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C’est 2015 : on monte plus rapidement un label qu’une étagère Ikea, chacun veut apporter sa pierre à la petite mythologie de l’electro souterraine, et on se demande s’il y aura encore assez de bande passante pour faire circuler tous ces projets Bandcamp qui inondent nos boîtes Gmail. Comment installer une identité pertinente sur la longueur dans un tel contexte ? À ce titre, Unknown Precept a bien tiré son épingle du jeu en peu de temps, à savoir deux ans. En 2013, le label était basé à Paris et se lançait avec une compilation réunissant quelques gros noms. Depuis relocalisé à Berlin, il s’est concentré sur une sélection soignée d’artistes aux profils plutôt modestes, généralement issus du réseau des tape ou net labels tels Nick Klein, Shane English, ou Maoupa Mazzocchetti, récemment interviewé (lire), et d’autres qui avaient déjà fait du chemin dans l’underground américain dont l’excellent Profligate (lire). Sur la route depuis un bon mois, on retrouve tout ce beau monde ce vendredi soir 25 septembre pour l’escale parisienne de leur tournée-showcase, et ce dans un lieu qui leur va plutôt bien, le Garage Mu (Event FB). Jolie soirée indus-bricolo et samplers fumants en perspective, à laquelle on vous invite en fin d’article, après vous avoir laissé le soin d’ingurgiter en toute impunité l’interview et un fastueux podcast de son instigateur, Jules Peter.
Thomas Corlin
Jules Peter © Victoria Brizzi
Unknown Precept a un peu plus de deux ans. Peux-tu nous dire d’où tu viens, quel est ton parcours et ce qui t’a conduit à créer ce label ?
Unknown Precept s’est plus ou moins monté par hasard, je m’ennuyais à l’école et j’ai eu envie de travailler sur quelque chose de plus concret. Je n’ai pas le parcours type du label manager d’aujourd’hui dans la mesure où je ne produis pas de musique. J’ai un bagage en graphisme et la direction artistique m’est apparue comme une évidence ; découvrir de nouveaux artistes, les produire, gérer un label : c’est mon rayon.
Si tu devais établir une chronologie de cette histoire, mis à part la compilation The Black Ideal par quoi tout à commencé, quelles dates retiendrais-tu et pourquoi ?
Je dirai que ma rencontre avec Florent (Maoupa Mazzocchetti) m’a permis d’appréhender au mieux le virage que je souhaitais prendre avec Unknown Precept – tout le monde s’attendait une seconde compilation mais l’idée ne m’intéressait plus. J’ai considéré qu’il était plus enrichissant d’aller de l’avant pour, en quelque sorte, ajouter ma pierre à l’édifice en dénichant des artistes que l’on peut désormais affilier au label en tant que tel ; construire quelque chose en accord avec mes envies. Sortir le tout premier maxi de Nick Klein m’a conforté dans cette idée, et depuis que la trame Unknown Precept est bien définie cela me facilite grandement la tâche.
En termes musicaux, ladite compilation était-elle une façon de tracer plus ou moins une voie au futur label ? Des producteurs comme Ancient Methods et Shifted ne sont-ils pas des figures tutélaires ?
Complètement, mais ce n’était que du tâtonnement à l’époque. J’ai eu beaucoup de chance de travailler avec tous ces artistes sur la première sortie. Ils m’ont été d’une aide précieuse et la plupart me supportent encore aujourd’hui. J’ai passé un an à définir « l’après compilation » pour penser le label de manière globale. J’ai conçu cette première sortie comme un antidote pour sortir de cet univers techno qui peine à se recycler ; l’engouement autour du projet s’est occupé du reste et me permet aujourd’hui de miser sur de nouveaux artistes. J’ai finalement pu introduire un véritable propos au sein du label et fédérer un public de fidèles autour de cela.
Bien que l’on sente que le nom du label est en adéquation avec une certaine ligne de conduite défendue, quelle est l’esthétique et la philosophie défendue par le label ?
Je ne pense pas promouvoir une certaine philosophie au travers d’Unknown Precept – c’est même l’idée inverse qui se cache derrière le nom du label. Clairement, mon seul et unique objectif aujourd’hui est de prendre plaisir à produire des artistes jusque là ignorés ou plus simplement méconnus. Il est nécessaire d’inciter les gens à sortir de leur zone de confort ; d’où cette esthétique très opaque, qui ne distille que très peu d’informations quant à son contenu. Il est devenu extrêmement difficile de montrer que ce que l’on fait est autant, si ce n’est pas plus, intéressant qu’un artiste ou un label dont tout le monde parle, et c’est ce qui me pousse à continuer dans cette voie.
Nick Klein © Nina Hartmann
Malgré le DIY inhérent à toute jeune structure, as-tu des modèles en termes de maisons discographiques ? Si oui, lesquels et pourquoi ?
Grabaciones Accidentales m’inspire encore énormément aujourd’hui. Ils ont produit un paquet de bizarreries, tous styles confondus. Je pense que c’est ce qui fait la force d’un label, créer la surprise, ne jamais servir ce que l’on attend de vous pour ne pas tomber dans la caricature. Vanity, également – légendaire label japonais fondé par Yuzuru Agi à une époque où le journalisme musical servait encore un véritable propos – avait atteint un rare degré de liberté ; les deux sont une véritable leçon de direction artistique.
Unknown Precept c’est un label techno, ou quelque chose de plus large ?
Je n’arrive même plus à faire la différence, est devenu « techno » ce que l’on n’arrive plus à qualifier, et inversement. Je n’ai pas vocation à m’encombrer avec ce type de définitions, tout est question d’imagination — en ce qui me concerne, Nick Klein joue des coudes sur un hip hop grinçant, tandis que Profligate produit de la pop music saturée. Unknown Precept c’est essentiellement un moyen d’oser toutes les digressions possibles, bousculer ce que l’on connait sans trop intellectualiser la chose.
Depuis la compilation, tu as sorti deux maxi de Maoupa Mazzocchetti, puis un de Nick Klein, Profligate et Shane English. Comment choisis-tu les artistes avec lesquels tu travailles et quelle relation développes tu avec eux ? Tu veux les suivre sur la durée ou de piocher selon les opportunités ?
Certains considèrent Unknown Precept comme un tremplin mais ce n’est pas sa vocation principale. Je gère le label comme une famille – signer des artistes est la première étape, faire fructifier notre relation sur le long terme est en quelque sorte l’aboutissement de cette collaboration. Beaucoup de labels vont cueillir leurs artistes à droite et à gauche. Je ne trouve pas l’exercice très stimulant, parfois c’est au détour d’une rencontre que l’on tisse des liens avec quelqu’un, fouiller des heures sur Internet en quête d’un artiste peut également s’avérer très intéressant ; c’est assez aléatoire, mais d’une manière générale l’humain est au centre de ma démarche.
Créer un label, c’est avoir un rapport particulier à l’objet, le disque et l’artwork dont la mouture est assez rigide pour Unknown Precept. Quel est le tien et jusqu’où as-tu envie de le pousser ?
Étrangement, beaucoup de personnes m’ont dit qu’ils adhéraient à l’identité du label – qui est pourtant loin d’être évidente. J’aime à penser que sans support visuel, tout le monde peut se construire sa propre identité, imaginer ce qu’il veut. Je n’avais pas envie d’instaurer un cadre précis, les gens ont trop tendance à s’en tenir à l’aspect sans vraiment chercher à approfondir, là ils n’ont plus le choix. Je suis également très attaché aux noms de mes artistes et aux efforts qu’ils mettent dans les titres de leurs morceaux, c’était une manière de le souligner. Il est probable que l’on insère de l’image un jour ou l’autre, mais c’est quelque chose qui va se faire progressivement.
Quel est le format de prédilection du label et pourquoi ?
Je n’ai pas nécessairement de format de prédilection, mon côté collectionneur tend inévitablement vers le vinyle, mais je suis également très attiré par la cassette qui permet de produire des sorties à moindre coût. Je pense que tout n’est que question d’envies et de moyens, créer des objets est quelque chose qui ne s’explique pas.
Maoupa Mazzocchetti
On n’arrête pas de nous seriner avec le renouveau de la techno en France. Toi qui es un Français vivant à Berlin, tu te sens proche de quels artistes ou scènes actuelles ?
Je pense que c’est ce qui m’a poussé à délocaliser le label à Berlin. Ce « renouveau » de la techno en France, et plus précisément à Paris, est une mauvaise blague. Paris s’est lancé le défi absurde de devenir le nouveau fief de la musique électronique, mais ses fondations sont encore trop fragiles et les initiatives dignes d’intérêt se comptent sur les doigts de la main – la scène américaine, loin d’être parfaite, intègre néanmoins ce qui manque cruellement chez nous, à savoir un véritable élan créatif et des structures pour le soutenir, une solidarité entre ses acteurs et une vision moins binaire que celle à laquelle on assiste aujourd’hui. Malheureusement, le schéma parisien s’exporte, lui.
Quel est le futur proche d’Unknown Precept en termes de sorties ?
Cienfuegos débutera sur le label en Octobre prochain avec son premier maxi vinyle, intitulé A Los Mártires. Je travaille actuellement sur d’autres projets ; plusieurs cassettes (dont une du génial Eindkrak à paraître prochainement) et une série de minicompilations. Nick Klein s’est finalement attelé à la production de sa seconde sortie qui devrait voir le jour dans le courant de l’année prochaine. J’espère également pouvoir sortir un dernier maxi avant la fin de l’année mais rien n’est moins sûr pour l’instant.
Unknown Precept sera sur la route avec Maoupa Mazzocchetti et les américains Nick Klein, Profligate et Miguel Alvariño. Comment s’est monté la chose ? Est-ce important pour toi de défendre une identité par le bais de ce type de tournée ?
J’ai lancé l’idée sur un coup de tête, et tout le monde s’est arrangé pour être disponible. Nous avons sifflé le coup d’envoi à Berlin au début du mois. Je pense qu’il était temps d’offrir la possibilité aux gens de venir voir de quel bois on se chauffe chez Unknown Precept, et c’était aussi l’occasion de réunir tout le monde pour la première fois ; cette tournée s’inscrit dans la continuité de notre manière de procéder, aller au contact des gens, promouvoir notre façon de voir les choses, s’inscrire dans le réel.
Peux-tu nous présenter en quelques mots ta mixtape ?
Je l’ai terminée dans l’urgence (pour changer) mais je pense qu’elle illustre relativement bien l’état dans lequel je me trouve actuellement : tiraillé entre la fatigue, le doute et l’anxiété qu’a pu provoquer la mise sur pied de cette tournée. J’ai intégré quelques inédits, et un paquet de morceaux que j’écoute en ce moment.
01. Bourbonese Qualk – Feast of Trumpets (Recloose Organisation, 1983)
02. The Peter Northz (at Home) – Can’t See the Trees for the Pope (Recloose Organisation, 1982)
03. Mecanica Popular – Baku : 1922 (Grabaciones Accidentales, 1987)
04. Gray – Washington, D.C. 20013 (Plush Safe Records, 2010)
05. Plath – I Am Strange Now (Plath Records, 1982)
06. Black Humor – Refugee Suicide (Fowl Records, 1982)
07. Jeg Falt – Die Pleite (Für George Gosz) [Murray Edit] (Requiem Productions, 1983)
08. Cyrnai – Untitled (Self-Released, 1988)
09. Consumer Electronics – Murder the Masters (Diagonal, 2015)
10. Tribe of Colin – Alasallmenhathbeencreatedequal (5 Gate Temple, 2015)
11. Esplendor Geométrico – Rotor (Contort Yourself, 2015)
12. Profligate – Every Little Rainbow (Unknown Precept, 2015)
13. Maoupa Mazzocchetti – Loop 1 / Hair Bulbs Jam (Forthcoming Mannequin)
14. Smersh – Palomar (Börft Records, 1993)
15. Morgan Buckley – A Well-Oiled Party (No ‘Label’, 2015)
16. Five Times of Dust – Punchcard Sex (MAP Tapes, 1981)
17. Nick Klein – Spelling God in Knots (Unreleased)
18. Gray – The Mysterious Ashley Bickerton (Plush Safe Records, 2010)
On fait gagner deux places. Pour tenter votre chance, rien de plus simple : envoyez vos nom, prénom et un mot d’amour à l’adresse hartzine.concours@gmail.com ou remplissez le formulaire ci-dessous. Les gagnants seront prévenus la veille du concert. Précision : adhésion obligatoire à l’Asso Mu (3 €).
Écrit par: Thibault
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Hier, sans aucune forme de prétention, nous cherchions à transcrire et à réfléchir notre époque. Curieux et audacieux, défricheur passionné, nous explorions sans oeillères et à travers un contenu éditorial toujours riche
et exigeant l’ensemble des strates qui composaient le monde bouillonnant de la musique indépendante, ses marges souvent nichées dans le creuset du web comme le halo médiatique qui entourait certains. Mais çà c’était avant. Aujourd’hui, on fait ce qu’on peu !
dieu vous le rendra….
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