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Julie Hascoët l’interview

today12/06/2015 648

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Il y a peu, Maud Geffray, moitié du duo Scratch Massive, ressuscitait via un EP paru en février via Pan European et un film documentaire réalisé par Christophe Turpin l’été 1994 (lire) où les raves à ciel ouvert importées d’Angleterre constellaient, avec une spontanéité qui n’avait d’égal que la quête d’autonomie d’un mouvement free alors en gestation, le littoral Atlantique historiquement criblé par les vestiges brutes de la Seconde Guerre Mondiale. Vingt-et-un ans depuis se sont écoulés, et Julie Hascoët, par le biais de l’exposition Les Murs de l’Atlantique qui se tiendra du 12 au 21 juin au BAC(K) Up à Saint Nazaire (Event FB), en figure elle la pérennité et le dynamisme, envers et contre tout, et ce, malgré un certain dédain du grand public, voir un profond mépris, et une répression sans cesse inexorable par des forces de l’ordre voyant naturellement d’un mauvais Å“il ces rassemblements, sporadiques et insaisissables, de collectifs luttant pour la reconnaissance culturelle de leurs actions et prônant encore et toujours l’autogestion et la débrouillardise. Faisant coïncider son finissage avec la Fête de la Musique le 21 juin prochain (Event FB), nous avons posé quelques questions à la Finistérienne qui, en fin d’article, à la gentillesse de nous offrir quelques clichés imageant ce dialogue entre la fête libre et son environnement.

Julie Hascoët l’interview

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Photo © Guillaume Thiriet

Julie, comment est né ton projet Murs De L’Atlantique ? Quelles ont été ton intention, ta volonté, au moment de photographier les free-parties bretonnes ?

Murs de l’Atlantique est un projet qui a vu le jour au début de l’année 2013. J’avais terminé mes études en photographie l’été précédent, et je venais de passer plusieurs mois au Mexique en résidence. J’ai eu envie de revenir sur un territoire familier, pour photographier quelque chose dont je me sentais proche.

Je viens du Finistère, où les côtes sont constellées de fortifications militaires. Pour moi, ça a toujours fait partie du paysage. Et il en va de même pour les free-parties car je suis née à la fin des années 80 et que, dès mon enfance, les battements des basses me sont régulièrement parvenus des campagnes alentours.

Pour ce qui est de l’intention, le projet Murs de l’Atlantique balaie du regard le territoire breton et propose un dialogue visuel entre ces deux phénomènes: d’une part, les restes du Mur de l’Atlantique (blockhaus, casemates, bunkers) qui marquent le paysage de manière lourde et permanente, et d’autre part, les rassemblements techno illégaux, qui apparaissent spontanément pour disparaître aussitôt, dans les zones périphériques du littoral.

C’est une sorte d’étude photographique autour de la notion de mur, des manières d’occuper un territoire.

Tu te sens proche de mouvement ? Quelle est ton expérience de la techno ?

La techno est arrivée assez « tard » dans mon parcours musical.

Mon adolescence s’est plutôt faite dans le punk et le hardcore, avec les salles de répétition où tu vides tes premiers packs de bières, les festivals dans des fermes isolées ou les concerts dans des rades sur le port, la scène crust, les squats, etc. J’écoutais parfois Manu Le Malin et Liza N’Eliaz mais pour moi ça s’inscrivait dans une dynamique de musique violente, énervée, et je n’étais pas plus curieuse que ça.

Rapidement j’ai préféré la scène post-punk, no wave. J’ai passé beaucoup de temps à écouter des productions des années 80, pas mal de NDW aussi, et du noise rock. Des trucs comme Neubauten ou Sonic Youth.

La musique a toujours joué un rôle essentiel, j’ai beaucoup fouillé, dans les bacs des magasins de vinyles et aussi sur Soulseek, qui était un bon compagnon de route! J’ai écouté beaucoup de noise, de musiques expérimentales – c’est sûrement ce que j’écoute le plus, encore aujourd’hui.

La techno s’est imposée naturellement dans la lignée de cette curiosité pour les musiques expérimentales, noise, new-wave, et s’est développée au fil de voyages dans les capitales européennes et sur le dancefloor de nombreux clubs. Je suis entrée dans l’univers de la techno grâce à des sons froids, martiaux, sans concession. Des productions qui pouvaient me rappeler DAF, ou Front242.

D’ordre général, la techno jouée en free-parties a quelque chose de plus rapide, plus dur et plus rugueux que celle jouée dans les clubs. Ça me parle, parce que c’est plus bruitiste. Et je me sens proche du mouvement également pour l’aspect humain, libertaire, qui l’accompagne.

Enfin, ça m’a permis de me rapprocher de mon petit frère, qui était dans ce milieu. C’était donc une belle rencontre.

Vingt-cinq ans après la naissance du mouvement rave en France, importé d’Angleterre, comment celui-ci se porte-t-il ?

Du point de vue de la fête: toujours bien. D’un point de vue extérieur : plutôt mal.

Ça fait vingt cinq ans que ce mouvement existe, avec une histoire, des valeurs, des codes, une identité (faite de multiples identités), des sous-genres, c’est une culture à part entière. Et pourtant, cette culture souffre toujours d’une mauvaise image, d’une mauvaise presse, et subit toujours une énorme répression.

Si le mouvement est descendu d’Angleterre au début des années 90, c’est justement à cause de la répression exercée par le gouvernement mis en place par Thatcher. Les soundsystems étaient plus tranquilles en France et pouvaient organiser des fêtes assez librement. Ça a changé au début des années 2000 avec la mise en place de lois pour contenir le mouvement. Du point de vue du gouvernement, la free-party a été encadrée pendant quinze ans par une législation qui dépendait du Ministère de l’Intérieur, qui ne la considérait pas comme un événement culturel mais comme un risque potentiel, sanitaire et sécuritaire.

Au mois de mars dernier et pour la première fois depuis quinze ans, grâce au travail d’associations actives comme Freeform ou Techno+ (pour la défense de la free-party comme mouvement culturel), le dossier a de nouveau été mis sur la table. On pourrait croire à une évolution positive, une volonté de mieux faire – malheureusement la répression a repris de plus belle, et on a assisté à de larges abus.

Mais ce mouvement est fort, il sait tenir bon, et il s’est construit dans la clandestinité et l’illégalité donc ça ne l’empêchera pas de vivre. C’est simplement dommage car le manque de dialogue accentue les fractures et les problèmes. Il y a cette phrase des Spiral Tribe qui résume assez bien la situation « You might stop the party but you can’t stop the future ».

La scène bretonne est riche et vivante, des jeunes se rassemblent pour former de nouveaux soundsystems, la fête bat son plein. La musique techno a connu de belles évolutions ces dernières années, des tas de productions intéressantes, et la free-party s’est développée avec ces nouvelles sonorités, moins sombres en général. Si je m’en tiens aux témoignages, la scène a l’air plus festive et joyeuse qu’au milieu années 2000.

On garde en tête des collectifs tels que Spiral Tribe. Que reste-t-il aujourd’hui de ce réseau ? S’est-il recomposé ? Véhicule-t-il les mêmes idéaux libertaires et d’autogestion qu’autrefois ?

Le mouvement free-party véhicule toujours des idéaux libertaires, nomades, et les principes de DIY et d’autogestion. Après, je pense quand même qu’il s’est sédentarisé – peut-être à cause du prix de l’essence, ou de l’évolution de la société et des moeurs en général. Je pense aussi que la scène est moins « punk », que les jeunes participants sont moins concernés, moins engagés, et que l’aspect politique s’est un peu perdu.

Beaucoup vont en free-party comme on irait en boîte, ou en concert, sans trop se poser la question du sens qu’il y a derrière, des valeurs véhiculées par le mouvement et de son histoire. Ils y vont pour s’éclater, pour boire avec leurs potes, profiter du son. Ils respectent l’environnement, le travail des organisateurs, et ils respectent l’autre dans sa différence, c’est l’essentiel. Mais ils ne pensent pas particulièrement que ces fêtes sont l’amorce de quelque chose de plus global, une réflexion sur la société, sur la consommation. Ça n’en reste pas moins une expérience riche, politique, et certainement une des expériences les plus intéressantes à vivre quand on est jeune (ou moins jeune) aujourd’hui, car je crois que le manque de conscience politique est assez généralisé et que la free-party reste un milieu engagé où l’on prend conscience des choses et des gens qui nous entourent.

Après, c’est assez difficile pour moi d’effectuer une comparaison car je n’ai pas connu la scène de l’époque, et qu’assez peu d’ « anciens » vont encore en free-party aujourd’hui. Si ça se trouve, la situation était la même dix ans auparavant.

Tandis que la techno devient un véritable produit commercial, avec notamment une profusion de clubs et de festival dédiés, comment communique et s’inscrit tous ces collectifs revendiquant la free party ?

D’un point de vue personnel, ce que j’apprécie dans la free-party, si l’on compare aux clubs et aux gros festivals techno, c’est d’une part la dimension humaine, où tu peux échanger librement avec les autres sans redouter d’être mal interprété, et de te faire dévisager, et d’autre part, le culte de la musique et du son. Je ne dis pas que le son est moins important en club, mais dans la configuration d’une free-party, le DJ est placé sous une bâche sur le côté, et non à l’avant-scène. Le public fait face au mur d’enceintes, il se prend la musique de plein fouet. Il n’y a pas cette glorification du DJ, mais plutôt une reconnaissance du collectif dans sa totalité, pour le travail aussi bien fourni au niveau musical qu’organisationnel. Le soundsystem devient l’organisme responsable d’un ensemble de facteurs qui rendront la fête agréable ou non: un son bien réglé, le lieu où se déploie la free-party, l’ambiance au sein du public, les mixes opérés par les DJs, les styles musicaux choisis, la déco, le chill-out, et j’en passe… C’est une expérience totale, contrairement aux gros clubs et aux gros festivals qui sont des temples de la consommation où les gens se mélangent assez peu, où le DJ se tient comme une figure-totem, et qui terminent en champs de bataille jonchés de déchets car il y aura toujours un salarié pour venir nettoyer le lendemain. Et par dessus tout ça, tu vois rarement le soleil se lever en club! Ça ne m’empêche pas de continuer à clubber de temps à autres, mais plutôt dans des lieux indépendants.

C’est aussi agréable de voir que certains collectifs jouent une techno assez séduisante, commerciale, et revendiquent la free-party comme mode d’expression, pour les valeurs qu’elle véhicule. Les choses se mélangent, et c’est plutôt bien.

Ton exposition rentre en parfaite résonance avec le récent film documentaire de Maud Geffray, 1994. En avais-tu connaissance ? Que t’inspire-t-il ?

Je l’ai découvert via votre magazine au moment de sa publication, grâce à des amis qui faisaient tourner le lien. Je ne connaissais pas le boulot de Maud Geffray et je connaissais très peu Scratch Massive. C’est une très belle production, autant pour la vidéo que pour les sonorités, à la fois atmosphériques, acides, expérimentales qui m’ont rappelé Coil ou Throbbing Gristle. Et bien entendu, de voir des images d’une rave de 1994 du côté de Carnac, où l’horizon est criblé de blockhaus, au moment où je travaillais sur la série Murs de l’Atlantique, ça m’a plu, ça m’a semblé directement familier.

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Peux tu présenter le vernissage et le « finissage » de ton exposition qui se tient au BAC(K) Up à Saint Nazaire ?

Cette exposition est avant tout le fruit d’une rencontre, avec Morgane – Mö – qui est aux commandes de ce petit lieu, le BAC(K) UP, anciennement BAC (Beach Art Center), qui a ouvert il y a cinq ans, puis qui avait fermé ses portes l’année dernière, avant de ré-ouvrir exceptionnellement sous ce nouveau nom.

Mö est une artiste punk, musicienne, activiste, et sa pratique consiste à détourner, détraquer, créér et recomposer – depuis plus de vingt ans. Elle a endossé de multiples identités et a opéré sous différents pseudonymes, tels que Monik2, Mimosa ou encore Cchwet. Elle a fondé le soundsystem B0rd3l1k, et collaboré avec pas mal de monde.

L’idée de cet événement est né de nos échanges.

Murs de l’Atlantique fait donc l’objet d’une exposition du 12 au 21 juin prochain, et l’installation est pensée à la manière d’une cartographie. A cette occasion on fête aussi le lancement d’un fanzine photo que je viens de publier, qui fait partie intégrante du projet.

Vendredi 12, le vernissage est mis en musique par deux DJs: Monik (B0rd3l1k) & Vic (Body-Rytmik)

Pour la clôture de l’événement, qui a lieu le jour de la fête de la musique, on monte une scène devant le lieu, de 14h à minuit, et on invite des artistes pour des DJsets, du live, de la performance vidéo. Ils ont tous un lien avec la free-party. Il y aura de l’acid techno, du breakcore, du hardcore, du crossbreed, etc. L’idée est de faire connaître cette culture, avec l’organisation de l’exposition, de cette scène, et la rencontre entre les artistes et le public.

Parallèlement tu as projet de fanzines, Murs. Tu peux développer ? Quel en est l’intention ?

Ca n’est pas vraiment parallèle, ça fait partie du même projet global. La série Murs de l’Atlantique se présente sous la forme d’une exposition / installation et au sein de cette installation j’intègre un ensemble de petites publications qui viennent apporter autre chose, compléter, enrichir le projet.

MURS est la première publication: c’est un petit fanzine photo d’une quarantaine de pages que j’ai auto-édité. J’en ai sorti 100 exemplaires que j’ai cousus à la main. Et comme j’apprends la sérigraphie en ce moment (merci Roméo), la prochaine publication sera sûrement une petite édition de bunkers sérigraphiés.

Le fanzine est un médium que j’affectionne particulièrement.

Depuis trois ans, je suis d’ailleurs co-fondatrice d’un projet nomade, qui est une collection de fanzines photo / publications auto-éditées utilisant de la photo. On organise pas mal d’expositions pour partager et enrichir la collection, et ça s’appelle ZINES OF THE ZONE.

Portofolio Les Murs de l’Atlantique par Julie Hascoët

MURS DE L'ATLANTIQUE

MURS DE L'ATLANTIQUE

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Écrit par: Thibault

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