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On le fera pour lui. « Je n’ai pas vraiment envie de me mettre en avant. » Voilà ce que répond sans fausse modestie l’ami Benjamin Dierstein, instigateur du label Tripalium, quand on le questionne sur sa personne, son intimité ou son parcours. L’homme, malgré une bouille d’éternel jouvenceau aux cheveux ras, reste discret, voire secret, sur ses multiples et incessantes activités. Impossible même de lui soutirer une putain de photo avec une résolution pas trop dégueulasse. Alors on taira, ou presque, ses consistantes chroniques et mixtapes pour notre confrère bordelais Seek Sick Sound, on chuchotera à demi-voix son activisme sans faille pour La Mangouste – désormais en sommeil mais reconnue pour avoir littéralement éventré Paris de ses fameuses Casse ton Singe, Marathon Électronique et autre Spring Break Core Festival – , on passera sous un silence de cathédrale son rôle clé dans la réhabilitation du Glazart avec son compère Matthieu Meyer, aujourd’hui au Trabendo, de même qu’on ne dira pas un mot sur sa fonction actuelle au sein d’une des agences de booking les plus exigeantes et excitantes de Paris – dont la division électronique compte parmi ce qui se fait de mieux à nos yeux entre Samuel Kerridge, Helena Hauff ou Powell. D’ailleurs, inutile de préciser que c’est avec beaucoup de plaisir et de décontraction que l’on a co-organisé il y a tout juste un an une soirée dédiée au rudoyant pour les tympans label Repitch de la triplette italienne en jogging Shapednoise, Ascion & D.Carbone. L’occasion d’appréhender l’extrême méticulosité de notre sujet : muni d’un petit agenda, ce stakhanoviste du bruit dansant et de la nuit sans fin notait absolument tout, histoire de s’affranchir d’une mémoire potentiellement défaillante. A ce titre, le binôme qu’il forme avec Marine Giraud est plus que complémentaire : ensemble ils sont à l’initiative, puis à la gestion millimétrée et sans stress, des plus orgiaques teufs acid franciliennes. D’ailleurs quand ils s’échappèrent ensemble le temps d’un tour du globe de presque six mois, c’est peu de dire qu’il y eût un paquet de ravers orphelins – ceux qui ne se satisferont jamais de la vacuité froide et dispendieuse des usines à BPM dont le business est plus que florissant – , ne sachant plus à quel saint se vouer.
C’est avec la même énergie, ce même regard sans concession et ce même positivisme, optant plus pour le faire que pour le parler – comprendre ici le marketé – , que Tripalium est né en 2014. Et si la référence étymologique n’est pas neutre – dans l’Antiquité ce mot désignait un instrument d’immobilisation et de torture à trois pieux utilisé par les Romains pour punir les esclaves rebelles – , la volonté étant délibérément de mettre à l’épreuve via des séries événementielles et discographiques distinctes les codes de la musique électronique actuelle, il serait bien trop facile de ne réduire cette démarche multi-dimensionnelle, gravitant autour d’un dense noyau de producteurs hexagonaux ou étrangers, qu’à sa propension à faire littéralement du bruit pour du bruit. Si les ORL de France et de Navarre ne remercieront jamais Tripalium, la castagne auditive n’est qu’une des facettes d’une structure qui oscille entre retour aux sources acid ou rave et expérimentations techno-noise, s’organisant pour ce faire en de multiples sous-labels prêts à donner en 2016 la pleine mesure de leur respective potentialité. Déjà évoquée dans ces pages, à travers l’inaugural EP cassette Tesla du trublion Paulie Jan (lire) ou l’album-concept Contritum Crusis de Verset Zero (lire), ou en passe de l’être, avec les futurs Terdjman et Jaquarius / Mono-enzyme, respectivement via les sub-divisions Digital Mutant Series et Acid Avengers, la substantifique raison d’être du label gagne en profondeur à mesure que le nombre de sorties prend de l’ampleur, labourant à la fois les terres maintes fois brûlées de l’hédonisme festif et celles de la recherche sonore. Parfois, le trop n’est pas l’ennemi du bien. Profitant de la future grande messe acid du collectif – la troisième Acid Avengers du nom ce 18 mars au Batofar avec au programme Unit Moebius, Andreas Gehm, Voiron et Lunar Distance (Event FB) et pour laquelle on fait gagner des places en fin d’article – on a posé quelques questions au principal intéressé qui, c’est dit, ne parlera pas de lui à défaut de nous offrir une belle mixtape certifiée 100% Tripalium.
Le label a un peu plus d’un an. Tu peux nous indiquer les étapes importantes de cette aventure ?
À la base, Tripalium a été créé dans le but d’organiser des soirées. On pensait au label, mais on ne savait pas vraiment quand ce moment arriverait. Et puis finalement c’est arrivé très vite, au bout de six mois à peine d’existence de Tripalium on a eu envie de se lancer dans le bain. Ça a commencé avec une cassette de Paulie Jan pour laquelle on a eu de très bons retours, donc ça nous a motivé à continuer. On a enchaîné avec les sorties de Jaquarius, 14anger, Hawkta, Verset Zero et puis on a sorti aussi notre compilation Some Like It Raw au printemps 2015 qui faisait appel à plein de producteurs français orientés bidouillage analogique à tendance noisy… Ça nous a permis de mettre une étiquette sur cette série d’EP, les Digital Mutant Series, et ça a permis au public de mieux comprendre comment on se positionnait. Les deux grandes étapes suivantes ont été la création des deux autres sous-labels, pour lesquels on a fait appel à des forces vives : Acid Avengers, dont on gère la DA avec Jaquarius, et Tripalium Rave Series, qui n’aurait pas pu se faire sans le soutien de 14anger et de Toolbox.
Quelle est l’esthétique défendue par le label ? Quels sont tes modèles en termes de maisons discographiques ?
Notre panel esthétique est assez large mais se retrouve autour des mêmes valeurs… On aime bien ce qui tape, ce qui fait du bruit et ce qui est complètement barré. En gros tout ce qui sort du sillon techno traditionnel, tout en y étant fortement apparenté. Le tout avec un gros coup de cÅ“ur pour les sons 90s, que ça soit la scène expé improvisée ou la hardtek de hangar, on fait le grand pont sans problème. Nos trois séries d’EP sont chacune sur un type de sons. Digital Mutant Series est notre laboratoire de sons expérimental techno, braindance, drone, ambient, noise, indus. Tripalium Rave Series est à l’inverse clairement orienté dancefloor, avec des sorties techno qui flirtent à la fois avec la scène industrielle UK et les sons rave 90s. Acid Avengers enfin, comme son nom l’indique, est dédié à l’acid sous toutes ses formes, que ce soit techno ou braindance. On a pas vraiment de modèle discographique, le nôtre étant très particulier. Si on parle référence musicale, je te citerai pêle-mêle Bunker, R&S, Rephlex, Downwards, Kommando 6, Planet Mu, Hospital Productions, Avian, Opal Tapes…
Comment choisissez-vous les artistes avec lesquels vous travaillez et quelles sont vos relations avec eux ?
On démarche certains artistes, d’autres viennent nous voir directement, il n’y a pas vraiment de règle. Dans tous les cas, on essaye de créer une vraie famille Tripalium autour de quelques artistes français, avec notamment Jaquarius, Paulie Jan, 14anger, Terdjman, Verset Zero, et quelques autres sur qui on compte pour intégrer le noyau dur. On aime cette idée de fédérer une scène qui est sous-représentée par rapport à la techno traditionnelle, qui se reconnaît dans des esthétiques assez différentes, qui est ouverte d’esprit, qui aime les sons énervés tout autant que la recherche musicale. On a la chance d’organiser des soirées à côté du label et donc d’avoir des facilités pour faire jouer les artistes, ça permet d’avoir des relations assez proches avec eux.
Créer un label, c’est avoir un rapport particulier à l’objet, le disque et l’artwork. Quel est le vôtre et jusqu’où avez-vous envie de le pousser ?
Je ne pense pas que la partie « objet » soit un des points forts de Tripalium. On est dans le DIY, on fait ce qu’on peut pour sortir des albums et des EP, dont certains à moindres frais parce que le modèle économique n’est pas toujours au rendez-vous. Ça ne nous empêche pas d’avoir parfois de supers artworks – je pense à ceux de Verset Zero ainsi qu’à la série Acid Avengers de Prozeet notamment – parce qu’on reste très attachés à la partie visuelle. Mais ça peut prendre forme en K7, en vinyle ou en digital en fonction de la sortie… L’objet n’a pas d’importance sacrée. On a pas de culture design ni marketing, on ne vise pas un absolu. Tripalium c’est avant tout de la realpolitik, on fait avec ce qu’on a, parfois avec un sentiment d’urgence qui nous fait dire que c’est maintenant ou jamais. En gros on fabrique d’abord et on réfléchit après !
Quel est le futur proche de Tripalium, notamment en termes de sorties, de formats ?
Beaucoup de sorties sont dans les tuyaux, l’année va être assez fournie. Des vinyles avec les Acid Avengers et les Tripalium Rave Series, avec une moyenne de 3 à 4 EP par an pour chaque série. Et des K7 et sorties digitales sur les Digital Mutant Series avec un rythme un peu plus élevé – près d’une dizaine de sorties par an. Les deux prochains sont un EP de Terdjman et le deuxième volet de notre compilation Some Like It Raw, tout ça en sortie K7. On a aussi pas mal de soirées qui se préparent, entre les Acid Avengers, les Tripalium Arena et les releases parties de nos sorties…
Quelles sont les approches musicales qui t’inspirent le plus en ce moment ?
Il y a deux mouvements qui me parlent beaucoup en ce moment. Un qui est clairement tourné vers le passé, avec ce retour des sons acid, rave, EBM, synthwave… Beaucoup de sons qui ont pour certains été bannis de la doxa pendant des années, donc c’est un vrai plaisir, j’attendais ça depuis longtemps. La continuité de ce mouvement, ça serait de remettre à l’honneur les sons hard techno, qui sont mis au ban depuis plus de dix ans avec toute la scène free party. On a oublié tout un immense pan des cultures électroniques, boudé par les medias, alors que si on cherche bien, du côté d’Okupé, d’Heretik ou de Spiral Tribe par exemple, il y a de vraies perles. Ces disques-là vont bientôt être rejoués dans les clubs, peut-être avec moins de BPM, mais ça n’est qu’une question de timing. C’est à nous, labels et artistes, de participer à cette redécouverte de certains sons, en affirmant clairement certaines influences et en sortant des disques qui tracent une filiation. L’autre mouvement qui m’inspire, c’est celui qui regarde vers le futur, celui qui va balayer la scène techno actuelle comme elle a balayé il y a trois ans la deep house et l’electro à la Ed Banger. Je pense à des labels comme PAN qui mélangent techno, bass, expérimental… Il est là le futur, dans ce mélange des genres, les Anglais l’ont très bien compris avant nous. On va bientôt revenir à des sons plus groovy, plus bass, plus chaleureux, mais aussi plus violents, et surtout complètement déstructurés par la modernité. Dans trois ans tout le monde écoutera de l’espèce de trap doom vrillée incompréhensible avec des gros kicks hardcore !
Tripalium c’est aussi une série récurrente de soirées à la thématique largement Acid. Qu’est ce qui vous motive à les organiser et les conçois-tu comme un prolongement de ton travail au sein du label ?
Les soirées Acid Avengers sont le prolongement scénique d’Acid Avengers Records. C’est la version 2016 de soirées qu’on organisait déjà l’an dernier, les Acid Attack, sur lesquelles on a reçu Ceephax, Mark Archer, Kosmik Kommando ou encore Minimum Syndicat, quelques mois avant l’engouement actuel. On a dû changer de nom parce qu’il y avait déjà des soirées avec ce nom là en Belgique mais le concept est le même : faire des soirées clairement orientées acid & rave. On les organise entre le Batofar et la Java et ça nous permet de faire venir quelques guests de poids, dont Unit Moebius et Andreas Gehm pour la prochaine, tout en faisant jouer nos artistes. Il n’y avait pas vraiment de soirée identifiée « acid » avant à Paris, je pense qu’on a comblé un vide au bon moment. Il y avait une vraie attente là -dessus.
Vous êtes basés à Paris. Cela influence votre travail ? Tu t’imaginerais poursuivre le label ailleurs ?
Paris est vraiment génial pour les soirées, les rencontres, le bouillonnement culturel incroyable qui existe à chaque coin de rue. Mais ça n’est pas vital, on peut gérer un label sans. Paris donne un vrai coup de boost, mais il fatigue aussi, il y a comme un éternel lendemain de speed. On prévoit à terme avec Tripalium de se rapprocher de certaines régions et notamment de la Bretagne, qui est notre terre de cÅ“ur, tout en gardant un pied à Paris. Il y a plein de choses à faire dans toutes les villes et les campagnes de France, plein d’artistes et de nouveaux partenaires à rencontrer. Il n’y a pas de mal je pense pour un label contemporain à sortir de ses Å“illères urbaines, parfois un peu élitistes, pour prendre le pouls de ce qui existe en-dehors de la ville.
Peux-tu nous présenter en quelques mots ta mixtape ?
C’est une mixtape 100% Tripalium, avec un condensé de tout ce qu’on a sorti en 2015. Toutes nos sorties y sont représentées, c’est pourquoi certains artistes sont plus présents que d’autres, je pense à Jaquarius par exemple. Ça va de l’acid à la techno industrielle limite hardcore, en passant par l’ambient, l’IDM, la techno expé, le drone… Toutes nos influences, aussi vastes soient-elles, sont là . Petit cadeau avec un track unreleased de Verset Zero qui devrait sortir sur un long format cet été.
01. Jaquarius – Polyzarb
02. ABSL – La Mélancolie de l’Innocent
03. Terdjman – Mieux Vivre Pour Mieux Mourir
04. Paulie Jan – 8
05. Verset Zero – Fine Viae
06. Hawkta – Stellar
07. Monoenzyme 307 – Reboot
08. Verset Zero feat Lady Mary of The Infinite Spiral- Grex Perditus
09. Jaquarius – Blau
10. 14anger & Dep Affect – Eye Trap
11. Habyss – Acapulcore
12. Jaquarius – So, You Want To Be A Vampire
13. Deikean – Conception
14. 14anger – Saliva (Keepsakes Remix)
On fait gagner deux places pour la soirée Acid Avengers #3 du 18 mars au Batofar avec Unit Moebius, Andreas Gehm, Voiron et Lunar Distance (Event FB). Pour tenter votre chance, rien de plus simple : envoyez vos nom, prénom et un mot d’amour à l’adresse hartzine.concours@gmail.com ou remplissez le formulaire ci-dessous. Les gagnants seront prévenus la veille de la soirée.
Écrit par: Thibault
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Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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