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Excepter & Jackie O Motherfucker, Les Instants Chavirés, Montreuil, 25 avril 2014 par Sonia Terhzaz.
C’était aux Instants Chavirés que je voulais aller ce soir-là , pour voir deux groupes que je connaissais peu mais qui me paraissaient tout à fait dignes d’intérêt : Excepter et Jackie O Motherfucker. Deux formations situées aux extrémités géographiques du continent américain, mais réunissant deux approches explorant les confins du psychédélisme US.
Le premier dans l’ordre de passage, Jackie O Motherfucker, un collectif de musique expérimentale formé en 1994 en Oregon et incarné par la figure de l’homme-orchestre Tom Greenwood. De nombreux musiciens ont par la suite défilé en son sein, une quarantaine à peu près, qui viennent et vont, accompagnant tournées, festivals ATP et autres événements auxquels le groupe est convié. Certains sont curateurs, artistes et fondateurs de la Ditch Project Gallery, une galerie d’art à Springfield en Oregon. Serait-ce cette Springfield imaginée par Matt Groening dans les Simpson ?  S’il y a une Springfield dans chaque état des USA, sa localisation n’est pas impossible à déterminer et c’est vraisemblablement de ce coin des États-Unis qu’elle aurait été inspirée. C’est en tout cas ce que me confiait Dave Siebert, le joueur de lap-steel des JOMF (le lap-steel est une guitare de type hawaïenne, sans pédale, posée à plat). Matt, en bon Portlandien, n’a jamais caché ses affinités électives pour la musique des Jackie O Motherfucker et s’il avait eu plus intégrité, il aurait pu les faire apparaître dans son dessin animé.
Les Jackie étaient au nombre de six cette fois ci, rassemblés autour d’un Tom Greenwood très concentré, à la dégaine d’un Thurston Moore un peu débraillé. Chacun évoluait dans son espace musique-temps pour pondre des improvisations à partir de motifs qui montaient en gradation au fur et à mesure. C’était assez prenant et leur musique nous emmenait progressivement vers des ballades folk psychédéliques toujours plus lancinantes et bucoliques, puisées dans l’album Ballads of the Revolution (Fire Records, 2009) avec les titres Skylight et A Mania, représentatifs de ce tournant, tendant à délaisser pour un temps les anciennes expérimentations. Était-ce toujours autant du goût des Instants ? Eux que l’on sait si exigeants, à juste raison… Pendant le concert, j’observais déjà le couple Ryan d’Excepter qui allait bientôt entrer en scène, assis nonchalamment et écoutant bien sagement. Ils me faisaient penser au couple sataniste dessiné par Daniel Clowes et repris dans le film Ghost World de Terry Zwigoff. Elle (Lana) avec son manteau de fourrure de lapin et lui avec son chapeau, ses lunettes noires, et son costume, tout de blanc vêtu… Tel un gourou.
Excepter ou « la ressemblance informe », une esthétique paradoxale à la beauté muable. Magie incarnationelle ou idoles illusoires ? En effet les deux s’opposent dans leurs effets : l’une pourra être prodigieuse (ainsi que peut l’être un tour de magie), et l’autre sera miraculeuse… Le groupe s’est formé à New York il y a déjà douze ans et peut se targuer d’une belle et prolixe discographie, année après année, sur de multiples labels tels Load Records (Arab on Radar, Thee Oh Sees), Paw Tracks (Animal Collective, Panda Bear, 5RC, No-Neck Blues Band – la première formation de John Fell Ryan), ou encore Hoss Records (Atlas Sound)… Une production certes inégale, dans une veine expérimentale et radicale, une No Wave, Å“uvre d’art totale.
I’m a Magical Motherfucker, telle était l’inscription sur le t-shirt du chanteur d’Excepter, John Fell Ryan. C’est au deuxième morceau qu’il ôta sa veste et commença sa procession incantatoire, tenant des attributs et symboles mystiques ésotériques à la simplicité de vieux objets désincarnés (vieux bouts de tissus, chapeau de paille usé, micro tenu en bas et oscillant à la manière de pendentifs-médiums), participant d’un rituel renvoyant à des pratiques occultes de mystiques satanistes, pour finir, à l’issue de sa prestation, par la pose d’un linge pour recouvrir et essuyer son visage, en nage, tel un saint-suaire. Motherfucker!
On associerait bien, en fond pictural, des peintures monumentales de l’artiste californien Jim Shaw, explorant le versant obscur de la société américaine, illustrant les vieilles théories vulgarisatrices relatives aux complots extrémistes, aux théories conspirationnistes et autres mythes souterrains à la sauce ketchup comme liant primitif. Excepter ou le règne de l’ambivalence et de l’indétermination. Ils oscillent tout à la fois entre des sonorités post-punk et dark électro aux ramifications dub indus, adoptant des postures scéniques tantôt outrancières tantôt anodines et distanciées dans un décalage omniprésent. Même dans leur danse désinvolte et doucement habitée, arythmique par rapport à l’ambiant électronique, le chanteur John Fell et sa femme Lala évoluent sur scène indifféremment, sans se regarder, face à un public happé et étrangement concentré, témoin de leur incantation. Sans doute, cette musique lancinante ne s’adressait-elle qu’aux plus réceptifs d’entre nous, voire à certains élus, et ce soir-là , je n’avais nullement été désignée.
Les compositions s’étendaient indéfiniment, elles n’en finissaient plus et se perdaient dans les méandres, laissant libre cours à diverses improvisations. Quand les Jackie O Motherfucker excellaient déjà dans ce type d’exercice, les Excepter ont tout surpassé, par-delà les limites et les miennes également ce qui, par moments, me donnait envie de sortir de mes gonds. Ce n’était pas la gêne ou l’incompréhension mais la peur de subir et peut-être même de succomber et au même moment à une envie de danser à la place sur du UK reggae à la Steel Pulse, ou sur de la British Bass Culture. I’m a « Specials » Magical Motherfucker.
Était-ce la magie ou l’ennui ?  Ma cousine, elle, franchement, elle n’y voyait que du flan. Et je me disais ouais ouais, elle a raison. Des fois, il faut savoir prendre position et ne pas être un tire-au-flanc contrairement à ces esprits subtils qui affirment que rien n’est tranché et catégorique. Mais quoi putain ! C’est soit oui ou c’est non ! Au final, l’indécision. Les samples et les beats étaient vraiment bons et résonnaient comme des rythmiques lointaines, des ambiances krautrock contemporaines, puis les voix psalmodiantes nous ramenaient à un côté tantôt guignolesque tantôt happy mondaysque. Le guitariste, torse nu et bretelles, sexy as hell, était seul dans son coin à bidouiller guitaristiquement des arrangements auxquels on ne prêtait finalement pas attention… tant il n’était pas raccordé au son.
Et là j’écoute le LP Black Beach et notamment le très beau Castle Moro d’Excepter, du temps ou Clare Armory œuvrait au sein de la formation, avant qu’elle ne se fasse faucher, et c’est vraiment très bon.
Sur le profil Facebook du groupe, on les voit poser devant la tombe de Jim Morrison. Kill yr idols Excepter! We don’t need another hero scandait-il pendant le concert, évoquant ce beau morceau interprété par  Tina Turner dans le film apocalyptique Mad Max Beyond Thunderdome. Apprenti shaman, John deviendra Jim selon un rite de passation ! Imposture ou authenticité, c’est le récit de la pureté qui est en train de se jouer, celle d’Héloïse et d’Abelard, un homme qui ne voit rien en énigme, qui ne respecte aucun mystère, mais qui regarde tout en face. Cette tombe-là , ils ne l’ont peut-être pas visitée….
C’était ce soir ou jamais que les vrais débats étaient lancés : Mythomanie vs Authenticité. C’est d’ailleurs bien, après les concerts, d’écouter les commentaires, surtout les compte-rendus enflammés aux Instants Chavirés, d’autant plus que ce lieu a l’avantage de nous laisser divaguer un peu avant de nous virer et on peut aisément échanger nos théories (de plus en plus suspectes), en toute fin de soirée, sur la prétendue probité musicale ou fausse authenticité de tel ou tel allumé. On peut saluer par ailleurs, l’intégrité d’un lieu comme les Instants Chavirés aussi dédié à la programmation de musiques improvisées, expérimentales, bruitistes, mais finalement pas élitistes, ou bien si tel est le cas, le savant est un prolétaire et réciproquement. Il y a une cohérence dans la programmation… Les Instants Chavirés (quel nom faut avouer) sont à la fois un lieu à la programmation pointue et en même temps la moins m’as-tu vu, une posture jusqu’au boutiste, à l’image de la scène musicale radicale à laquelle Excepter appartient (c’était leur troisième prestation aux Instants).
Contente finalement, de traîner au bar avec ma cousine, John Fell Ryan et les autres, et de discuter, même si je n’y comprenais plus rien en écoutant du Chris and Cosey. Et à côté ça débattait :
– C’est quand même un grand imposteur qui en fait des caisses pour se la raconter.
– Je ne pense pas, ce sont juste des mecs barrés qui sont dans leur délire et le sont aussi dans la réalité.
– Ouais mais c’est complètement second degré.Â
– Ah non, ils sont vraiment comme ça, pour de vrai….
Écrit par: hartzine
Excepter Instants Chavirés Jackie O Motherfucker
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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Bruno Ruralfaune sur 07/05/2014
Bel article, transmettant parfaitement la fièvre de ce vendredi soir et des ambiances discographiques des deux groupes.
Je rajouterais néanmoins deux points :
– que ce concert était l’occasion de célébrer la sortie exclusive (et mondiale !) du nouveau disque de JOMF. Un split avec le revenant Tom Carter (Charalambides…) et Helena Espvall (Espers). 33t qui sort qui plus est sur un label français (Ruralfaune en l’occurence, mon label je sais ^^)
– que Dave Siebert arborait une superbe casquette Night Ranger
B