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Venom. Le venin, la morsure. Sorti il y a deux mois déjà , c’était peut-être le temps nécessaire pour mettre des mots sur l’expérience et appréhender la douleur que Sister Iodine nous inflige ici. Quelques minutes à peine pour se mettre dans le bain. Les premières secondes sont une sorte de sas entre le silence et le chaos musical absolu qui suivra et durera tout le long de l’album. 1 heure et 5 minutes, une épreuve en un seul bloc, de la noise pure, beaucoup de bruits et de la douleur aussi. Si la violence, c’est l’action ou la volonté d’engendrer de la douleur (aussi bien physique qu’émotionnelle), alors oui, Venom est probablement l’un des albums les plus violents jamais écrits.
Les sons stridents et métalliques sont douloureux, soutenus par un drone qui revient tout au long de l’album et rend l’écoute (un peu) plus douce. Venom fait mal, littéralement comme symboliquement, il s’insinue partout et blesse chacune des cellules qu’il fait vibrer, il créé le malaise, il fait ressortir tout ce qu’on voudrait cacher. Il esthétise la violence pure, la sublime. Le côté organique donné par cette noise à instruments quand de plus en plus de musiciens se tournent vers les machines donne une profondeur et une vie encore plus frappantes à l’album. Les voix aussi, même criées et blindées d’effets humanisent toujours. Là où les machines rendent souvent une musique froide et même distante, le son de Sister Iodine est chaud, organique, humain, et prend au tripes. Difficile alors de rester à distance et de ne pas se laisser atteindre.
La violence sonore et musicale est poussée à son paroxysme, et on se rend vite compte que lutter est inutile. Au contraire, si on se laisse aller et si on accepte cette violence alors l’expérience change du tout au tout, et une atmosphère presque apaisante se créée. Le son se répand dans tout le corps, et on s’abandonne, on se laisse malmener, agresser sans se battre, et si on prend les coups sans chercher à les rendre, alors seulement on accède à l’essence de cet album. On comprend que ce qui pourrait sonner comme un exercice de style est en fait une oeuvre musicale et artistique complexe, où du chaos émerge la paix.
Très peu de percussions à proprement parler, des sons stridents, agressifs, Venom n’est pas un album facile. Il n’y a pas de mélodies, au sens traditionnel du terme en tout cas : on aurait bien du mal à le fredonner. Pas de mélodies, pas de percussions, essentiellement du bruit, et pourtant de la musique, pure. Ce disque repousse les limites et contours de ce qu’on appelle la musique et nous rappelle que la musique n’a pas d’essence, c’est toujours le contexte qui la fait exister.
La douleur. C’est étrange cette volonté qu’on peut avoir de se faire mal, de s’exposer soi-même à la douleur, d’aller jovialement se faire agresser. Là où la plupart des gens diraient que ce n’est pas de la musique, que c’est inécoutable, insupportable, que ce n’est que du bruit, que ça fait mal aux oreilles, il y a bien pourtant quelques fous pour écouter ce dernier album de Sister Iodine. Cet album s’adresse à un public averti et volontaire, un peu comme un rite de passage. Un public qui prend du plaisir à se faire malmener, qui veut qu’on lui fasse mal, qui en redemande. Mais pourquoi s’inflige-t-on ça ? Ne serait-ce pas un peu plus confortable de jouer un album de pop, et se détendre un peu ? Peut-être les musiques extrêmes nous paraissent-elles simplement plus sincères, elles regardent le monde en face et rendent telle quelle la violence d’exister en son sein. L’écoute d’un album tel que Venom, c’est se réserver un moment pour faire face aux choses, face à la violence, ne pas l’éviter mais la contempler, la ressentir et même l’apprécier. Un genre de memento mori, un pause dans cette continuité de fausse légèreté, un moment à soi, où on ne peut plus faire semblant.
On l’a dit, Venom est un album difficile, et rien n’est fait pour le rendre plus facile d’accès. Il y a un refus clair de la part de Sister Iodine de donner des clés de compréhension. Comme dans toutes les musiques sans textes audibles, le récit est caché et n’est pas servi comme un plateau, on n’est clairement pas là pour vous raconter une histoire. Par contre, souvent on trouve quelques éléments de récits, comme dans les mélodies, dans les titres des morceaux, etc. Ici les titres de morceaux ne donnent aucune indication, parfois en français, parfois en anglais, utilisant des caractères spéciaux, tout est fait pour brouiller les pistes, et surtout n’en donner aucune. La seule clé de compréhension sur le récit est le titre « venom », et effectivement, il se suffit à lui-même pour savoir à quoi on a affaire.
Et pourtant, le récit est bien là . La place laissée par le mystère et par le refus d’expliquer laisse l’auditeur se construire son propre récit, ses propres images. On peut même se surprendre à une certaine introspection, être soi-même surpris par les images que l’écoute de cet album peuvent évoquer, qui disent autant de nous mêmes que de la musique écoutée.
Venom est un excellent album, de ceux qui posent les questions mais ne prétendent jamais y répondre.
Sister Iodine – Venom (Nashazphone, 20 février 2018)
01. BLAACK
02. ØUTRE-MER
03. NOUS SOMMES SURANNÉS (VIVONS DE NOS IDÉAUX PASSÉS)
04. I’M GAME (feat Stephen Bessac)
05. ÆMBRE
06. REFONDER
07. I T (feat Stephen Bressac)
08. PHAZE /\
09. THE FEMALE
10. GLÓCK
11. VENOM HORIZOV\
Écrit par: Margot Pereira
Nashazphone Sister Iodine Venom
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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