygmes d’une aventure intérieure dans un corps sans forme définie, à la résonance assourdie.
En quelques escamotages sonores, Chantler bascule de l’analogique à l’anatomique et inversement, déjoue les échelles et transmue les matières par le seul pouvoir de l’onde. C’est cette même onde qui, évoluant d’une vrille électrique aiguë et libre dans First December, paraît engendrer ses propres réverbérations, condamnée à rebondir pour l’éternité sur son écho dans un tumulte étourdissant et interminable de plus de dix minutes. C’est une cacophonie à la volumétrie changeante qui vient frapper de ses milliers de cuivres l’enclume d’esgourdes anesthésiées par une épiphanie de bonzes dans leur dernier mantra précédant le nirvana, avant de se conclure dans Second December sur un long accord déphasé de 2 minutes 35 ponctué de fréquences diverses se fanant, avec grâce, en un bouquet irisé jusqu’au blanc harmonique et absolu, réduisant à néant l’idée jusqu’alors concevable de donner à cet album une géométrie accessible au cerveau humain.
Le fait est que morceau après morceau, Chantler parvient à ce que chaque fréquence crée sa propre aventure, produise son rythme, son cycle. En bout de course, ce cycle ne se termine ni sur une piste, ni même sur l’album mais se reconduit lui-même, à l’image d’un ouroboros se dévorant à l’infini dans un impitoyable recommencement enthousiaste célébré par l’ultime track, Beginning Again, une pluie de dissonances salvatrice et cristalline conduite jusqu’au grésil final. Et on redonne un coup de pédale.
John Chantler – Falling Forward
John Chantler (26 août 2016, Room40)
01. Falling Forward
02. Two and Four
03. Clearing
04. Fixation Pulse
05. Lesser Demands
06. All Visible Signs
07. First December
08. Second December
09. Beginning Again
Écrit par: Ted Supercar
John Chantler Room40 Which Way to Leave
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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