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Nicolas Jaar, MoMA PS1, New-York, le 5 février 2012
La scène se passe dans l’annexe du plus important musée d’art contemporain du monde : le MoMA PS1. Le quartier est un endroit où personne ne va jamais, sauf pour aller au PS1 : Long Island City, Queens, NYC. Le jour, c’est celui qu’on dévoue généralement à lutter contre la gueule de bois : dimanche. L’évènement, c’est la première occurrence des Sunday Sessions, un cycle artistico-musical qui doit durer jusqu’au 13 mars, même lieu, même jour.
Et la star du jour, c’est Nicolas Jaar.
Bien qu’ayant pour ambition d’offrir une visibilité aux Å“uvres contemporaines les plus audacieuses et expérimentales, le PS1 n’est pas pour autant un lieu grand public. C’est donc assez déroutant, en ce début de dimanche après-midi doux et ensoleillé, de voir une file si longue piétiner devant l’entrée. La foule est jeune, habillée pour séduire et polyglotte. Des bribes de conversations parviennent dans les langues les plus variées, du russe au japonais en passant par le français (la communauté gauloise brillant rarement par son absence, à New-York). En bruit de fond, les échos de ce qui se passe à l’intérieur aiguisent cruellement l’impatience de chacun.
En entrant dans le dôme qui abrite les Sunday Sessions, un premier choc percute le spectateur : le son est d’une qualité étourdissante. Puissant et extrêmement bien défini (deux choses qui vont rarement ensemble), il émerge d’une vingtaine de colonnes d’enceintes disposées circulairement, le long de la paroi. En faisant un tour de salle, on s’aperçoit que depuis chaque colonne ne sortent pas les mêmes sons, de sorte qu’en étant au centre de la pièce, on se sent comme en plein milieu d’un orchestre. Le seul plaisir d’apprécier un son d’une telle qualité est déjà en lui-même enivrant, mais c’est sans compter la magie organique de la musique du ménestrel du jour, Nicolas Jaar.
Sur le papier, l’ambition de l’évènement est presque effrayante. Le jeune New-Yorkais (21 ans !) doit improviser une performance électroacoustique dont les éléments seront enregistrés sur place, et ce durant cinq heures d’affilée. Avec lui, sur sa petite scène ronde au centre de la pièce, Jaar est accompagné d’une jeune chanteuse et d’un musicien qui alterne entre saxophone et synthé analogique mais moderne (Dave Smith Instruments, pour ceux que ça intéresse).
Les boucles sur lesquelles Jaar travaille sont très courtes, dépassant rarement quatre mesures. Cependant, elles sont construites avec une telle inventivité qu’elles se répètent sans ennuyer. Chaque improvisation se fait à partir de trois fois rien. Une mélodie, une ligne de basse, un sample d’un vinyle, ou tout simplement un son, tellement travaillé que son origine est souvent impossible à identifier, s’enroulent inlassablement, s’enrichissant petit à petit d’autres éléments du même acabit. Le tout est généralement entraîné par des rythmes déconstruits de percussions chaleureuses et organiques. Cependant, si la musique produite est suffisamment chaloupée pour faire onduler les corps, faire danser n’est pas son ambition première, et les beats les plus percutants arrivent souvent tardivement et ne restent jamais très longtemps. Il s’agit plus de construire un environnement sonore.
Étant placé juste derrière l’épaule de Nicolas Jaar, il n’est pas facile pour moi de décoller les yeux de ce qui se passe sur son MacBook Pro. Les rectangles oranges des pistes MIDI d’Ableton se dessinent à la souris et au clavier d’ordinateur. Ils s’allongent, se rapetissent, montent ou descendent sans donner l’impression de suivre une feuille de route mais avec suffisamment d’assurance et de détermination pour suggérer que l’effet à produire est toujours connu d’avance. Quand la matière sonore à travailler est celle enregistrée sur place, les oscillations qui se dessinent à l’écran sont maltraitées sans respect mais avec amour, par force de triturations numériques. Ainsi, une mélodie vocale belle mais anodine se transformera en incantation surnaturelle, ou un gimmick de saxophone un peu fade résonnera comme la voix d’un monstre sympathique et intrigant.
Le concert est donné avec un calme, une assurance et une maturité que l’on n’imaginerait pas provenir d’un si jeune artiste. Sagement assis derrière son ordinateur, Jaar ne semble même pas vraiment prêter attention au public. Il pourrait être dans son salon que cela ne changerait pas grand chose pour lui. S’il détourne le regard de son écran, c’est uniquement pour donner des conseils à l’oreille de ses camarades de jeu, qui semblent aussi émerveillés que le public par ce dont leur chef d’orchestre est capable.
Étant donnés la scénographie de l’évènement et le charme presque tribal de la musique, on n’aurait pas de mal à se croire à une sorte de messe chamanique 2.0, où le public serait une foule de dévots et les musiciens des sorciers modernes. Mais l’attitude très réservée de ces derniers n’autorise pas vraiment ce genre de parallèle.
La propension de Jaar à transformer n’importe quel son en musique, n’importe quel accident en rythme ou bruit en mélodie, n’est pas sans rappeler les derniers travaux de Pantha du Prince. Cependant, une certaine force de frappe et une véritable efficacité mélodique démarquent Jaar de son collègue allemand.
Comme si le défi de cinq heures d’improvisation en public n’était pas assez difficile, Jaar va même jusqu’à confier à la foule le soin de lui fournir sa matière de base, en faisant circuler un micro parmi les personnes les plus proches de la scène. Alors que la plupart des gens qui se retrouvent avec l’objet dans les mains tentent de coller à l’esthétique de la musique, en sifflant ou en chantant, par exemple, il faut un jeune Français pour faire l’idiot. Ainsi a-t-on droit à un : « Est-ce que tout le monde m’entend ? Disco club ! », déblatéré avec une voix assez irritante. Qu’à cela ne tienne, c’est ce que Jaar choisit de garder. « Disco club ! » se voit donc transformé en voix de ténor, puis maltraité jusqu’à ce qu’il n’en reste que deux claquements qui finiront par faire office de caisse claire pour le morceau qui vient.
Les cinq heures de l’évènement passent avec une facilité surprenante. Le soleil se couche, c’est l’heure de rentrer à la maison, un peu éprouvé mais délicieusement envoûté par une expérience musicale tout à fait unique. La scène s’est passée dans l’annexe du plus important musée d’art contemporain du monde, la star du jour était Nicolas Jaar. Pas banal pour un dimanche après-midi.
Écrit par: Anthony Alias
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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