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Il se passe de grandes et sombres choses dans la techno contemporaine. On pourrait parler de post-techno, de techno-indus, ou d’avant-techno, peu importe. Il existe un sillon, initié il y a vingt ans avec le dub fantôme de Basic Channel, l’épure de Plastikman, le rigorisme du label Sakho ou les rafales du label Downwards, qui s’élargit depuis une dizaine d’années. Tout d’abord Sleeparchive, puis l’équipe de Sandwell District, et désormais tout un panel de producteurs très inspirés et à l’identité plus ou moins floue, de Londres à Berlin ou même à Madrid, qui s’enfoncent dans les coins les plus opaques du territoire techno. On met l’emphase sur la texture, la permanence, l’espace, le temps, le sensoriel. En somme, la techno devient un objet quasi-intellectuel ou la matière première d’une sculpture. Le travail de Shifted se situe dans le même espace, et son premier LP, Crossed Paths, en est le climax. Sorti sur Mote Evolver, label de Luke Slater, c’est un album de techno des tunnels, des puits sans fond, des fondus au noir ou des traversées en altitude. L’homme-mystère (au passé encore plus mystérieux) à la tête de cette œuvre puissante et statique partage ses opinions sur la question.
Some great and dark things are happening in modern techno. Call it post-techno, industrial techno, or avant-techno – whatever. There’s a line, initiated 20 years ago by Basic Channel’s ghost dub, Plastikman’s minimalism, Sakho label’s rigorism or Downwards label’s machine guns, that more and more people are following since 2000. First there was Sleeparchive, then the Sandwell District team, and now a whole panel of inspired and more or less anonymous producers, from London to Berlin and even in Madrid, who are all plunging into the most opaque territories of techno. Here textures, permanence, space, time, senses are all emphasised, becoming the core of the deal. Techno’s turning into an almost intellectual object, or the raw material of a sculpture. Shifted’s work is located within that space, and his first LP Crossed Paths shows a great mastery of that art. Released this month on Luke Slater’s imprint Mote Evolver, it’s techno for tunnels, for bottomless pits, or high-heights rides. The mystery man (with an even more mysterious past) who’s authored this mighty and static piece of work, is sharing his thoughts about it and the darkest sides of techno in general.
Malgré tout cet anonymat, que pouvons-nous savoir de toi ?
In spite of your anonymity, can we know where you are from, how old you are and where you are based now?
Je suis un Anglais de 31 ans. Je viens du sud-est de l’Angleterre, mais je viens de déménager à Berlin.
I’m a 31 year old Englishman. I’m from the south east of England, but I just recently relocated to Berlin.
J’ai lu que tu sors en fait des disques depuis dix ans. Que faisais-tu avant de faire le genre de techno pour lequel tu es connu en tant que Shifted, Relay ou Pacific Blue ?
I’ve read you’ve been releasing records for about a decade now. What were you doing before then and when did you shift to the kind of techno you’re now doing as Shifted, Relay or Pacific Blue?
Il est vrai que je sors des disques depuis dix ans maintenant. Je ne révèlerai pas exactement ce que je faisais avant, mais je dirais que c’est très éloigné de ce que je fais en tant que Shifted, d’où la discrétion. Je ne veux pas que les gens fassent des connexions entre mon travail passé et ce que je faisais à l’époque. Je voudrais que les gens écoutent Shifted sans aucune préconception.
Yeah, I‘ve been putting out records for almost a decade now, I won’t reveal exactly what I was making, but I will say that it was far removed from what I am doing as Shifted (hence the need for secrecy). I don’t want people making connections between my past work and what I’m doing now. I would like people to listen to the Shifted material without any preconceptions of what to expect.
Ce LP est tout en paysage et abstraction, contrairement aux EP. Qu’est-ce que tu as pu faire ici que tu ne pouvais pas faire avant ?
Compared to most of your EP, what we find on your LP is more into landscaping and abstraction. What is it that you’ve been able to do here that you couldn’t before?
Un LP permet de creuser plus loin dans un certain son et de faire une sorte de déclaration d’intentions et pas simplement quelques morceaux conçus strictement pour le dancefloor. Je pense m’être développé assez rapidement en tant que Shifted et j’espère que cet album sera vu comme l’aboutissement. Je l’ai approché un peu de la même manière qu’un EP, avec des aller-retours entre chaque track, et je suis allé plus loin dans cette démarche. Ce LP marche bien mieux comme un tout que par tracks séparés, ça ne sert à rien de l’écouter en diagonale, il repose sur la patience de l’auditeur pour fonctionner.
I guess when writing an LP project there is a lot of scope to delve deeper into a sound and think about it as a statement and not just a couple of tracks aimed squarely at the dancefoor. I think over the time that I have been writing music as Shifted I have developed fairly quickly and this album I hope marks the pinnacle of my work to date. I guess I approached it in a similar way to how I write an EP, with each release I try to have certain ebb and flow and make connection between the individual tracks. Obviously for the LP I was able to go even further in to this process, I think that Crossed Paths is an LP that works far better as a whole than as individual tracks, it’s not something you can skip through and understand, in fact it relies on the patience of the listener to work at all.
Tu dis être très inexpérimenté en termes de production, à côté de producteurs plus anciens dans ton genre, alors que le genre de techno que tu pratiques repose grandement sur le sound design et la production. Tu te penses vraiment DIY ?
You said you’re quite naive in terms of production skills in comparison with other techno producers of your kind, though the kind of techno you’re making relies a lot on sound design and production. How « DIY » (so to say) do you think you are?
Pour être honnête, j’ai toujours l’impression de bricoler des petits trucs les uns avec les autres. J’écoute beaucoup de disques et je les trouve si finement sculptés, avec un grand soin accordé au détail – je suis l’opposé de tout ça. Je travaille aussi rapidement que possible pour poser une idée avant que mon esprit ne passe à autre chose. J’ai une très petite capacité d’attention. J’ai des centaines de petites idées qui ne dépassent jamais le stade de la simple boucle. Etant donné que je me lasse vite, j’ai appris à maîtriser tout ça maintenant, et je n’ai pas l’intention de changer de manière de faire. On peut s’imaginer que le sound design prend des heures d’orfèvrerie pour fignoler un morceau, mais je préfère utiliser mes petites astuces et mes méthodes efficaces pour rendre cette partie de la production musicale aussi rapide et peu douloureuse que possible.
Yeah I still feel like I’m scraping tracks together to be honest, I listen to a lot of records and they are so finely sculpted and obviously a great deal of care and attention to detail has gone in to them, I’m pretty much the opposite of this. I work as fast as I can to get an idea down before my mind drifts off and I loose focus. I have a very short attention span; I have hundreds and hundreds of little ideas that never make it past the loop stage. Just because I become bored or something else grabs my attention. I’ve kind of learnt to embrace this now though, and I wouldn’t try to change the way I do things. I guess people have this idea of sound design being something that should take hours and hours of sculpting and bending something to fit a track. I prefer to use my own tricks and time saving methods to make this part of writing music as painless and fast as possible.
Comment approches-tu le temps et l’espace pour faire cette techno ? Comment bien doser l’hypnose et le minimalisme ?
How do you approach time/space? How do you measure the right dose of hypnosis and the necessary minimalism?
Mon travail en tant que Shifted est principalement sur la texture, et pour que ça marche il faut que la colonne vertébrale du morceau soit aussi dépouillée que possible afin de laisser chaque élément respirer et venir en premier plan. Le projet Pacific Blue était dans cet esprit, je voulais faire quelque chose autour de structures rythmiques traditionnelles. Mais ça ne correspond pas à ce que je fais en tant que Shifted, je préfère donc séparer chaque projet sous des pseudonymes différents plutôt que de sonner comme un touche-à -tout. J’ai un autre projet cette année, absolument pas techno, qui se concentrerait sur des drones industriels, ainsi qu’un autre qui inclurait un guitariste et des éléments vocaux. Je suppose que c’est l’expression de ma nature indécise et volage.
My work as Shifted is mostly about texture, and for this to work the backbone of the track has to be stripped back as much as possible in order for the other elements to breath and come to the foreground. This is why I started the Pacific Blue project, I wanted to do some stuff that was more concerned with rhythm and traditional percussive structure, I enjoy doing this kind of thing. But it doesn’t really fit with the aesthetic that I have tried to build around the Shiftedmaterial. I’d rather separate experiments in different areas with various pseudonyms than end up sounding like a ‘jack of all trades’. I have another project that I intend to work on this year for instance that focuses on purely non techno, industrial/drone sounds and I’m also working on a project with another artist using guitar & vocal elements as well. I guess this is my indecisive and fickle nature coming through again.
Depuis plus de dix ans, de plus en plus de producteurs (de Sleeparchive à Sandwell District, de Perc à Milton Bradley, d’Ancient Methods à Tommy Four Seven, et toi inclus) explorent les versants les plus rudes, austères et conceptuels de la techno et visent les dancefloors les plus pointus. Pourrait-on y voir l’esprit avant-gardiste de la scène indus/expérimentale de l’ère post-punk appliqué à la techno contemporaine ?
For more than a decade now, some producers (from Sleeparchive to Sandwell District, from Perc to Milton Bradley, from Ancient Methods to Tommy Four Seven, and you included) are exploring the starker, harsher, even more conceptual side of techno, targeting the bleakest possible dancefloor. Couldn’t we see here the same challenging spirit of the experimental/industrial scene of the late 70s/early 80s (Throbbing Gristle & co) applied to modern techno?
En termes d’expérimentation la techno est dans de bonnes mains, à mon avis. Pas mal de producteurs explorent des territoires similaires tout en y mettant leur propre patte. La plupart des producteurs cités ici partagent les mêmes influences, post-punk et indus en tête. Un bon exemple en serait un label comme Blackest Ever Black, à la surface ça ressemble à un label d’indus, mais pourtant il a ses racines dans la techno. Je ne pense pas qu’il pourrait exister sans un autre label comme Downwards qui a tant marqué la culture de la jeunesse britannique dans les mid-90’s. La techno est une scène gigantesque, une grande partie en est consacrée au dancefloor et se préoccupe peu d’intégrité artistique, mais il y a un coin de cette scène qui s’attelle à produire une musique qui peut fonctionner à un niveau plus intellectuel.
Yeah, in terms of people experimenting and taking chances I think Techno is in a very healthy place, there’s quite a few producers out there exploring similar territory but still managing to put their own stamp onto it. Certainly I think a lot of the people you mention have similar influences, the whole Post Punk or Industrial scene being a major part of this. An example being a label like Blackest Ever Black, on the surface I guess you would call it an Industrial imprint but it has deep roots in Techno and I don’t think it would exist as it is now without labels like Downwards that made such an impression on British youth  culture around the mid 90’s. Techno is a big scene, a lot of is it is purely music for the dancefloor with little artistic integrity, but there is certainly a corner of the scene now focusing on creating music that not only works on the floor but on a deeper more intelligent level as well.
Il semble parfois que le but de cette musique est de vider la substance de la techno et voir ce qu’on peut encore y trouver après. Tout menace parfois de disparaître dans le brouillard (particulièrement dans les morceaux les plus distants comme Out Of Tune ou Relict). A quel point la techno peut-elle s’enfoncer dans l’abstraction ?
It sometimes feels that the goal of that music is to empty the whole substance of techno and see what we can find below. Sometimes, the whole thing threatens to disappear behind the haze, or even beyond time (I’m thinking of the most distant tracks like Out Of Tune or Relict). How far can techno go into abstraction?
Ce que je trouve intéressant avec la techno c’est son équilibre. J’aime faire de la club music, mais en même temps j’adore expérimenter et conceptualiser. Je pense parfois que l’on peut arrêter de penser la techno comme une musique en tant que telle, et se mettre dans un état d’esprit qui permettrait de la considérer comme un art où l’on utiliserait une palette de sons pour exprimer des émotions, des concepts, une personnalité. Une fois que tu adoptes cette façon de penser et que tu ne t’obliges plus à coller à aucune convention ou structure musicale traditionnelle, la techno peut aller aussi loin que les gens veulent l’amener. Pour quelqu’un de totalement non-musical comme moi, être capable de m’exprimer de cette manière est très important. Il est intéressant d’utiliser le mot « distant » pour évoquer ma musique. J’aime que la musique semble presque se situer en arrière-plan et fonctionne sur l’hypnose, comme si elle n’était pas là du tout, et laisse ainsi l’auditeur remplir le vide restant avec sa propre imagination, dans le contexte d’un club qui leur permettrait un peu de s’égarer et d’oublier où ils sont vraiment, particulièrement si tout cela est accru par des stimulants chimiques.
What I find interesting about Techno is the balance of it, I enjoy making club music, but at the same time I love to experiment and conceptualize. I sometimes think that you can almost stop thinking of Techno as music per say and get into the mindset that it is purely art, using sound as a palette to express emotion, concepts and personality. Once you embrace this way if thinking and forget having to stick to any form of traditional musical rules or structure then I think it can go as deep as people want to take it. As someone who is completely unmusical, being able to express myself in this way is very important to me. I think it’s interesting that you use the word “Distant†in relation to my music, I love music that almost appears to sit behind the foreground and work on a hypnotic level, almost as if it is not there at all, and enables the listener to fill in the blank spaces with their own imagination, in a club setting allowing the audience to drift off a little and forget where they actually are, especially if this is enhanced by chemical stimulants.
Cette techno ne viendrait-elle pas comme une sorte de réaction radicale et anti-fun à toute la techno classique et à la minimale qui sont devenues une sorte de muzak de club ces dernières années ?
Could we somehow consider that this kind of techno comes as a radical and « anti-fun » reaction to classic & minimal techno and all the stuffs that became some kind of dancefloor muzak within the years?
A chaque fois qu’un nouveau son est apparu, et pas seulement en techno, c’est souvent une réaction à ce qui était venu avant. Je suppose que cette techno est en effet une réaction à une « minimale » devenue surfaite et sans âme. Après tant d’années de ce son, qui avait débuté avec quelques producteurs intéressants et s’est éteint avec tout plein de clones qui sont venus la diluer, les gens ont envie d’autre chose. Je trouve que la scène ces temps-ci est très influencée par la techno du début des 90’s, mais forcément avec toutes les nouvelles technologies disponibles et les influences extérieures qui interviennent dans la musique électronique, quelque chose de différent est né. Mais comme avec tout, ça fera son temps, et les failles sont déjà en train d’apparaître. Ça avance par cycles, et d’ici peu les gens passeront à autre chose.
Every time a new sound or direction is born, not just in Techno but within music as whole it tends to be a reaction to whatever came before it, and I guess this sound you refer to is indeed a reaction to how overproduced and ultimately soulless the whole “minimal†thing became. I think after so long of that sound, starting with a few key producers doing interesting stuff, then ending inevitably thousands of clones popping up and watering it down, people start to crave something different. I think the scene as it stands now is heavily influenced by early 90’s techno, but obviously with the advances in production techniques and the newer outside influences within electronic music something ultimately different has been born. As with anything though, it has its sell by date, and already the cracks are beginning to show. It moves in cycles, and before too long people are going to crave something else.
Ne penses-tu pas qu’on assiste à une émulation des producteurs vers les coins les plus sombres de la techno et qu’il y a un intérêt grandissant pour cette musique de la part d’un plus large public ?
Don’t you feel that there’s been quite an emulation among techno producers around the darkest corners of techno, and that there’s been a greater interest into that kind of techno from a larger audience lately?
On dirait bien oui. Effectivement ce sous-genre de techno en particulier est de plus en plus en vogue actuellement, et je pense que toute cette Berghain-mania y est pour beaucoup. Des gens comme Marcel Dettmann que je considère toujours comme un DJ très underground mixent dans de grosses soirées à Ibiza ou dans d’énormes festivals, ce qui est positif en un sens puisque ça expose les masses à de la « vraie » techno plutôt qu’à de la daube édulcorée. Mais d’un autre côté ça ne peut qu’accélérer ce cycle dont je parlais plus tôt. Néanmoins, je pense que la nature dystopique de cette musique l’empêchera de devenir aussi énorme (et par conséquent rance) que la minimale ou la tech-house qui se sont tant répandues dans la presse musicale électro ou parmi les « clubbeurs » moyens.
Yes, you’re right there. I guess this particular strain of Techno is very in vogue right now. I think the whole Berghain thing has a lot to do with this. It has its upsides and downsides I guess. People like Marcel Dettmann who I still consider to be a very underground DJ is playing big party’s in Ibiza or huge festivals, this is positive in one sense, exposing the masses to ‘real’ Techno music instead of watered down bullshit. But at the same time it can always speed up this cycle that I already spoke about. However I guess with the dystopian nature of this music will stop it ever becoming as big (and ultimately stale) as the whole minimal thing, or the Tech House stuff that is also so popular with the dance music press and your average ‘clubbers’.
Écrit par: Thomas Corlin
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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