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On y était : Afropunk Festival, 23 et 24 août 2014 à New-York.
New York, la ville-monde, la grosse pomme que tout le monde a envie de croquer quitte à s’y casser les dents, une idée du rêve américain. Des cinq boroughs qui la composent, Brooklyn est sans doute celui qui cristallise le plus de fantasmes, à tel point qu’aujourd’hui, tout le monde veut son Brooklyn, l’une des dernières tendances parisiennes étant de dire que telle ou telle banlieue est ou est en passe de devenir « le nouveau Brooklyn ». Soyons sérieux deux minutes et arrêtons avec cette idée aussi fausse que stupide et qui n’est autre qu’une émanation de la vague médiatique sur laquelle surfent allègrement nos politiques et technocrates pour vendre l’idée du Grand Paris. Parce qu’en vrai, ce projet n’a d’autre but que la spéculation foncière et immobilière, une grosse orgie de partenariats public-privé sur fond de gentrification, pas tout à fait la vision romantico-bobo que l’on nous met sous le nez et que beaucoup se laissent aller à croire. Et puis les banlieues ont leur propre culture et identité et n’ont pas besoin de Paris pour exister à ce niveau-là . Pour faire court, Paris ne sera jamais NYC et sa banlieue ne sera jamais Brooklyn, et vous savez quoi ? Ce n’est pas grave.
Quatrième ville du pays à lui tout seul, l’arrondissement cosmopolite accueille pour la quinzième année consécutive l’AfroPunk Music Festival à Commodore Park dans le quartier de Fort Greene. Comme son nom l’indique, l’événement met à l’honneur la communauté afro-américaine ou internationale à travers un panel d’artistes allant du hip-hop au punk en passant par la soul ou le métal – une programmation des plus éclectiques répartie sur quatre scènes.
Il fait beau, il fait chaud, ça sent la weed et il y a un sacré peuple, c’est clairement l’attraction du week-end. Coupes afro multicolores, spandex déchirés, bijoux de princesses nubiennes, gars déguisé en Kanye West version Yeezus, chapeaux en tout genre, c’est la foire au look, une sorte de fashion week ghetto, terrain de jeu idéal pour étudiant(e) en stylisme en manque d’inspiration. Mention spéciale aux mecs de la sécu sappés Nation of Islam style – le combo costard/noeud pap/Ray Ban, ça défonce (bon après tu divises le cool par deux, voire trois, si t’es pas renoi).
On démarre cette première journée avec Shabazz Palaces, la première signature hip-hop de Sub Pop. Le duo captive l’auditoire avec son rap tribal mystique, savant mélange de machines et de percussions acoustiques qui soutient des paroles écrites au scalpel et délivrées par le flow impeccable d’Ishmael Butler. On bascule ensuite dans une autre ambiance avec Fame School. Le duo de MC débarque sur scène accompagné d’un DJ et d’un batteur, et surtout avec une folle envie de se faire connaître. En fait, les mecs ne sont pas tellement là pour faire un concert mais plutôt une opération communication/street marketing fatiguée. L’attitude est exagérée et pas authentique pour deux sous : ça préfère balancer T-shirts, casquettes et autres CD promo dans le public plutôt que d’essayer de rapper correctement. La scène est ensuite envahie par leur crew, tout le monde gueule dans les micros, ça sature autant que le kick de l’instru, on comprend rien. Au moins ils ont l’air de s’amuser : ça se filme à l’iPhone entre potos, concours de selfies à la bien, c’est naze quoi.
On oublie vite fait et on passe au set 100% no bullshit de Trash Talk. Les fouteurs de merde du hardcore californien vont tout simplement faire une démonstration de force et jeter toutes les phases mosh culture à leur disposition à la tronche du public, qui visiblement n’attendait que ça. Circle pit de l’enfer, crowdsurfing de compète, frontman possédé, bassiste qui grimpe sur le toit de la scène, ça part dans tous les sens, l’ambiance est électrique sur fond de hardcore métallique alternant courts passages sludge et frénésie fastcore, un peu comme si Lärm et Black Flag avaient fait des petits après une soirée trop arrosée au lait de soja frelaté. Le dernier morceau sera l’occasion pour le chanteur de virer les gens en les invectivant à aller voir les Bad Brains qui s’apprêtent à commencer sur la scène d’en face.
C’est sans leur mythique frontman H.R. que les pionniers du hardcore vont assurer le show au milieu du playground de Commodore Park (visible dans le chouette documentaire Doin’ It In The Park de Bobbito Garcia et Kevin Couliau), celui-ci étant remplacé par le gars de Fishbone (rien que d’évoquer ce groupe me fait du mal) pour une partie du set, puis par Mos Def. Oui, c’est un peu bizarre. Il y a quelque chose de touchant à les voir se produire dans ce qui fut longtemps leur jardin, mais le concert ne me transporte pas. L’absence de H.R. sans doute, l’abus de phases reggae aussi. C’est dommage parce que le truc a une saveur particulière ici, surtout lorsque l’on connaît l’énorme influence qu’ils ont eu sur la scène en général et locale en particulier (on y reviendra) mais bon, l’envie de flâner à droite à gauche est plus forte. Sur le moment, mon coeur de coreux me fait me dire que je passe peut-être à côté de quelque chose en ne restant pas jusqu’au bout mais tant pis, j’ai envie de traîner sur le site et d’observer la faune.
Vient ensuite la bonne blague du jour : Body Count. Putain, j’aurais jamais cru voir ça en 2014, mais je suis obligé d’admettre que ça m’a ben fait marrer de voir Ice T et sa bande de darons rincés balancer leurs gimmicks métalcore à l’ancienne. C’est ultra beauf, mais voir la star de Law & Order (New York Unité Spéciale, en VF) interpréter Cop Killer, ça n’a pas de prix. En bonus, on a aussi droit à Coco, madame Ice T, qui headbang mollement sur le côté de la scène en tenant deux bulldogs au bout d’une laisse, priceless.
On part se mettre quelques pale ales dans la tête du côté de Bed-Stuy et on part voir John Talabot à l’Output, le club de Williamsburg. Cool soirée, qui me donne presque envie de parler du décalage entre les cultures club US et européenne, mais bon comme d’habitude hein, la flemme, la prochaine fois peut-être.
Réveil compliqué après les excès de la veille, on retourne sur le site du festival juste à temps pour chopper le set d’Unlocking The Truth, le groupe de métal des gamins de 12 piges qui s’est fait connaître après des concerts de rue remarqués du côté de Time Square ou autre, filmés et diffusés à fond sur YouTube. Alors évidemment, je me contrefous de leur heavy métal à l’ancienne et je me dis que le plan management/marketing prévu par Sony pour les p’tits gars doit pas être jojo, mais c’est super rigolo de voir le sérieux des trois gosses et l’aisance technique dont ils font preuve à leur âge – j’ai presque envie d’employer le mot mignon. Vient ensuite The Internet, formation soul cosy cheesy emmenée par la petite meuf androgyne d’Odd Future, puis retour sur le playground pour un moment particulier, le live des Cro Mags.
Tout coreux que j’étais, je n’ai jamais été fan des Cro Mags (trop métal, trop tough guy peut-être) mais dire qu’il ne s’agit pas là d’un groupe important serait une connerie, leur premier album The Age Of Quarrel et leurs shows ultra violents ayant en partie changé la face du mouvement au milieu des années 80. Et c’est avec leur chanteur d’origine, John Joseph (par ailleurs auteur d’un superbe livre, The Evolution Of A Cro-Magnon, qui au-delà d’être un récit autobiographique et une histoire du groupe, est surtout un portrait saisissant du New York pré-Giuliani) que les monuments historiques du NYHC se produisent sur la même scène que leurs pères spirituels et mentors les Bad Brains la veille, émouvant. Le gars John est intenable, les plans de gratte crasseux s’enchaînent et les beats épileptiques achèvent de foutre le feu au public qui est là en masse pour célébrer ses gloires locales. Circle pit, karaté dancing style, machismo, discours politisé et fraternité, tous les codes de la scène y passent dans cette grosse kermesse intergénérationnelle.
On se prend ensuite une dose de platines avec le Tribute To DJ Rashad du collectif de Chicago Teklife, emmené par le frère du défunt pionnier du footwork. Rythmiques de TR-808 mongoles et indigestes, festival de claps et démos de danse, ça pique. Après cette session de lobotomie à la ghetto house, on se dirige vers la grande prairie du parc pour voir la tête d’affiche du festival, D’Angelo. Après une annonce d’annulation pour des problèmes de santé (on a l’habitude avec le lascar) et une communication des plus opaques de la part du festival, l’icône de la néo-soul est finalement bien là , sur scène, assis derrière son Rhodes avec The Roots en guise de backing band – le gars a reconstitué le plateau de Jimmy Fallon, tranquille. Celles et ceux qui voulaient admirer sa sangle abdominale légendaire seront déçus, l’ange noir ne décollera pas de son fauteuil pendant que Questlove et ses potes s’éclatent. Mélange de tubes et de parties improvisées, le concert ressemble plus à un jam entre potes avec des interventions de guests, un truc très ricain en fait, une réunion de stars en toute décontraction, une note de fin comme un bon burger bien gras.
Ah et aussi, l’AfroPunk c’est gratos, God Bless.
Texte : Alex P.
Photos : Patrice Bonenfant
Écrit par: hartzine
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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