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Si le label canadien Electric Voice Records (EVR) avait, l’année passée, déjà fait montre de son art abouti de la compilation avec un premier volume résolument situé sur le terrain de la prescription (lire) – passant au tamis la création pop contemporaine pour n’en garder que les joyaux à l’épure synthétique, juxtaposant la jeunesse fauve de The KVB, Chevalier Avant Garde, Femminielli, HTKR ou Soft Metals à l’expérience sereine des monstres sacrés du genre que sont Ariel Pink, R. Stevie Moore et Jeff & Jane Hudson – le second, à paraître le premier avril prochain, confine à la perfection dans l’exercice, combinant à la fois cohérence stylistique et pertinence historique. Car dans les dix morceaux agencés selon une direction artistique partagée entre Matthew Samways, instigateur d’EVR, et Juan Mendez - partie prenante, via Silent Servant, de l’indescriptible collectif techno Sandwell District -, et outre Tropic of Cancer dont ce-dernier fut aux prémices et dont Camella Lobo est désormais l’unique dépositaire, seuls les deux échappés de l’écurie Weird Records, Martial Canterel – moitié de Xeno & Oaklander et thuriféraire incontesté des technologies analogiques (lire) – et Frank (Just Frank) - interviewé début 2011 (lire) et dont on ne sait toujours pas quoi penser sinon une vague impression de malaise - possèdent une discographie initiée dans les décombres des années 2000. Les sept autres signatures sillonnant ce recueil concourent à une radiographie autrement plus sombre que celle présidant à la précédente compilation du label, s’attachant à sonder trois décennies de musiques industrielles et de minimalisme électronique aujourd’hui encore fouillées et non exhumées par d’éminents labels tels que Minimal Wave, Desire Records ou Dark Entries.
Un lien subtil entre les générations se dessine, entre legs testamentaire et adoubement filial, et ce n’est pas un hasard si l’inénarrable Genesis P-Orridge ouvre avec son projet Thee Majesty, vrillant spoken word dans les nimbes indus, ce nébuleux panorama des déserts gris et urbains ici cartographié. Débuté en 1998 sur les cendres de Splinter Test, une fois les pages Throbbing Gristle puis Psychic TV définitivement tournées, Thee Majesty fut l’occasion pour P-Orridge d’innombrables collaborations et performances – dont une à Stockholm en présence de Michael Gira (Swans) – accouchant d’une éparse discographie dont Vitruvian Pan (2007) reste l’ultime pierre à l’édifice. Real Eyes creuse d’entrée une brèche mélancolique et tourmentée dans laquelle Martial Canterel s’engouffre avec Who Will Remain, saignant à blanc ses claviers dans un tumulte de beats sursaturés. Le Toulousain Érick Moncollin et son émanation faussement teutonne ADN Ckrystall donnent ici le change avec Der Stasi Palace à leur magistral premier album - Jazz’ Mad, paru en 1982 et récemment réédité – télescopant new-wave hexagonale et kosmiche berlinoise, de Manual Gottsching à Klaus Schulze. Idoine pour introduire les effluves cold et vespérales de Martin Dupont, trio marseillais qui, à l’image des Franciliens de Trop Tard, est aussi culte (à raison) pour certains que mésestimés (à tort) pour le plus grand nombre. Difficile de comprendre comment Bit of Smile a pu traverser le temps sans être éventé par quiconque tant la mélodie déployée sur celle-ci illustre le paradigme new-wave d’alors : l’artificialité des machines contrecarrée de vocalises pénétrantes. Obscurci d’un épais voile vaporeux par Fall Apart de Tropic of Cancer, telle une infinie caresse lacrymale, la première face de la compilation se termine là où ne débute pas la seconde avec Traversez le Pont des Franco-Américains de Frank (Just Frank). D’un doux pessimisme susurré à la vindicte pastiche, mais bien troussée, il n’y a qu’un pas, que les New-Yorkais d’Ike Yard – auteurs en 1982 d’un fondamental LP éponyme sur Factory, réédité depuis par Desire – ne franchissent pas, exsudant à travers Elysians, telle une marque de fabrique aussi tenace que non usurpée, un calme inquiet et texturé, beauté froide d’une mégalopole au crépuscule. Ce avec quoi tranche littéralement l’intempérance des Belges de Vita Noctis, qui, faisant fi du spleen de leur Vilvoorde natal, envoient paître sur Serial Killer – et sur la globalité d’une discographie rééditée conjointement par Minimal Maximal et Dark Entries via la compilation Against the Rule – un certain maniérisme propre au genre, entre disco blême et déflagrations synth-punk. Nine Circles, duo de Cologne sortant d’un mutisme de vingt-cinq années en 2012 avec The Early Days (Genetic Music), glisse probablement le plus poignant des témoignages avec Mercy résonnant telle une ode poétique et atmosphérique à la vacuité d’un monde post-industriel et déshumanisé. Ode dont le Hollandais Danny Bosten, Å“uvrant sous le patronyme de Das Ding, prolonge instrumentalement la portée avec End Credits Roll, longue symphonie pour synthétiseurs tristes.
Faisant échos aux deux compilations Minimal Wave (lire), mais aussi au travail de réédition de l’ensemble des labels précités, cette compilation EVR II met en perspective une histoire du minimalisme électronique et de la musique industrielle – écrite au présent par son instigateur (lire) et non contenue dans l’historiographie « officielle » établie par Simon Reynolds – à un goût contemporain devenu immodéré pour ces oiseaux noctambules. Et l’interrogation se formule d’elle-même. Pourquoi observe-t-on un tel attrait pour la musique d’alors et pour leurs succédanés d’aujourd’hui, de Led Er Est à Frank Alpine, en passant par Xeno & Oaklander et ce sans parler des pantomimes commerciaux ? Sans doute un signe des temps où l’esthétisme morbide n’est pas simplement morbide, mais proche d’une réalité morbide. Le gris des jours n’a pas fini de déteindre sur nos goûts.
Navigations Volume I de Martial Canterel est d’ores et déjà annoncée par EVR comme la prochaine sortie du label en hommage aux dix ans d’existence du projet Sean McBride. Elle sera suivie par deux autres volumes, comprenant démos et inédits.
Photo : Martial Canterel is Sean McBride by Alex Gaidouk.
V.A. – Electric Voice II (EVR, 1er avril 2013)
A1. Thee Majesty – Real Eyes
A2. Martial Canterel – Who Will Remain
A3. ADN’ Ckrystall – Der Stasi Palace
A4. Martin Dupont – Bit of Smile
A5. Tropic of Cancer – Fall Apart
B1. Frank (Just Frank) – Traversez le Pont
B2. Ike Yard – Elysians
B3. Vita Noctis – Serial Killer
B4. Nine Circles – Mercy
B5. Das Ding – End Credits Roll
Écrit par: Thibault
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Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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