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Partons d’une définition, celle de la « cage d’acier », concept imaginé par Max Werber, père de la sociologie moderne dans L’Éthique protestante et l’Esprit du Capitalisme. Il désigne comme « cage d’acier » ou « iron cage » une sorte d’allégorie de la civilisation capitaliste industrielle moderne dans laquelle chacun se trouve dans un état d’enfermement de ses libertés individuelles au sein de structures impersonnelles gouvernées par le règne du calcul. Comprendre ici, peut-être, technocratie et bureaucratie. Partons de la situation de Rizzla, producteur américain qui signe depuis déjà quelques années des morceaux dans la galaxie Fade To Mind. On le retrouve régulièrement dans des shows Rinse FM et NTS, dans des sets au côté de Kingdom ou Total Freedom et aux manettes de remix parfois impressionnants (je pense à celui de Cakes da Killa notamment).
Iron Cages est donc la dernière sortie de Fade To Mind et c’est un évènement, puisque ça faisait maintenant presque un an que le label n’avait rien sorti en dehors de quelques remix de Kelela. Une fois cela posé, qu’est-ce qu’on peut faire de ce titre d’EP? À dire vrai, Rizzla fait partie de cette génération qui participe à l’émergence d’une scène néo-dancehall, une scène queer, qui mélange toujours la dubstep, le voguing, l’électronique, la techno, etc. Mais que vient faire Max Weber là dedans? Lui qu’on a longtemps considéré comme un sociologue de la bourgeoisie, là où Marx était un penseur du « prolétariat », lui à qui on a souvent reproché une sorte de pessimisme critique qui lui avait fait perdre son ambition révolutionnaire. Et pourquoi quasiment 80 ans après l’émergence de ce concept, un producteur de Brooklyn choisi d’en faire le titre de son EP?
D’abord, il faut noter le pluriel du titre, Iron Cages, et non iron cage, comme une démultiplication des cages et des pièges. Démultiplications des cages ça veut dire aussi une manière de déplier l’évolution du capitalisme. C’est intéressant d’observer au fond, dans le titre d’un EP une position « critique » au sens de position de recherche. Une production critique par le sonore. Comme un positionnement politique à travers des lieux et des espaces aussi différent qu’une salle de concert, un club ou un casque audio.
Rizzla déclare néanmoins que le titre ne fait pas seulement référence au concept de Max Weber, mais plus largement au travail de Ronald Takaki un des pionniers des études sur les mécanismes du racisme dans la société américaine, et également, de facto un des pionniers des ethnic studies. L’EP fonctionne donc à partir de ce bagage, à la fois celui de la scène Fade To Mind, qui tente à travers ce que l’on a longtemps considéré (et que l’on considère encore) comme des « sous-genres » musicaux, voire des genres musicaux honteux de faire émerger de nouvelles sonorités et une nouvelle manière d’appréhender la musique. Et à travers ce bagage théorique des « cages d’acier », puisqu’il faut le mettre au pluriel.
Au sein même de l’EP, on retrouve ce positionnement de manière parfois très littéral autour de titre Fucking Facist par exemple ou de manière plus inattendue et peut-être plus conceptuelle: Black Jacobins (référence assez limpide néanmoins à la Révolution haïtienne). Cinq titres, où l’on retrouve les tropes de Fade to Mind, des voix R’n’B, des rythmiques dancehall et dubstep et un certain mélange des genres. Rizzla dit de son Ep qu’il est aussi ce moment où il s’est senti pris au piège, d’où la référence à ces « cages d’acier », au piège des néons et des clubs, de la fête perpétuelle, au piège de New York, et d’un désengagement progressif. Il dit aussi qu’il y revendique des influences dembow, soca, buddling ou hardstyle, autant de « sous-genres » dont on parlait tout-à -l’heure. Il faut peut-être voire dans la musique de Rizzla, au delà d’une prise de position politique très radicale, une manière d’envisager « l’euphorie » de la musique caribéenne mais avec tout ce qu’il y a de plus sombre dans la scène électronique. Une manière d’écrire l’histoire, à travers des sonorités. Dans Iron Cages, c’est finalement aussi ce qui se déplie.
Si on doit résumer cet EP, qui ne fait finalement que cinq titres, en un positionnement, c’est celui d’un moment politique autant que musical, celui d’une saturation d’un mode de vie radicalement monotone malgré les lumières des néons, celui aussi d’un discours à tenir sur des politiques immédiates et quotidiennes. Tout cela est matérialisé, par l’usage durant les cinq titres de l’EP autant par les tropes Fade To Mind dont on parlait tout-à -l’heure, que par l’usage et l’ajout permanent de percussions caribéennes, de sifflets, et autres sonorités typiques de ces « sous-genres » qui deviennent ici matériau et prise de position. Il est assez rare au fond, de voir cinq titres poser autant de questions, cinq titres qui font d’une sortie d’EP un moment de « prise de parole », et de discours au sein d’une production qui en manque souvent cruellement. Cette manière d’affirmer une identité et un positionnement par la pratique sonore n’est pas tout à fait novatrice, pour autant ici elle s’inscrit dans une scène électronique de plus en plus large, et dans une nouvelle pratique des clubs qui a fini par faire perdre toute substance au caractère politique de ces fêtes là . Il ne faut sans doute jamais oublier que les clubs, que les salles de concert se sont aussi créés sur des questions de minorité. Disco, voguing, house music, jazz ou soul en sont des bons exemples.
Iron Cages à le mérite de s’inscrire dans ce contexte, sans oublier de produire cinq morceaux qui fonctionnent pour ce qu’ils sont. C’est définitivement hyper dansant, hyper catchy, extrêmement bien produit et pourtant très loin d’être creux ou vide de sens.
Rizzla – Irons Cages (Fade To Mind, 25 septembre 2015)
01. Iron Cages feat. Odile Myrtil
02. Fucking Fascist
03. Airlock
04. Twitch Queen
05. Black Jacobins
Écrit par: Aurèle Nourisson
Fade To Mind Iron Cages Rizzla
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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