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Pour sa cinquième édition, le festival boulonnais BB Mix prend ses quartiers dans la grande salle flambant neuve du Carré Bellefeuille.
Et ce soir, le public est à l’image de cette dernière : il est propre et il sent bon. A l’ouverture des portes, personne ne se presse : aujourd’hui, on ne vient clairement que pour les Shades, la tête d’affiche, qui ne jouera qu’après vingt-deux heures.
PRIVATE
Les organisateurs ont parié sur ce groupe, directement issu de l’écurie BB Mix puisqu’il répète dans les locaux gérés par l’équipe, pour ouvrir l’édition 2009 du festival. Mais à part ses proches, Private a du mal à conquérir le public clairsemé – et assis, à cause de la configuration de la salle. Et cela malgré l’enthousiasme communicatif de son chanteur, Alex Aguiar, et son harmoniciste suréquipé – cinq instruments au compteur ! Présentés sur le programme comme les « dignes fils spirituels de Jacques Dutronc » et les « rejetons français des Strokes » (ils y sont peut-être allés un peu fort), les membres de Private présentent ce soir au public leur premier album, qui sortira prochainement. Les morceaux sont carrés et efficaces, mais loin d’être révolutionnaires, et les paroles laissent parfois un goût amer – on a beau dire, pubis, ça passe mieux en anglais.
Les fans des Shades, apparemment beaucoup plus lookés qu’ouverts d’esprit, accueillent avec des ricanements le duo californien. Il est vrai qu’Isabelle Albuquerque et Jon Beasley ont l’air de venir d’une autre planète. Coiffés et habillés strictement de la même façon – si bien qu’on a presque du mal à distinguer l’homme de la femme – les deux acolytes nous livrent sans ciller leur show spatial. Isabelle, qui maîtrise parfaitement ce petit mouvement de jambes entre le moonwalk et les claquettes, semble en proie à une sorte de transe statique, tandis que son partenaire se déchaine sur son ordinateur, son clavier et sa guitare. On s’aperçoit assez rapidement que les chansons qui nous avaient paru d’une froideur chirurgicale à l’écoute de l’album (Paradise, leur premier opus, sorti cette année) sont en réalité fondées sur des mélodies pop à la fois sucrées et glaciales, qui donnent à cette prestation étrange un petit goût de reviens-y.
La salle se remplit peu à peu, mais les spectateurs persistent à rester assis. Et malgré ses nobles efforts, le groupe le plus hype de Boulogne – avec Booba – ne parviendra pas à les faire se lever ; ça n’aura pas été faute d’essayer. Pour présenter leur quatrième album, à paraître, Gil Lesage et Pierre Emery sont accompagnés d’un bassiste et d’un batteur. Emery mène le show avec une sauvagerie élégante – ce n’est pas sans raison qu’Iggy Pop himself l’a surnommé « l’Iguane français » – tandis que sa femme, un peu trop effacée, ressemble à une sorte d’Alison Mosshart (monomaniaque, moi ?) plus mûre et un brin usée. Mais si sa guitare n’a qu’une corde, elle la torture avec grâce, tout en jouant des talons aiguilles sur sa pédale avec beaucoup de sensualité. Ses mouvements sont lourds et poussiéreux, comme les nouvelles compositions d’Ultra Orange, qui prend soin tout de même de satisfaire les quelques fans qui se sont déplacés en jouant son classique « J’ai du Cream sur mon Jean ». Le duo élargi livre donc une prestation rock’n’roll à l’ancienne, et tente même de faire participer le public léthargique. Qui est toujours assis, donc.
Mais enfin, la salle se remplit – sans être pleine tout à fait – de jeunes filles toutes plus fashion les unes que les autres. Certaines, presqu’à moitié nues, espèrent sans doute attirer l’attention d’un membre du groupe. Les journalistes et les caméras sont là , il ne s’agirait pas de passer inaperçue. En attendant l’arrivée des Shades, la salle retentit de flashes et autres « Noooon, pitiéééé, ne la mets pas sur Facebook ! » Finalement, les lumières s’éteignent, les appareils photo se dressent (n’y voyez aucune allusion phallique) et les oreilles se tendent. Benjamin et sa doudoune sans manches débarquent sur scène, vite rejoints par les quatre autres membres du groupe. Acclamés par la presse rock à la sortie de leur premier album, Le Meurtre de Vénus, en mars 2008, les Shades viennent présenter en exclusivité ce soir leur deuxième opus, 5 sur 5, qui sera dans les bacs en janvier 2010. Le public se réveille peu à peu, mais a toujours les fesses vissées à son siège. Et pourtant, le groupe se donne à fond pour présenter ses nouveaux morceaux, toujours aussi efficaces. On remarque surtout le très élégant Etienne à la guitare – il faut croire que les mocassins à glands ne sont pas un obstacle quand on est doué – qui n’hésite pas à mouiller sa chemise et à montrer qu’il connaît les paroles par cœur, même s’il ne chante pas. A la fin du concert, Benjamin explique au public qu’il regrette que la configuration de la salle n’ait pas permis un concert plus rock’n’roll (« J’ai l’impression d’être au cinéma »), mais exprime aussi son plaisir d’avoir joué devant un public assis (oui, toujours), attentif et intéressé. A la fin de la dernière chanson du set, dans un dernier élan pour tenter de provoquer une réaction chez le public, il fracasse sa guitare au sol. Et s’en va.
De retour au Carré Bellefeuille pour la deuxième soirée du festival BB Mix, on constate tout de suite que le public a bien changé, depuis hier : plus âgé, plus branché, il est venu pour découvrir la programmation pointue du jour. Les festivités commencent à 17h avec la projection d’un film sur Syd Barrett (John Edginton, The Pink Floyd & Syd Barrett Story) suivie d’une conférence donnée par Jean-Michel Espitallier, l’auteur de Syd Barrett, le rock et autres trucs. Quoi de mieux que de nous raconter l’histoire de l’ange maudit du psychédélisme pour nous préparer à cette soirée placée sous le signe des freaks?
C’est au new-yorkais Stephen Tunney que revient la lourde tâche d’ouvrir les réjouissances. Il n’aura aucune peine à s’en acquitter, ses fans ayant répondu présent à l’appel de BB Mix. L’ex-King Missile, seul sur scène avec sa guitare et son ordinateur (« This is my group »), nous livre avec une désarmante simplicité ses modestes comptines douces-amères. Les paroles sont attendrissantes, l’accompagnement acidulé, et tout contribue à rendre Dogbowl touchant – même sa danse d’albatros un peu pathétique. On a presque du mal à croire que ce vieux monsieur un peu bedonnant est l’un des acteurs les plus convaincants de l’underground new-yorkais – et ce depuis plus de trois décennies – tant il est humble. Le festival n’est pas encore terminé, mais on peut déjà affirmer que Dogbowl en restera l’une des rencontres les plus attachantes.
Attachant n’est pas le terme qui convient le mieux à Momus. Dès son entrée sur scène, l’énergumène annonce la couleur : cagoulé, il se traîne sur le sol en imitant un infirme et en psalmodiant de sa voix grave et nasillarde son premier titre, en français, dont il lit les paroles manifestement fraîchement écrites sur son iPod. Fidèle aux thèmes qu’il aborde tout au long de ses vingt-et-un albums, il déblatère un monologue à peine chanté sur les toilettes réservées aux handicapés. C’est bizarre, et c’est drôle. A la fin de ce numéro, il se découvre le visage, se présente, et nous fait partager son univers lubrique et malsain. Il fait des claquettes, mime une valse ou parle à ses partenaires imaginaires, sans jamais ignorer le public pour autant. On sent parfois un léger malaise parcourir la salle, et je peux affirmer qu’avoir cet individu à quelques centimètres de soi n’est en effet pas l’expérience la plus rassurante que j’aie vécu. Si les avis sont sans doute partagés sur cet artiste, personne ce soir n’a pu rester indifférent à cette créature qui semblait tout droit sortie du laboratoire d’un savant mal intentionné.
Aujourd’hui, entre chaque concert, les deux facétieux trublions de Jaune Sous-Marin présentent leur performance au bar du Carré Bellefeuille. Le concept est simple : donner une traduction littérale en français des grands tubes de la pop culture. Et les arrangements musicaux sont, comme les paroles, malmenés : on se souviendra longtemps des grands solos muets de « Mauve Brouillard » ou de « Ma Génération », ou des riffs avortés de « Dieu Sauve La Reine » ou de « Méchant » (mais si, vous savez, le grand tube de Michael Jackson). Ils n’ont pas peur non plus de mimer la scène mythique de la guitare-fellation entre David Bowie et Mick Ronson. Le résultat, aussi jouissif qu’horripilant, est absolument génial, et le public, qui s’amuse à chaque nouvelle intervention à retrouver les chansons originales, ne s’y trompe pas, et ne manque pas de manifester son enthousiasme.
Mais c’est déjà le tour de Nick Talbot, alias Gravenhurst, de monter sur scène. Changement de style : après les deux fondus du bocal adeptes des rapist glasses et du pantalon de contrôleur de la RATP un peu tombant, c’est un jeune homme bien propre sur lui qui vient nous proposer ses ballades émouvantes. Seul sur scène, il livre une prestation intimiste dans un silence presque religieux. C’est bien ficelé, presque parfait, mais ça manque un peu de nerf, et malgré sa voix céleste, Gravenhurst paraît un peu fade au regard de la programmation de ce soir.
Heureusement, les quatre Australiens des Drones ne tardent pas à arriver. On note un changement d’attitude chez le public : pour la première fois, on se bat pour les places au premier rang. Les chevelus à barbe remplacent peu à peu les branchés over-lookés, et ça commence à sentir la bière – jusqu’ici, on était resté très Coca Zéro. Les Drones attaquent avec leur premier titre, redoutablement efficace, et il se passe un truc inédit dans le public – franchement, on n’a pas idée de se lever pour aller se tenir debout devant la scène ! Pour la première fois depuis le début du festival, les gens sont debout. Et on les comprend : le rock noisy des Australiens donne furieusement envie de se balancer sur place. Fondée sur une section rythmique hyper carrée – Fiona Kitchin, à la basse, joue d’ailleurs dos au public, concentrée qu’elle est sur le jeu du batteur, Michael Noga – leur musique puise dans le rock traditionnel et le blues pour les mélanger à des sonorités atonales qui semblent soudain évidentes. Gareth Liddiard, dont le corps est sans cesse tendu entre sa guitare trop basse et son micro trop haut, s’époumone, chuchote parfois. Et si, au début de la prestation, Dan Luscombe, le guitariste, avait avoué au public encore assis qu’il avait l’impression d’être un « unpopular movie », on ne peut que lui donner tort : ce soir, les Drones ont enfin réussi à enflammer BB Mix.
Plus les jours passent, et plus le public de BB Mix vieillit. Ce soir, les amateurs éclairés de l’immense Marc Ribot remplacent les groupies prépubères des Shades. Pour la première fois depuis le début du festival, le public se presse devant les portes du Carré Bellefeuille dès 19h et, la salle à peine ouverte, se jette sur les premiers rangs. Ça promet.
Pour ouvrir le bal, BB Mix a choisi ce jeune quatuor new-yorkais, adepte d’une musique atonale et arythmique. Portées par des beats tribaux, leurs expérimentations sont riches, mais très atypiques. Si leurs morceaux sont « impossibles à chanter sous la douche », comme le disait hier Jean-Michel Espitallier à propos de Syd Barrett, ils sont très bien reçus du côté des spectateurs – peut-être parce que le guitariste ressemble au fils de Romain Duris et d’un mannequin Dolce&Gabbanna, mais ne nous égarons pas. Très honorés de jouer en première partie de Marc Ribot, comme le précise le guitariste sus cité, les quatre geeks ont réussi de façon très convaincante à préparer le public à la performance plus qu’expérimentale qui va suivre.
Quand le rideau rouge s’ouvre à nouveau après la pause, le guitariste mythique est acclamé. Et pourtant, loin de l’image traditionnelle du guitar hero, l’homme ne paye pas de mine : prostré sur son instrument tout le long du concert, il tourne presque le dos au public. Le set des Ceramic Dog, son dernier groupe, dont le premier album, Party Intellectuals, est sorti en juin 2009, débute par une reprise de Gainsbourg, « Un Poison Violent C’est Ça L’Amour », en hommage à Alain Bashung, dont Ribot a été le guitariste. Ce dernier tient bien son rôle de maître de cérémonie : ses trois musiciens gardent sans cesse les yeux rivés à son index, qui leur désigne le départ de leurs solos. Ils malmènent leurs instruments pour en tirer des sons improbables, et le résultat est pour le moins déroutant – mon voisin de droite dessine des lettres dans le vide : « WTF ? ». On accordera une mention spéciale au batteur, Ches Smith, sorte de génie autiste et dégingandé qui tape sur tout et n’importe quoi, mais qui ne tombe absolument jamais à côté – parvenir à refaire ses lacets et cracher du Red Bull tout en continuant de jouer, c’est fort. Au milieu de ces tentatives musicales obscures émergent parfois de purs moments de bon vieux rock’n’roll ; on ferme les yeux, et la voix de Marc Ribot ressemble étrangement à celle de Bob Dylan. Les morceaux des Ceramic Dog semblent en constante création/évolution. On savoure d’ailleurs ces moments de suspens où aucun des musiciens, les yeux toujours fixés sur le maître, ne semble savoir où il va. Quand le rideau se referme, le public, admiratif autant que surpris, en réclame encore. Le groupe revient pour un dernier moment de grâce avec sa géniale reprise du « Break On Through » des Doors, qui conclut dans un splendide fracas l’édition 2009 du festival BB Mix.
Si l’on excepte le premier soir, un peu à part, on ne peut que féliciter l’équipe de BB Mix pour la cohérence et l’exigence de sa programmation, très east coast et lunettes ringardes qui, si elle nous a fait passer du dégoût (Private) à l’appétit (The Drones) ou de l’appétit (Marc Ribot’s Ceramic Dog) au dégoût (Momus), n’a en tout cas laissé personne indifférent.
Emeline Ancel-Pirouelle
credits photos : Emeline Ancel-Pirouelle
Écrit par: hartzine
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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