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Man Without A Name évoque dès les premières secondes le shoegaze et les guitares fuzzy de Jesus And Mary Chain. Pourtant, Dear Eloise, compositeurs de ce tube frais et racé, ne sont pas d’Écosse mais de Pékin. Cette découverte était donc l’occasion parfaite pour s’intéresser de plus près à cette scène chinoise aussi discrète que passionnante.
Le rendez-vous est pris avec Nevin, créateur du label des premières sorties de Dear Eloise, Genjing Records, pour en apprendre un peu plus sur sa structure mais aussi sur la scène underground chinoise, playlist à l’appui. Ce jeune Américain vit en Asie depuis 1999 et à Pékin depuis 2005. Après avoir joué dans deux formations chinoises, il devient programmateur du D-22, une salle de Wu Dao Kou et lance quelques années plus tard Genjing Records, dont les sorties commencent à faire de plus en plus de bruit. Rencontre avec ce fervent acteur d’une scène musicale en pleine éclosion.
Peux-tu revenir en quelques mots sur la création du label et tes motivations ?
J’ai créé le label en 2010. À la base, c’était l’occasion de sortir les 7’’ de mon propre groupe, Fanzui Xiangfa, puis j’ai réalisé que je pouvais le faire pour d’autres artistes chinois. Ma motivation première était d’aider les groupes chinois à tourner à l’étranger. Le public européen et américain n’achète plus vraiment de CD ; tout groupe doit sortir un vinyle s’il veut vendre sa musique et laisser une marque.
Genjing Records est un label très DIY dans sa relation avec les artistes : nous n’avons pas de roster à proprement parler. Nous signons des deals en « one shot » où les artistes gardent tous leurs droits. Je vois plus Genjing comme un curateur de la musique chinoise que comme un label à proprement parler.
On entend très peu parler de la scène underground chinoise ; peux-tu nous en dire un peu plus sur elle ?
La scène underground chinoise est vraiment excitante et en bonne santé ; il y a de plus en plus de groupes, de salles et de promoteurs mais seulement une poignée de labels. Musicalement, le niveau est vraiment bon mais les artistes comptent énormément sur les labels et les managers pour gérer leurs « business ». L’un des objectifs de Genjing est d’essayer de changer cette idée et de soutenir l’idée que les groupes peuvent gérer leurs carrières seuls, sans se reposer uniquement sur les partenaires habituels.
Penses-tu que le nombre de labels va augmenter ?
Il y a de plus en plus de groupes dans tous les coins du pays et je pense que de plus en plus de labels vont émerger. Mais j’espère que la scène va aussi développer sa propre définition du DIY, et que des groupes vont émerger en toute indépendance.
Seuls les groupes « marketés » s’en sortent en Chine et pour que les groupes puissent évoluer à long terme, il est impératif qu’une économie plus DIY et underground se développe.
Les jeunes groupes doivent créer leurs propres structures qui leurs permettront de se développer selon leurs propres termes et ne pas rentrer dans la logique économique de beaucoup d’infrastructures chinoises. Celles-ci ont coûté la carrière de plus d’un groupe.
Tous les labels ne sont pas mauvais mais la Chine est à un tournant où cette indépendance doit être développée. Je ne sais pas vraiment à quoi cela va ressembler mais c’est passionnant d’observer cette construction.
Quelle est la réaction des médias chinois face à cette scène underground ?
Les radios et la télévision sont toujours contrôlés par l’État et encore loin de diffuser tout ce qui touche à la culture émergente. Il y a toujours des lois interdisant la diffusion de la musique rock sur les ondes. Mais certains programmateurs essayent de contourner celle-ci, jouant sur le flou de la définition du genre rock. Ce qui est appelé rock en Chine correspond uniquement à ce que les autorités n’aiment pas et interdisent. Je conseille d’ailleurs de lire une interview de Jonathan Alpart sur Slinkrat qui donne plus de détails (lire).
Certaines stations, même gérés par l’État, deviennent cependant de plus en plus commerciales. Elles diffusent tout ce qui marche ; on peut donc imaginer que si la scène indie continue son ascension, elle pourrait rapidement se voir diffusée sur les ondes.
Penses-tu que l’émergence de cette scène underground est due au développement économique du pays ?
J’attribuerais ça à plusieurs facteurs et la croissance économique est certainement l’une d’entre elles. La youth culture a explosé à Beijing après les Jeux Olympiques ; de plus en plus de personnes jeunes ont commencé à gagner un salaire suffisant et à avoir assez de temps libre pour s’adonner à de nouvelles passions. Les jeunes Chinois sont également incroyablement exposés à la culture étrangère via Internet et ont de plus en plus l’occasion de voyager. Toutes ces découvertes alimentent la scène underground et l’aident à se propager extrêmement rapidement.
Combien de vinyles presses-tu pour chaque sortie ?Â
Hélas, les derniers presseurs chinois ont fermé au début des années 80 ; je fais donc presser mes vinyles à l’étranger, soit aux États-Unis, soit en Europe. Je fais des pressages de 500 exemplaires et les points de vente varient selon chaque sortie. Certains groupes comme Fanzui Xiangfa, Gum Bleed et Demerit vendent la plupart de leurs vinyles quand ils tournent à l’étranger. D’autres groupes organisent des « release party » et incluent le 7’’ avec le ticket d’entrée. Ils écoulent alors 200 exemplaires très facilement. Ensuite, ça dépend vraiment. Certains disques retiennent l’attention de disquaires particuliers – comme aQuarius à San Francisco – et s’écoulent donc plutôt à l’étranger, alors que d’autres se vendent bien mieux en Chine. Le vinyle est plutôt récent pour la scène rock locale, mais gagne en popularité extrêmement rapidement.
Comment arrives-tu à promouvoir les artistes Genjing et tes sorties en dehors des frontières chinoises ?
J’essaye de travailler avec des groupes qui cherchent à gagner un public à l’international. Je ne suis manager d’aucun groupe et compte principalement sur l’artiste pour faire la promotion de sa sortie.
Je m’occupe du pressing et de la distribution comme un service, mais je ne prends aucun droit sur la musique et ne leur impose pas du tout un deal d’exclusivité. En signant des groupes actifs, nous sommes plutôt partenaires.
Nous sommes capables de vendre les disques produits et ils peuvent tirer avantage des opportunités que je crée pour eux. D’ailleurs, beaucoup des groupes avec qui je travaille sont signés sur de plus gros labels, comme Maybe Mars, qui s’occupent de la promotion à l’international et aident financièrement les groupes à tourner à l’étranger.
J’ai entendu qu’un des membres du Brian Jonestown Massacre vous aidait beaucoup, notamment avec la volonté d’attirer les regards étrangers vers les groupes chinois.
Oui, Ricky Maymi, le bassiste du Brian Jonestown Massacre, est un partenaire du label. Il m’aide pour la distribution aux États-Unis et est un fervent défenseur de la scène chinoise.
Comment s’est faite la rencontre avec Ricky ?
Wang Xinjiu de Birdstriking a vu Spiritualized jouer dans un festival près de Pékin et, en super fan du groupe, est allé les voir à la fin de leur concert. C’est un type incroyable et il est tout de suite devenu ami avec les membres du groupe. Wang Xinjiu leur a donné une tonne de disques de la scène locale, dont certains sont arrivés aux oreilles de Ricky. Il n’a pas seulement pris le temps de les écouter mais a aussi pris contact avec quasiment chaque membre de la scène ! Ricky nous a énormément aidés et encouragés depuis et est devenu l’ami de beaucoup de musiciens chinois, mais aussi leur guide et consultant.
Manny Nieto a enregistré avec beaucoup de groupes chinois. La collaboration de producteurs étrangers avec des groupes chinois est-t-elle une pratique régulière ?
Oui, c’est de plus en plus fréquent pour les plus gros groupes de travailler avec des producteurs étrangers. Le label Maybe Mars a notamment fait travailler quelques producteurs étrangers sur leurs groupes ; Martin Atkins [Pigface / PiL], Wharton Tiers [Sonic Youth / Dinosaur Jr. / Swans], Brian Hardgroove [Public Enemy], Andy Gill [Gang of Four] et bien d’autres. P.K.14 sont également partis à Chicago enregistrer avec Steve Albini et les Carsick Cars viennent juste d’enregistrer à New York avec Sonic Boom de Spaceman 3.
Le cas de Manny Nieto est un peu spécial puisqu’il a décidé de venir en Chine et d’enregistrer quelques groupes par ses propres moyens. Il est vraiment venu à la rencontre de la scène et n’est pas venu en Chine sur l’invitation d’un label. Il a collaboré avec un grand nombre de musiciens de la scène underground comme jamais aucun producteur ne l’avait jamais fait auparavant.
Quels groupes de cette scène nous conseilles-tu d’écouter ?
La liste est longue et surtout très variée. P.K.14 est sans nul doute le meilleur groupe live de Chine et les parrains de toute la scène post-punk. Ils viennent de sortir un nouvel album chez Maybe Mars qui s’appelle 1984.
Demerit, aussi signé chez Maybe Mars, est un mélange de street punk et d’un métal très 80’s. Ils tournent souvent aux États-Unis ou en Europe. Je sors également un 7’’ pour Li Daiguo qui mixe instruments chinois traditionnels avec du violoncelle et du beat-box ; le résultat est super cool !
Parmi les groupes les plus jeunes, je recommande After Argument, le side-project du leader de P.K. 14 Yang Haisong, dans la digne lignée de ce que Fugazi aurait pu faire après The Argument. Ils viennent tous juste de sortir un premier LP, Furs Of Time, sur leur propre label Share The Obstacles.
Xin Ma You Jiang, mené par la bassiste de Ourself Beside Me, est un autre très bon groupe. Ils n’ont pas encore enregistré de morceaux en studio mais leurs lives sont incroyables.
MeToo également ! Après avoir commencé à jouer en 2009, ils ont disparu à Xinjiang pour peaufiner leur projet et viennent juste de faire leur retour sur les scènes pékinoises. Leur son très dark rappelle vraiment Bauhaus. The Diders sont aussi un groupe réputés pour leurs sets explosifs et sont les parfaits ambassadeurs de la scène punk de Pékin.
La liste est vraiment longue.
Qu’espères-tu pour le futur de Genjing Records ?
Je voudrais que le label continue de grossir et promouvoir avec un spectre de plus en plus grand l’art chinois ; de très belles choses sont faites ici, en musique mais aussi en graphisme par exemple. J’aimerais aussi donner un contexte historique à la musique pour que les gens appréhendent mieux ce qui se passe ici et puissent créer des connexions entre les scènes créatives chinoises et étrangères.
Article et propos recueillis par Clément Touchard
Dear Eloise -Â Man Without A Name
P.K.14 -Â You And Me
Carsick Cars -Â Invisible Love
Hedgehog -Â You guys rock D22, I was there manÂ
Skip Skip Ben Ben -Â La’ Lasta
After Argument -Â Yang Went To Shanghai
Chui Wan -Â White Night
Glow Curve -Â Floating Mountain
Mr. Graceless -Â My Channel
Snapline -Â Sustaining
Soviet Pop -Â Sound of Silent Radio
Birdstriking -Â No More Rock & Roll
WHITE+ -Â Silver
Écrit par: hartzine
Chine Dear Eloise Genjing Records
Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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