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Photos © Thauma Turgie
Les 20 ans d’Api Uiz, groupe issu du collectif les Potagers Nature, et ses amis : Chocolat Billy, The Ex, Mathias Pontevia, Arnaud Rivière, X -OR, le 21 mars aux Instants Chavirés. Par Sonia Terhzaz.
L’évasion
La pollution insidieuse s’abattant sur la ville, il a fallu quitter la lande fétide, le temps d’une nuit, pour se revivifier dans une autre contrée. Les transports gratuits pour l’occasion nous poussaient à fuir cette ville en perdition et nous sommes partis au-delà des collines, explorer de nouveaux pâturages architectoniques aux buttes de briques, bravant la forêt de bois constituée de bouleaux verruqueux, de fougères aigles, de châtaigniers communs, le relief s’accentuait au fur et à mesure que l’on s’éloignait de celle qui nous enjoignait à l’abandonner. C’était au café la pêche à Montreuil que nous étions, un site propice à l’implantation de cultures maraîchères expérimentales. C’est naturellement que Les Potagers, avec le concours des Instants Chavirés, se sont implantés le temps d’une soirée dans ce lieu de diffusion, pour le moins étranger habituellement à une telle programmation. Cette fructueuse union entre ces deux lieux d’expression a donné lieu à un événement assez parfait musicalement, dont nous commenterons le déroulement.
L’union réalisée
Pas moins de cinq formations se sont succédées et ont coalisé au long de cette soirée pour finalement se confondre dans une grande célébration, constituant un organisme vivant où elles se concentraient toutes. En effet, Api Uiz fêtait ses 20 ans d’activité et d’inventivité et, comme l’occasion fait le bon ou le mauvais larron, ses amis se sont joints à cette exaltation. The Ex, Chocolat Billy, Mathias Pontevia, X-OR ont été conviés à répondre à l’impérieuse exigence du son et à la performance. Cette invitation n’est pas fortuite et les rencontres non moins inédites, encore moins le fruit d’un opportunisme, car l’Ami Uiz connaissait, estimait et avait collaboré avec chacun de ses invités.
Au-delà des liens d’amitié et des projets de collaboration, le collectif bordelais Les Potagers Natures est un liant intéressant dressant des passerelles entre les différents participants à cette soirée. Il s’agit davantage d’un collectif que d’un label indépendant, ou bien d’une « structure », pour reprendre le texte de présentation du Sonic Protest. Cette entité se crée et apparaît véritablement lorsqu’Api Uiz édite son premier enregistrement, puis, c’est sous cette étiquette que, progressivement, de nombreux groupes, à la recherche d’une autre manière de concevoir l’enregistrement et l’édition de disque, d’abord locaux puis d’ailleurs, ont été édités. Au commencement, Yann Saboya (membre d’Api Uiz/Chocolat Billy) avait eu l’idée d’archiver cette musique, souvent éphémère, très présente à Bordeaux, en faisant des compilations en vinyle, de groupes formés par des copains qu’ils estimaient. Les initiatives se sont ensuite multipliées et le catalogue s’est étoffé au fil des collaborations (Chocolat Billy, France, X-OR, France Sauvage, L’Ocelle Mare…).
Api Uiz, quant à lui, est composé de personnes qui ont toujours participé activement au label et l’ont souvent même personnalisé : Yann Saboya, Enrique Vega et son frère Jorge (jouant respectivement de la guitare, de la basse et de la batterie), dont la dévotion totale à la musique, enfin au son, au bruit, au raffut, et surtout à l’effet produit chez les gens, se ressent à chacune de leurs performances. Ebranlante, trépidante et syncopée à essence punk des tropiques, leur musique est expérimentale au sens propre du terme mais rigide dans son instrumentation et sa formation. Les permutations ne sont pas envisageables (alors qu’elles sont encouragées et courantes chez Chocolat Billy).
Les pêches miraculeuses
Mathias Pontevia, un fidèle compagnon de Yann Saboya, a inauguré le bal avec sa batterie horizontale, opérant des mouvements de va-et-vient entêtants au moyen d’une cymbale spash, raclant le support de son tom basse en l’inclinant en arrière et en avant dans une geste diagonal, émettant des grincements, des sons stridents à vous faire serrer les dents puis atténuait la rugosité lorsqu’il maniait sa batte de grosse caisse en feutre. Le son émis devenait même plus lancinant que s’il tapait violemment sur une cymbale. Il ne frappait pas de haut en bas mais frottait dans l’inclinaison, opérait un renversement des modes de battement habituels, laissant libre cours à l’improvisation, utilisant des objets non spécifiques faisant office d’instruments de percussion. La peau des caisses était tantôt caressée, tantôt malmenée, brûlante du fait des contacts répétés, et servait de trampoline à divers objets violemment projetés contre sa surface. C’était, malgré tout, la force brute et le geste ardu qui prévalait, et, malgré les infinies variations de rythmes, de types de percussions, la rage a eu raison de cette prestation. Un regret : l’absence remarquée de sa chemise aux motifs de moules entrouvertes caquetant à l’infini qui lui saillait si bien lors de ses concerts passés.
C’est au tour de Chocolat Billy de monter sur le trampoline du son. C’était un concert d’exception, et je pense même au-delà des précédentes prestations auxquelles j’avais assisté (même si elles ont toujours été de qualité). J’avais tendance à préférer Api Uiz, car au plus près de mes recherches auditives, mais dans la clarté polluée, ce soir-là c’est Billy qui a triomphé. L’équilibre était juste, à la fois dans l’exploration de diverses sonorités, qu’elles soient bancales ou tout à fait maîtrisées (la coordination d’Armelle à la batterie et au synthé était louable, une main de chaque pour accomplir un exercice de haute volée) mais aussi dans l’entente parfaite qui résidait entre les membres et les permutations joyeuses qui s’opéraient, (Jonathan et sa magnifique chemise à motifs de chevaux sauvages, initialement à la guitare, s’est retrouvé à la batterie pour un instant rythmique de grande qualité). Je me plaisais à observer également les deux amants à la présence scénique antinomique : Yann à l’émotion exacerbée mais tout à fait spontanée, le corps sec et les mouvements syncopés, et la belle Armelle, plus arrondie, avec son t-shirt aux motifs de pommes juteuses sur la poitrine, à la moue nonchalante et boudeuse, aux mains qui se déliaient délicatement sur le clavier du synthé par opposition aux doigts fous et désarticulés de son bien-aimé, le sourire béat et convulsionné d’un Christ malade de Grünewald. Et le Mehdi Michaux ! Qui ne permutait pas ce soir-là mais m’a percutée de plein fouet avec sa basse grave et amplifiée ! Oh yeah ! C’était torride en effet, et les accents musicaux tropicaux faisaient même zouker les esprits subtils les plus hostiles à la moindre expression corporelle spontanée. Je les ai « gaulés » en train de se dodeliner même s’ils s’empressaient de le nier, et je les voyais hocher la tête sur le titre Fond des nègres, fond des blancs rappelant de façon troublante un accord de guitare issu de Girls and Boys de Blur alors même qu’ils devaient rêver secrètement d’auto-référentialité. Car, au-delà de l’exigence de la performance, l’heure était à la célébration et Chocolat Billy constituait le maillon déterminant pour faire jaillir l’enthousiasme et l’engouement dans un pareil moment.
Puis les X-OR Men toulousains sont arrivés, édités par les Potagers (LP édité en décembre 2011 en collaboration avec A Tant Rêver du Roi, Attila Tralala, Distorgus & Saucisses & Lentilles), et ont permis d’apporter à cette soirée une dimension loufoque après la prestation interlope de Mathias Pontevia. Ils représentaient, quelque peu, l’atout comédie, voire même bouffonnerie de la soirée avec cet humour PMU (pour reprendre les termes de Samuel Falafel), absolument inintéressant musicalement, s’affichant fièrement, même avant leur prestation, comme les deux joyeux lurons de l’événement. Ils riaient fort et étaient très à l’aise au milieu d’une assemblée incommodée, et pour cette unique raison, ils méritaient largement d’être invités. Ils en faisaient des caisses,lâchaient des caisses, et fidèles à leur titre/devise « On va tout casser Billy », nous incitaient à rire à notre aise. C’était plutôt réussi. Intermède plutôt plaisant, qui a eu le mérite de me faire glousser bêtement. Hi han ! Et puis on restait dans la thématique de la soirée…. C’était en réalité une soirée antillaise subliminale. Après le zouk de Chocolat, c’était au tour de la Bossa (titre de X-Or qu’ils nous ont interprétés) d’être réactivée. « Suis tombé fou de la Bossaaa ! J’connaissais paaaas… Les Brésiliens sont des gens comme ça, ils s’en font pas… La fête c’est vraiment leur crédo… Ils vivent de rien, à se demander si ils travaillent… »
Ah ouais, cool les Brésiliens ! Ainsi, ils revendiquent une pratique amateur eux aussi, qui passe avant tout par la notion de plaisir… un peu à l’image des revendications syndicales et idéales des Potagers Nature finalement, ou leur genèse politique. Permettez cette digression, mais cette dimension est latente dans leur démarche, on sent poindre ce beau récit de l’abnégation. Les Potagers ne s’inscrivent pas dans une logique carriériste et l’aspiration première réside dans la pertinence des choix musicaux qui sont effectués, d’où l’intérêt de choisir des lieux de diffusion spécifiques, avec une vraie programmation, audacieuse et engagée, tels les Instants Chavirés, même si ce sont des lieux institutionnels et subventionnés. Car il y a bien souvent une complaisance, des alliances, des accointances et un consensus autour de certains lieux de diffusion alors même que leur programmation et leur fonctionnement sont aberrants. Donc plaisir avant tout, même si on ne gagne pas de sous, au moins on a notre intégrité musicale et notre conscience éclairée.
Et si dans cette catégorie nous avions une figure à ériger, ce serait bien The Ex notre modèle premier. Comment ne pas les inviter en effet, eux qui n’ont cessé de soutenir Api Uiz en les conviant régulièrement à venir se produire en première partie de leurs tournées ? Une belle inversion à cette occasion… The Ex venait jouer pour les 20 ans d’Api Uiz et cette invitation scellait leurs affinités tant sur le plan musical qu’amical. Deux ans auparavant, c’était au tour de The Ex de fêter son 33,3ème anniversaire à la Dynamo (à Pantin) en conviant pas moins de 30 musiciens, de tous horizons, dont Api Uiz évidemment, à qui ils rendaient hommage, et réciproquement. Le concert des Hollandais a atteint son point d’orgue dès les premières pulsations. C’était fort et enthousiasmant ! Le titre That’s Not A Virus, issu de leur single How Thick You Think/That’s Not A Virus sorti en janvier 2014, m’a fait le plus grand effet… je retrouvais le rythme acerbe répétitif, les guitares désarticulées, et le chant déclamatoire caractéristique. Certains morceaux qu’ils jouaient n’avaient même pas encore été enregistrés. L’inventivité primait au détriment de la pérennité.Tout était instantané, franc et immédiat. Cette soirée était ponctuée de passerelles sonores évidentes. On sentait les ramifications, les imbrications de son : par exemple entre un Sarkoland de Chocolat Billy, un How Thick You Think de The Ex, et Pompon, le titre que jouera Api Uiz par la suite. Katharina Bornefeld ne se départissait pas de ses cowbells, conférant au rythme un petit côté afro-caribéen (encoooore !!!!) et rivalisant avec les plus grands groupes expérimentateurs de cowbells : des Blue Oyster Cults (Don’t Fear The Reaper) aux Grand Funk Railroad avec le titre We’re An American Band.
La célébration
C’était finalement le plaisir intense de jouer qui se ressentait, un aspect de moins en moins constaté, sans doute en raison de la longévité d’un groupe ou de sa notoriété. Avec The Ex, les années passent mais rien ne les lasse ou les agace. Ce rapport au plaisir est tellement évident, et ne serait-ce pas finalement la clé ultime de cette intégrité et qu’on se plaît tant à citer ? La liberté de créer, sans entraves, dont l’envie de jouer constituerait les seules et uniques règles à respecter. Bien des formations perdent avec le temps cette énergie primordiale, ce souffle revigorant, tant les concessions et les automatismes liés aux contraintes commerciales sont forts.
Et pour finir… le concert d’Api Uiz n’était plus un concert mais une festivité où tous les moyens étaient bons pour partir dans toutes les directions : c’est vite « parti en couilles » musicalement et scéniquement, d’abord avec la présence de Arnaud Rivière et son électronique primitive qui, à mon sens, n’apportait rien de bien intéressant, puis Yann Saboya s’est défroqué et tout s’est délité. Le concert en lui-même et l’exigence du son étaient à discuter tant les collaborations partaient dans diverses orientations (X-OR les a rejoints sur scène également). Je déplorais déjà ces hybridations dans leur album édité en 2013, Cinq mille cent mille euros à mille deux cent degrés et ce concert attestait (ou non finalement) des nouvelles orientations prises depuis quelque temps. Je les aimais lorsqu’ils étaient plus intransigeants et intolérants à toute permutation ou collaboration. La radicalité leur saillait davantage mais que dire finalement si ce n’est qu’il est bon de se relâcher de temps en temps. De se laisser attendrir et bercer par de douces et sincères amitiés. L’expérimentation demeure et l’envie de jouer également, ce qui fait que tout pouvait leur être pardonné, d’autant qu’ils fêtaient leur anniversaiiiiiiire ce soir-là ! Alors ça va !
Écrit par: hartzine
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Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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