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Jamie Harley l'interview & sélection vidéos 2010

today01/01/2011 181

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Si l’on vous souffle à l’oreille le nom de Jamie Harley, spontanément, pas sûr que celui-ci vous dise quelque chose. A moins d’être biographe avisé du co-fondateur de Factory Records, Tony Wilson, et de savoir que ce citoyen de la couronne, exilé en terres franciliennes depuis son plus jeune âge, fut son neveu le temps d’un second mariage. Remarque, suffisait-il d’avoir lu le récent portrait dressé par Jean-François Le Puil, à l’occasion d’un bilan de fin d’année par le mensuel Magic (lire), pour s’en étonner et comprendre quel type de figure tutélaire modela les horizons de notre homme. En revanche, si l’on couche sous vos yeux – bientôt ébahis – les noms de Memoryhouse (Heirloom, Lately (deuxième), Bonfire) d’How To Dress Well (Ready for the Word, Lover’s Start…), de Memory Tapes (Bicycle), de Twin Shadow (Castles in the Snow) ou encore de Museum Of Bellas Artes (Watch the Glow), et que l’on vous dit que Jamie Harley en est l’unique promoteur visuel, votre mémoire, si joueuse, époussettera ipso facto les délicieuses réminiscences entourant l’ensemble de ses clips, construits, peu ou prou, selon une même ligne directrice, celle d’un found footage en pleine recrudescence. De l’avis de tous, Jamie Harley en est le maître incontesté. Rendue désormais possible et accessible à tous par la mise à disposition globalisée d’archives numériques, documentaires et cinématographiques, cette récupération de « pellicules impressionnées » à des fins différant de leur origine tient sa pratique et sa conceptualisation des situationnistes et de l’internationale lettriste cofondée par l’illustre Isidore Isou. Ce proche de Guy Debord a, entre autres, réalisé le fameux Traité de bave et d’éternité, réputé pour avoir provoqué un violent tumulte lors de sa projection au Festival de Cannes du fait d’une dissociation de sa bande-son et de sa bande-image. Revitalisant la technique, mais contrecarrant cet effet « discrépant », Jamie Harley retravaille la bande-image pour que celle-ci épouse dans ses moindres détails, tel un scopitone fantasmé, une bande-son déployée par les groupes pour lesquels il s’investit. L’image première est décontextualisée, détournée, mais aussi remontée et retraitée en fonction des divagations musicales. Parfois ralentie, dédoublée, saturée, inversée ou même superposée, l’image n’est plus alors comprise en tant qu’expérience filmique, son auteur-électeur se soustrayant à leur tournage, mais bien telle une quantité numérique à la plasticité infinie. Si un trouble halo aux volutes oniriques s’en empare, une liberté stylistique absolue s’en dégage : celle d’accentuer l’émotivité dont témoignent les individus-acteurs pris tels quels comme sujet. La joie, comme l’angoisse inondant un visage, paraissent éternels, quand les corps, confrontés aux vicissitudes de leur environnement, semblent s’engouffrer dans une lutte immuable. Dans Lover’s Start, Brel n’est plus Brel, mais bien l’homme personnifiant la fuite éperdue dans l’infini céruléen des côtes du nord.

Dans la mesure où les vidéos de Jamie Harley se regardent tel un songe projeté dans l’éther de ses pensées, rien d’étonnant que ses (re)créations soient si prisées au sein d’une mouvance musicale effeuillant dans toute sa splendeur l’esthétique des émotions. Réalisant de la sorte une foultitude de clips, imageant des concerts, dont ceux de la récente tournée du duo Memoryhouse (lire), avec lesquels il est quasiment assimilé, et travaillant avec How To Dress Well sur l’entièreté d’un album, , mis en images, l’année 2010 qui s’achève prend des allures de consécration artistique pour un Jamie Harley par ailleurs engagé jusqu’au cou dans l’aventure Schmooze, dont il dirige, en sus de sa direction artistique, sa déclinaison blog consacrée au défrichage musical par l’image. Rencontre avec un passionné, stakhanoviste assumé du clip, nous offrant dans ce qui suit coups de cÅ“ur et autre sélection annuelle de haute volée. Quant à Lyonel Sasso, collaborateur épistolaire d’Hartzine, c’est dans le répertoire de celui-ci qu’il pioche, histoire de fomenter un florilège déroutant de grâce.

Interview de Jamie Harley


Peux tu te présenter en quelques mots ? D’où viens tu ?

Je suis originaire du nord de l’Angleterre, de la banlieue sud de Manchester, mais j’ai presque toujours vécu en France et je me sens d’ailleurs bien plus français qu’anglais !

Comment as-tu eu l’idée de fonder Schmooze Blog ? Pourquoi un tel nom d’ailleurs ?

A l’origine Schmooze est une agence de supervision musicale (pub, cinéma, mode) dont je fais la direction artistique. Si je me souviens bien, « Schmooze » vient du nom d’un bootleg de Beck à l’époque de One Foot in the Grave. J’avais envie de créer un blog pour promouvoir les artistes que j’aime, et aussi pour montrer des formes alternatives d’associations entre image et musique.

En créant Schmooze Blog, tu cherchais une fenêtre d’exposition pour tes vidéos ?

Pour ce qui est des vidéos, j’ai commencé à en faire quelques mois après la création du blog : on ne poste jamais de mp3, et la toute première vidéo n’était qu’un prétexte pour pouvoir poster l’un des premiers titres de Memoryhouse. Comme le groupe avait apprécié le résultat, j’en ai fait une autre, et j’ai ensuite commencé à recevoir des demandes pour en faire pour d’autres artistes. Et de fil en aiguille, j’ai fini la 37ème la semaine dernière !

J’ai assisté avec bonheur au concert de Memoryhouse (voir) au Point FMR où tes vidéos défilaient en toile de fond. Explique-moi tes relations avec le groupe et l’idée qui a présidé à la poursuite de ce projet. Comment choisis-tu les artistes avec qui tu décides de travailler ?

C’est agréable d’avoir la possibilité d’une collaboration un peu suivie avec un groupe. Que ce soit avec Memoryhouse ou How To Dress Well, la relation s’est installée de façon très naturelle. Sans doute parce que j’ai commencé à travailler avec eux dès leurs débuts. On va faire un concert avec How To Dress Well au MoMA fin février et le travail avec Memoryhouse se poursuivra au moment de la sortie du premier album. Je ne choisis les artistes avec lesquels je travaille qu’en fonction de mes coups de cÅ“ur, mais il faut aussi que j’ai le sentiment de pouvoir apporter quelque chose.

Dans une blogosphère sans fond, quels sont les amis de Schmooze Blog ?

C’est très dur de n’en citer que quelques uns, mais voici les premiers qui me viennent à l’esprit : Transparent, The Line Of Best Fit, Grrrizzl’y, Wow magazine, Yvynyl, No modest bear ou Yours Truly.

Avec Lisa Ehlin, vous êtes les deux seuls contributeurs récurrents de Schmooze Blog. Comment choisissez-vous les contributeurs occasionnels ? Quel est le futur proche de Schmooze Blog ?

Les rôles ne sont pas figés, mais en général je fais les sélections quotidiennes de nouveautés et Lisa s’occupe des invités à qui l’on demande de choisir et de commenter certaines de leurs vidéos préférées. On choisit bien sûr nos « guests » parce qu’on aime ce qu’ils font, mais aussi parce qu’on pense que leurs sélections seront intéressantes. Il va certainement y avoir de nouveaux contributeurs dans les semaines qui viennent, et davantage de rédactionnel.

Confectionnés à partir d’images d’archives, d’ancien films et programme TV recyclés, les clips véhiculés par Schmooze Blog sont-ils spontanément DIY ou est-ce un effet recherché ? Quels rapports vois-tu entre esthétique visuelle et musicale ?

Je trouve que les clips sont devenus très ennuyeux au cours de la décennie précédente. Les budgets ont tellement baissé qu’il est aujourd’hui quasi-impossible pour un réalisateur de ne faire que ça, et beacoup ne voient dans le clip qu’un tremplin pour faire autre chose. Les fan-videos et les vidéos faites à partir d’images d’archive ont ramené une sorte d’innocence, de fraîcheur et de spontanéité. Et je continue de croire au clip en tant qu’objet artistique à part entière, et pas seulement comme un outil de promotion pour vendre des disques.

Une sélection 2010 commentée, par Jamie Harley

Voici une sélection de quelques coups de cœur ayant marqué mon année 2010.

Greatest Hits – Ambulence :

Alice Cohen est l’une des mes réalisatrices préférées, son style se reconnaît instantanément et c’est une qualité rare.

Therapies Son – Golden Girl :

Un grand espoir pour 2011. Alex Jacob a 19 ans, vit à Los Angeles et enregistre sous le nom de Therapies Son des merveilles de pop baroque.

Hallucinists (Music by The Octopus Project) :

Des images qui restent en tête et qui s’accordent à la musique à la perfection. Une bonne vidéo, quoi.

Coma Cinema – Blissed :

Une autre association parfaite entre un musicien et un réalisateur (Coma Cinema et Tyler T Williams). Je vois beaucoup plus le clip comme une collaboration que comme un simple outil de promotion.

Gem Club – Spine :

J’adore cette association entre Gem Club et BrIanna Olson qui réalise toutes les vidéos du groupe. Il n’y a rien de fait pour le viral là-dedans, juste des moments de grâce.

Cloud Nothings – Hey Cool Kid :

Une vidéo de fan qui surclasse sans peine l’officielle, et le morceau m’a poursuivi toute l’année.

Outer Limits Recordings – $20 Dollar Bill :

Outer Limits Recordings, où comment être cool sans donner l’impression du moindre effort pour l’être.

Bonus

Ice Cream Shout – Tattooed Tears :

Love Lake – Curses :

Une sélection des clip de Jamie Harley, par Lyonel Sasso

Trente-sept vidéos en un peu moins d’un an. Il fallait l’œil expert et la prose volubile de Lyonel pour décrypter et sélectionner cinq vidéos aussi essentielles que ne le sont les morceaux dont elles sont bien plus qu’une simple illustration par l’image.

A Classic Education – Gone to Sea

Cette chanson d’ A Classic Education est un bain de jouvence, une eau pure. Finalement la mer transporte toutes les histoires, toutes les mythologies. L’Océan ambassadeur de la vie, de la fertilité – de l’amour. Ce fragment d’innocence, Jamie Harley le retranscrit parfaitement ici. La vidéo suit parfaitement l’intensité rythmique de la composition. Harmonie des îles, mouvement incessant des vagues, visages radieux – tout y est. On navigue à perte de vue comme dans l’image finale. Une jolie illustration de l’innocence.

Memoryhouse – Bonfire

La musique est ample, évanescente. Elle se détache du réel. Seule la voix, profonde, de Denise Nouvion nous rapproche de quelque chose de tangible. Visuellement, il n’y a rien de plus difficile à retranscrire. Ici, on est dans une impression de la réalité. Les lueurs blondes d’une émotion. Une vidéo faite de vapeurs, de liquides et de chairs. Sublime, tout comme la chanson de Memoryhouse. Une douce valse pastorale magistralement orchestrée visuellement par Jamie Harley. Au passage, je soupçonne la culture cinématographique du monsieur immense …

How to Dress Well – Lover’s start

Violente rafale mélodique, la composition de How to Dress Well demandait une grande impression visuelle. On en a du sel sur le visage en regardant ce long plan séquence. Bleu comme la nostalgie et la tristesse. Final bleuté – c’est un parcours, le long d’une plage, d’un adieu. D’une liberté retrouvée. Brel finit par lâcher les oiseaux avant de se livrer à l’océan. Quelle puissance poétique, assurément ma vidéo préférée.

Lonely Galaxy – Time

Les vieilles vidéos d’enfance ont ce rapport à l’ineffable, à la nostalgie et l’étrange sensation du temps qui fuit. La montée mélodique offerte par Lonely Galaxy est l’équivalent de tous les souvenirs qui nous remontent à la gorge lorsque l’on goûte à ces madeleines visuelles. Cette vidéo est terriblement émouvante et est superbement mis en forme par Jamie Harley.

Memoryhouse – Lately (deuxième)

La chanson est sublime. Ce qui pourrait amplement suffire pour tout commentaire. D’ailleurs comment dépasser la puissance émotionnelle de pareille composition avec des mots ou des images ? Enfin, ce qui me plaît là, est finalement très personnel. Je repense aux romances et séquences évanescentes d’Histoires de Fantômes Chinois, film fantastique parfois sublime, parfois grotesque. Une ambiance à la fois sensuelle, mystique et kitsch. Cette musique est d’un charnel redoutable. Jamie Harley compose un visuel au diapason. Redoutablement ensorcelant.

Écrit par: Thibault

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